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La femme algérienne dans femmes d'Alger dans leur appartement

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ittéralement rompre le silence imposé, parler aux femmes et des femmes constitue l’offense majeure, comme elle l’affirme dans l’Ouverture du recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement:

« Depuis longtemps —par suite sans doute de mon propre silence, par à- coups, de femme arabe—, je ressens combien parler sur ce terrain devient (sauf pour les porte-parole et les « spécialistes ») d’une façon ou d’une autre une transgression. »

En résumé, être femme, arabe, et parler des femmes, et avec les femmes, les écouter et enregistrer cette parole interdite revient à enfreindre les usages de l’Islam au plus haut point et que dire, alors, du fait de donner littéralement la parole aux femmes qu’elle interviewe pour son film La Nouba des femmes sur le Mont Chenoua réalisé en 1978.

Notons que l’auteur, qui s’interroge sur la féminité dans les années 70 veut essentiellement dénoncer les formes d’exclusion et démontrer la spécificité de l’être femme, l’important étant de dénoncer les abus et de rejeter le carcan de la culture patriarcale.

2. Montrer le vécu découlant du silence imposé :

Tout au long des nouvelles du recueil, Assia Djebar va brosser une fresque impressionnante consacrée aux femmes algériennes, à la vie qu’elles doivent affronter dans le quotidien, c’est à dire en tant qu’individus dans le milieu familial.

Si la petite fille jouit d’une certaine liberté tout en étant chargée d’aider la mère et de servir ses frères, les choses empirent avec les années. Pour la jeune fille, la préservation de la virginité est primordiale car que la femme n’existant pas en tant qu’individu, elle n’est pas maîtresse de son corps uniquement destiné à être utilisé par l’homme ; elle est donc réduite à un objet sexuel. Cette conservation de l’hymen, une question d’honneur, est tellement ancrée dans les mœurs que les femmes elles-mêmes emploient ce vocable comme synonyme de « mariage » : « la maison doit s’ouvrir aux autres, pour un deuil ou pour un hymen dans la tribu ». Lorsque la demande en mariage arrive, la jeune fille ne peut être vue par sa future famille mais doit cependant être présente pour donner son consentement. En effet, « Même le oui que doit suivre la « fatiha » du mariage et que le père doit demander à sa fille —le Coran lui en faisant l’obligation— est presque partout (dans l’aire musulmane) ingénieusement étouffé ». Comme la jeune fille ne peut être vue à découvert, elle doit faire passer sa réponse par l’intermédiaire d’un représentant mâle, qui donnera la réponse qui convient. En outre, on considère que, par pudeur, la jeune fille peut donner son consentement sous forme de silence ou de larmes. Ce silence ingénieusement obtenu signifie consentement à la soumission. Autant dire que l’homme, dans ce cas le patriarche, organise impunément la vie de la femme au gré du désir du futur époux. La socialisation fondée sur la parenté et la prohibition de l’inceste conduit les hommes à exercer le contrôle sur la fécondité des femmes. Le mariage est en général imposé par le père ou le frère. Le refus de la femme concernée est inutile mais notons que le discours d’Assia Djebar est fondamental dans le sens qu’il met en scène des femmes conscientes d’une réalité qu’elles analysent. Dans la nouvelle « Il n’y a pas d’exil » une jeune mère, divorcée, qui a perdu ses deux enfants et qu’on veut remarier, affirme:

« Je connaissais déjà mon rôle pour l’avoir déjà joué; rester ainsi muette, paupières baissées et me laisser examiner avec patience jusqu’à la fin: c’étai simple. Tout est simple, avant, pour une fille qu’on va marier. »

D’autres cas sont dramatiques, tel celui d’une enfant qui a été donnée en mariage en échange de deux litres de bière par son père légionnaire : « On me fardait à treize ans, on m’épilait les sourcils, les aisselles, le pubis, on me mettait des paillettes sur le front, sur les pommettes, on m’achetait des mules brodées » ; orpheline de mère, elle est emportée alors que « les tantes pleuraient, elles disaient que l’aïeule vivante, le père n’aurait jamais osé ».

La vie de femme mariée commence dans la souffrance. La nuit de noces, la nuit du sang, a la brutalité du viol puisque la défloration doit être violente selon les usages qui imposent de montrer rapidement le linge souillé de sang à la famille qui attend derrière la porte. Pour Assia Djebar elle constitue « une plaie vive [qui] s’inscrit sur le corps de la femme par le biais de l’assomption d’une virginité qu’on déflore rageusement et dont le mariage consacre trivialement le martyre ».

