La Paysage (Art)
Dissertation : La Paysage (Art). Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresation de la puissance divine) et que le perfectionnement des techniques de figuration des personnages, pour être pleinement apprécié, exige un décor, un espace aussi cohérent que réaliste, un lieu où les intégrer. Le paysage est alors un "fond de scène", à l’arrière-plan, utile pour mettre en valeur les scènes religieuses au centre de l’espace pictural. Destiné à n’être qu’un fond, travaillé indépendamment des autres figures, les éléments du paysage s’organisent peu à peu en un Tout, autonome mais laborieux, qui finit par nuire à l’homogénéité du tableau, à la manière d’une image dans l’image (alors qu’il était, à l’origine, destiné à produire exactement l’effet inverse).
C’est en inventant le motif de la fenêtre, la "veduta", que ce problème de voisinage trouve un début de solution : pour les peintres flamands et italiens, la fenêtre est ce cadre qui institue le pays en paysage, un détail qui ouvre le "cube scénique" (c’est-à-dire la pièce où, invariablement, se passe la scène principale et dans laquelle sont disposés les personnages) sur un extérieur où s’engouffre le regard, un extérieur en miniature.
Cet isolement et cette miniaturisation, cette mise à l’écart dans l’espace du tableau va permettre à ce qui va devenir "le paysage" de mettre au point ses propres conventions et son propre système perspectif (la perspective aérienne), de s’instaurer comme genre autonome dans l’histoire de l’art en s’émancipant de la peinture religieuse et de la peinture d’histoire, de devenir le genre où s’affrontent les théories esthétiques, se règlent et se discutent, par tableaux interposés, les problèmes pratiques et définitoires de toute la peinture occidentale. Pour cela, il suffira d’agrandir la fenêtre aux dimensions du tableau et de relativiser, avant de les faire disparaître, l’importance traditionnellement accordée aux personnages. Cette révolution et cette rupture, c’est à un peintre allemand, Joachim Patinir (]475-1524) surnommé "der gute Landschaftsmaler" (le bon peintre de paysages), que la majorité des historiens l’attribue.
Le "Weltlandschaft", ou paysage du monde
Un pas très important fut franchi dans l’émancipation du paysage lorsque s’opéra un renversement dans la relation qu’il entretenait avec les figures et, qu’au lieu de leur servir simplement d’arrière-fond, il tendit à devenir l’élément principal du tableau dont témoigne par excellence l’oeuvre de Patinir. Sans doute est-il vrai que les compositions de cet artiste représentent plutôt, en un sens, le dernier terme d’une évolution, celle des arrière-fonds du paysage médiéval (de Hesdin, de Limbourg, Gb lIa, Duccio, Martini, Lorenzetti...).
Ce qui caractérise son oeuvre, c’est l’ampleur considérable des paysages qu’elle offre à la contemplation du spectateur. Cette ampleur présente un double caractère: l’espace figuré est immense (du fait d’un point de vue panoramique situé très haut, presque "céleste") et en même temps cet espace englobe, sans souci de vraisemblance géographique, le plus grand nombre possible de phénomènes différents et de spécimens représentatifs, typiques de ce que la terre peut offrir comme curiosités, parfois même des motifs imaginaires, oniriques, surréels, fantastiques : champs, bois, montagnes anthropomorphes, villages et cités, déserts et forêts, arc-en-ciel et tempête, marécages et fleuves, rivières et volcans.
A quelques rares exceptions près (les paysages sur papier de Dùrer surtout), cette propension à l’exhaustivité et à l’exubérance, de plus en plus sensible en peinture, du XVe siècle (Van Eyck, Bosch) jusqu’au XVle siècle (Brueghel, et surtout l’insurpassable Altdorfer), amènera les historiens d’art à parler, pour qualifier ce type de paysages de "paysages du monde". Si ce dernier tend vers l’infini quantitativement (tout montrer), il tend vers l’infini qualitativement aussi (tout voir): quand bien même Patinir, faisant école, met en place les prémices de la perspective aérienne par un découpage de l’espace en trois plans-couleur, brun-ocre pour le premier, vert pour le plan moyen, bleu pour le lointain, celui-ci se refuse à sacrifier la précision à l’effet d’ensemble. sauvegarde la visibilité de la totalité des détails avec une méticulosité, une minutie et une préciosité toutes médiévales. Ce refus de la dégradation de la définition, cette vision vraie, et pourtant tout à fait invraisemblable, constitue la spécificité des paysage dits "à demi-naturels". Il faudra attendre Vinci, son refus de la compilation et son "sfumato" pour que les plans reculés, plus nombreux, soient traités en flou, gagnant en cela en réalisme. Malgré sa puissance évocatrice, son inclination au grandiose, le "paysage du monde" reste conditionné par ses origines et ne permet pas de deviner raisonnablement un au-delà du tableau : l’accumulation figurative et l’incroyable acuité du regard qui le singularise n’est que le résultat de l’agrandissement de la "fenêtre" où il était auparavant circonscrit, confiné et à l’intérieur de laquelle il se devait de tout condenser...
