Arendt condition de l'homme moderne : imprévisibilité, irréversibilité, pardon et promesses
Commentaires Composés : Arendt condition de l'homme moderne : imprévisibilité, irréversibilité, pardon et promesses. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires) en trois activités fondamentales hiérarchisées : le travail, l’œuvre et l’action. Le travail correspond uniquement à la perpétuation du cycle biologique et se répète éternellement pour permettre à l’homme de survivre. Par l’œuvre, l’homme dépasse le nécessaire et confère au monde un caractère durable en produisant des œuvres stables et qui ont vocation à durer. Enfin, l’action, où sa liberté s’expose pleinement lui permet d’entrer dans un monde politique, de s’insérer dans un monde commun et surtout humain. Cependant nous allons voir que dans chacune de ses trois activités, l’homme est comme prisonnier d’une sorte de cycle. Le plan adopté sera celui du passage et, dans une première partie nous verrons que les problèmes que posent travail et œuvre peuvent être résolus par l’intermédiaire d’une faculté immédiatement supérieure c’est-à-dire, pour simplifier, que l’homme peut se libérer du travail grâce à l’œuvre et qu’il peut se libérer de l’œuvre grâce à l’action. Il en est d’ailleurs de même pour une autre situation n’ayant rien avoir avec les deux précédentes : celle de la pensée. Ensuite, nous verrons dans une 2de partie que, a contrario, le cas de l’action est tout différent : le remède aux problèmes qu’elle pose ne vient pas d’une faculté supérieure mais bien de l’action elle-même.
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I. Emprisonnement de l’animal laborans, de l’homo faber et du penseur
Dans le premier paragraphe, H Arendt prend trois exemples (le travail, l’œuvre et la pensée) dans lesquels l’homme est emprisonné dans un sorte de cycle dont il ne peut s’extraire que par l’intervention de quelque chose d’extérieur et de supérieur à chacune de ces trois activités.
1er exemple : L’animal laborans, prisonnier du cycle du processus vital
H. Arendt commence par revenir sur l’animal laborans c'est-à-dire l’homme qui travaille, éternellement soumis au processus vital. En effet, nous avons déjà vu que le seul et unique but du travail est d’assurer la vie biologique. Les produits du travail ne durent donc pas, ils sont voués à périr dans la consommation. Il faut alors produire de nouveau et ainsi de suite. Le travail se répète éternellement pour assurer la vie. C’est une activité qui ne connaît jamais de fin, une activité épuisante, toujours à recommencer, parce que le besoin biologique revient de manière cyclique. Ainsi l’ animal laborans est comme prisonnier du travail. Or, pour H. Arendt « l’homme ne peut échapper à cette condition qu’en mobilisant une autre faculté humaine, la faculté de faire, fabriquer, produire, celle de l’homo faber ». En effet lorsque l’homo faber fabrique des outils, non seulement il soulage les peines du travail mais il édifie aussi un monde de durabilité. L’homme réussit à s’extraire du mouvement cyclique que constitue le travail en produisant quelque chose de durable et de stable. L’œuvre donne à la vie mortelle une certaine durée : en fabriquant, l’homo faber crée des objets qui lui survivront. C’est donc par la permanence des objets de l’Oeuvre que l’homme réussit à transcender le cycle de la vie. Ainsi comme le dit H Arendt « la rédemption de la vie entretenue par le travail, c’est l’appartenance au monde entretenu par la fabrication ». Cependant à l’image de l’animal laborans, l’homo faber est lui aussi prisonnier, victime des conditions qu’engendrent l’œuvre et lui aussi ne peut s’en libérer que par l’intervention d’une faculté supérieure.