Le silence est l’acceptation d’une structure patriarcale qui limite le rôle de la femme à celui d’épouse, rôle régi par un seul principe: celui de la soumission au mari, au père, au frère, à l’homme enfin. Il faut déchausser l’époux ; il faut servir les hommes de la maison et la soumission va jusqu’à l’acceptation de la violence conjugale. À cet égard, le récit de vie d’une arrière grand- mère, dans la nouvelle « Nostalgie de la Horde » est éclairant; elle fut une jeune épousée de 12 ans « ne sachant rien faire: ni pétrir le pain, ni tourner le tamis pour le couscous... et aucune notion du travail de la laine! Or, que vaut une femme qui ne sait travailler la laine? ». Elle est battue et presque éborgnée par son mari. Elle pleure de tristesse toute la nuit mais sans bruit pour ne pas le réveiller.

Le silence signifie aussi l’acceptation de l’évaluation de la femme en fonction de la maternité qui, de ce fait, revêt un caractère obligatoire. Le sang de la maternité rejoint celui de la défloration, début de la souffrance, la vie de femme étant faite « pour enfanter et pour pleurer car la vie ne vient jamais seule pour une femme, la mort est toujours derrière elle, furtive, rapide, et elle sourit aux mères...»

La femme doit enfanter car elle est considérée comme un objet procréatif ; la décision en ce qui concerne le moment et le rythme des maternités est impossible car elle n’a ni le droit ni les moyens d’éviter les grossesses. Si la maternité implique toujours une dissolution d’identité pour la mère, dans la société algérienne et maghrébine en général, ce phénomène s’accentue puisque la femme est évaluée en fonction du nombre d’enfants qu’elle met au monde. En effet, les enfants constituent un enjeu de pouvoir puisqu’ils sont une force potentielle de travail. La dissolution est complète lorsque la présence d’autres épouses établit une sorte de rivalité de « production » car celle qui a le plus d’enfants est valorisée au dessus des autres. La femme est donc obligée de démontrer constamment sa fécondité. Dans le recueil, Sarah se souvient de sa mère qui n’a eu qu’un enfant, une fille, ce qui lui a fait craindre la répudiation durant toute sa vie. Car la fonction reproductrice est sous-évaluée si naissent des filles. Les réactions sont agressives, même de la part des femmes, telle une belle-sœur qui « s’était mise à maudire le sort de l’accouchée: -Une fille! Tu nous donnes une fille!...tout juste bonne pour une race d’esclaves!... ». Dans la nouvelle « Femme d’Alger dans leur appartement », le récit des maternités de la femme du hazab va dans le même sens: « À sa quarantième année et à sa douzième grossesse, dont une fausse couche, Allah, qu’il soit béni, lui avait enfin accordé le garçon rêvé ». L’enfant de sexe masculin est considéré comme le seul apte à assurer l’avenir matériel de ses géniteurs. Cet argument est employé pour dissuader un homme de dépenser toutes ses économies en faisant le pèlerinage à La Mecque, on lui dit: « Laisse ton argent pour ta vieillesse, tu n’as même pas de fils! ». La seule consolation d’Aïcha la répudiée est son fils Amine.

Par ailleurs, si le rôle conjugal est non-valorisant, l’exclusion est pire. Selon les normes de la société islamique, la femme sans descendance ou celle qui n’a que des filles, vit dans la peur de la répudiation qui signifie pauvreté et soucis matériels. La stérilité est donc une malédiction. Dans ce sens, le récit des « noces d’amertume » d’Aïcha la répudiée est révélateur:

Le huitième jour à peine de noces. Il ricana, puis cracha sur elle. [...] Il la répudia deux mois après. Elle demeura chez sa belle-mère, une sexagénaire qui se plaignait de ses malheurs. Qui l’aida à accoucher.

Dans le récit principal traitant de l’époque de 1978, la porteuse d’eau décrit l’attitude malveillante et dénigrante de ses belles-sœurs « [la] tâtant chaque matin » et demandant « quand se décidera-t-elle à être grosse, celle-là? ». Fuir la pauvreté, la méchanceté et l’exploitation comme elle l’a fait, n’est pas exempt d’obstacles : jeune mariée dans une ferme où vivent sur le sol des enfants au ventre ballonné avec des mouches dans les yeux, elle fuit l’agressivité de ses belles-sœurs. Elle s’enfuit, arrive dans une petite ville, passe deux ans à tisser des tapis, tout en servant une matrone le soir, puis cinq ou dix ans comme prostituée. Enfin, elle devient porteuse d’eau dans un hammam. Elle résume son par la formule:

Je suis— qui suis-je? — je suis l’exclue.

Le premier stade identitaire est celui de la connaissance et du contrôle de son corps puisque c’est dans ce domaine que la femme doit commencer à exercer sa liberté. Dans le contexte qui nous concerne,

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