Pour que le paysage en peinture devienne autre chose qu’un entassement virtuose mais compulsif de motifs, et plus précisément, la saisie quasi-documentaire d’un infime fragment de la réalité contingente, il faudra attendre le XVlle siècle et la pleine maturité de la peinture hollandaise...
Le paysage hollandais et "l’esthétique de l’espace vacant"
Objet de contemplation pure, dépouillé de toute allusion à la religion, à l’histoire, à la légende, au pittoresque et à l’anecdote, tourné exclusivement vers la simple captation de ce qui, dans le flux mouvant et sans cesse renouvelé des apparences, est capable. durant un moment de grâce, de satisfaire notre regard, voilà l’originalité de ce que deviendra le paysage au siècle d’or de la peinture des Pays-Bas. Des peintres comme Hobbema, Van Goyen, Cuyp, Seghers et Ruisdael, en effet, ne s’assigneront d’autre but que de saisir l’aspect fugitif des phénomènes que n’importe qui peut découvrir autour de lui : avec eux, le paysage est d’abord l’image d’une situation, d’un moment presque intime pris sur le vif, la traduction intuitive d’un ici et d’un maintenant, l’expression tacite d’un contentement au travers d’une unité perceptive (le paysage hollandais se satisfait de n’être la représentation que d’une minuscule partie du monde et s’offre comme tel au regard). Avec sa vue volontairement limitée où l’insignifiant (humidité plus ou moins forte de l’atmosphère, formes accidentelles des nuages, rafales de vent, raies ou trouées de lumière, etc.) tait jeu égal avec le détail signifiant (telle église, tels édifices, tels champs cultivés, etc.), le panorama de l’école hollandaise fait allusion à la multitude illimitée des apparences sous lesquelles une infime partie du monde sensible a pu se manifester. Plastiquement, cette modification fondamentale dans la perception de la nature se traduit par un considérable abaissement de la ligne d’horizon correspondant à un point de vue à hauteur d’homme, au point que le ciel occupe jusqu’aux deux-tiers du tableau (c’est cela cet "espace vacant", où il n ‘y a rien à voir. C’est lui encore qui signale un véritable attachement des peintres hollandais à la nature telle qu’elle est...) et par une évolution substantielle de la composition : la représentation du ciel, illimité par nature, va suggérer que l’espace continue indéfiniment verticalement et latéralement (les artifices de composition qui guident et canalisent le regard vers le centre du tableau où se déploie la profondeur de champ, tels que bosquets d’arbres ou buttes, disparaissent bientôt). Le champ visuel couvert par le paysage ne prétend plus tout contenir, c’est désormais un espace ouvert donc fondamentalement inachevé et incomplet. Esthétiquement, la scène offerte au regard demande une appréhension globale qui s’effectue d’un seul coup: c’est l’unité perceptive, préférée à l’unité "conceptuelle" du paysage du monde (où la représentation de la nature est une accumulation irrationnelle de phénomènes reconnus et reconnaissables).
Intellectuellement, la rupture avec les prétentions démiurgiques, l’impulsion cosmogonique, les inclinations à l’emphase, au tragique, au tourment mélancolique des paysages du monde est consommée : les paysages hollandais suggèrent avec obstination un monde qui est celui de la monotonie, du dérisoire, de la banalité, de la quiétude, de la retenue et de l’humilité... En revanche, techniquement, le paysage hollandais ne se démarque pas du paysage du monde, il en est le prolongement : par le perfectionnement de la perspective aérienne d’abord, où la valeur prend le pas sur la tonalité, mais aussi par le détournement des techniques complexes de composition existantes au service d’une image dépouillée, du "vide" (le paysage hollandais n’est "documentaire", "réaliste" que pour autant que l’on considère les motifs
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