2ème exemple : L’homo faber, prisonnier du cycle de la fin et des moyens
Dans un paragraphe précédent intitulé « instrumentalité et homo faber », H. Arendt explique que l’œuvre est une activité qui a une fin, la création d’un outil. Cependant cette fin n’est pas réellement une fin en soi : l’outil est ensuite utilisé à d’autres fins. En effet, on apprécie rarement un objet d’usage pour ce qu’il est mais plutôt pour ce qu’il permet. H Arendt dit d’ailleurs dans ce paragraphe que « l’inconvénient de la norme d’utilité inhérente à toute activité de fabrication est que le rapport entre les moyens et la fin sur lequel elle repose ressemble fort à une chaîne dont chaque fin peut servir de moyens dans un autre contexte ». Ainsi, l’homo faber se perd dans la chaîne sans fin de la fin et des
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moyens. Une chose est utile pour en atteindre une autre, mais en quoi est-ce utile d’atteindre cette dernière chose ? Pour en atteindre encore une supérieure... Et ainsi de suite. Il n’y a pas de finalité réelle, pas de véritable sens. Chaque objet fabriqué, chaque fin se dégrade en moyens et perd ainsi de sa valeur. L’homo faber qui ne pense qu’en termes de moyens et fins est incapable de distinguer ce qui est utile de ce qui a un véritable sens. C’est ce qu’H. Arendt rappelle ici en disant que l’homo
faber est « victime du non-sens, de la « dépréciation des valeurs », de l’impossibilité de trouver des
normes valables dans un monde déterminé par la catégorie de la fin-et-des-moyens ». Or pour H. Arendt, l’homo faber « ne peut se libérer de cette condition que grâce aux facultés jumelles de l’action et de la parole qui produisent des histoires riches de sens aussi naturellement que la fabrication produit des objets utiles ». L’action est pour H. Arendt la seule activité humaine à être véritablement riche de sens. Nous avons en effet déjà vu que l’action révèle l’acteur à ses yeux comme aux yeux des autres. En parlant, décidant, interagissant à propos du monde, nous manifestons qui nous sommes et nous faisons que ce monde soit un monde humain. C’est dans l’action, dans les échanges et la communication qu’on édifie un monde humain. Ainsi c’est par l’action que l’homo faber peut se libérer des problèmes de l’œuvre.
3ème exemple : Le penseur, prisonnier des conditions qu’engendre l’activité même de penser
Enfin, H. Arendt prend l’exemple du penseur, qui bien qu’il n’aie rien avoir avec l’ animal laborans et avec l’homo faber est lui aussi prisonnier d’une sorte de cycle. H. Arendt ajoute en effet que « si ce n’était hors de notre propos nous pourrions ajouter à ces situations celle de la pensée ; car la pensée aussi est incapable de sortir par ses propres moyens, des conditions qu’engendre l’activité même de penser ».
H. Arendt conclue ce paragraphe en disant que dans chacun de ces trois cas, « ce qui sauve l’homme (l’homme en tant qu’animal laborans, en tant qu’homo faber, en tant que penseur), c’est [...] une chose extérieure [...] à chacune des activités en question ». En fait, pour simplifier, la rédemption du travail de l’animal laborans c’est l’œuvre de l’homo faber et la rédemption de l’œuvre de l’homo faber c’est l’action et la parole. Les trois activités de la Vita Activa ne sont donc pas sans communiquer : la « rédemption » est le mode original de communication de l’une à l’autre, c’est-à-dire que chacune est en quelque sorte le « remède » de l’autre. Chacune en effet serait comme aliénée si elle devait se suffire à elle-même. Donc d’une part, l’homo laborans ne réussit à s’extraire du cycle perpétuel du processus vital que parce qu’il a recours à la mobilisation des capacités de l’homo faber c’est-à-dire parce qu’il crée une œuvre durable, donc riche de sens. D’autre part, ce même homo faber est prisonnier du cycle infini de la fin et des moyens, où chaque fin est en fait moyen en vue d’une autre fin. Sa libération vient de l’action et de la parole jumelées. Cependant nous allons voir dans le paragraphe suivant qu’en ce qui concerne les problèmes de l’action (c'est-à-dire l’irréversibilité et l’imprévisibilité qui la caractérisent), le remède ne vient pas d’une activité, disons, supérieure mais bien de l’action elle-même.
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II. « Emprisonnement » du à l’action : irréversibilité et imprévisibilité
On vient de voir que, "L'animal laborans", prisonnier du processus vital, éternellement soumis à la nécessité du travail et de la consommation, peut échapper à cette condition en mobilisant une autre faculté humaine, la faculté de faire. L'"homo faber", lui, victime du non-sens, de l'impossibilité de trouver des normes valables dans un monde déterminé par la catégorie de la fin-et-des-moyens, peut se libérer de cette condition grâce aux facultés de l'action et de la parole qui produisent des histoires riches de sens. Dans ces deux cas, ce qui sauve l'homme, c'est quelque chose qui vient d'ailleurs: une chose extérieure, non certes à l'homme, mais à chacune des activités en question. Cependant, comme le déclare Hannah Arendt, « le cas de l'action et de ses problèmes est tout différent ». Le remède ne vient pas d'une autre faculté supérieure mais de l'action même. Plutôt que de chercher des substituts à l’action pour échapper à ses calamités, c’est dans la capacité d’agir elle-même qu’il faut chercher des remèdes aux frustrations de l’action. Donc, la solution est à chercher à l'intérieur même de l'action.
1. Deux caractéristiques
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