Les pouvoirs de la parole
Synthèse : Les pouvoirs de la parole. Rechercher de 54 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar gertrude lacassos • 4 Mars 2025 • Synthèse • 3 106 Mots (13 Pages) • 18 Vues
HLP 1e 1e sem. Mme LUCAS
Séance 11 : BILAN de la PARTIE I : LE POUVOIR DE LA PAROLE
- L’art de la parole
Parler : Voilà qui semble naturel et spontané, même si l’on s’accorde à reconnaître que certains individus ont en la matière un talent plus manifeste que d’autres, qu’on appelle la tchatche dans le registre familier ou faconde dans le registre littéraire. A l’époque des matches d’improvisation, des battles de rap et autres concours d’éloquence, il faut cependant se méfier du mythe de l’inspiration : le flow du rappeur, le bagou de l’improvisateur, l’originalité et la finesse du rhéteur sont autant d’effets qui, pour ainsi dire, ne s’improvisent pas. Il faut, pour bien parler, être rompu à certains exercices, avoir assimilé les règles de l’art. Tout l’art du beau parleur réside dans le fait de donner l’illusion de la facilité en dissimulant le travail qui fait la maîtrise véritable.
Il n’a donc échappé à personne que la parole relevait d’un long et lent apprentissage. Depuis l’Antiquité, les rhéteurs et les professeurs de rhétorique multiplient les traités pour encadrer cet art, déterminer les contraintes imposées par les divers genres de discours, énumérer les différentes parties, et préciser pour chacun sa matière. Cela ne signifie pas que tous les orateurs se moulent dans un modèle universel qu’il s’agirait d’appliquer tel quel, tout au contraire. Une fois que l’on a compris les règles de l’école, il est bienvenu de se les approprier et de leur donner de la personnalité. C’est ce qu’on appelle le style : la manière unique d’utiliser un code partagé. Voilà ce qui est attendu de l’orateur qui, pour avoir « du style », doit savoir se prémunir contre certains défauts identifiés, cultiver des qualités attendues, en produisant un certain nombre d’effets sur son auditoire.
De cette façon, le discoureur saura s’illustrer librement dans des genres aux règles pourtant définies, en tenant compte des circonstances et du moment. Dans le genre épidictique (par lequel un orateur fait l’éloge ou le blâme de quelqu’un), il faut savoir identifier les caractéristiques saillantes de l’objet décrit et taire ce qui pourrait nuire à la thèse que l’on défend, à moins de prévoir aussi les objections que l’adversaire pourrait opposer pour les anéantir par avance. Proche du genre épidictique, mais dans une veine plus pondérée et argumentative, se trouve le discours judiciaire, qui structure encore la rhétorique juridique actuelle. Comme l’explique le philosophe Aristote dans sa Rhétorique, ce genre de discours s’attache à présenter un fait passé en vue d’accabler ou de dédouaner quelqu’un, selon qu’on est en position de l’attaquer ou de le défendre. Au contraire le discours délibératif porte sur l’avenir : son but n’est pas de conduire l’auditoire à telle ou telle opinion, mais de le pousser à agir. Dans le discours délibératif, on considère que la parole est assez efficace pour déterminer les comportements, pour pousser l’auditoire à changer de manière de penser, dévaluer et d’agir.
- Les règles de l’art
Qu’elle soit l’objet d’une réflexion théorique à travers la rhétorique ou le sujet de discussions philosophiques, la parole (logos en grec) est centrale en Grèce antique, puis à Rome. L’Occident doit beaucoup aux principes établis au temps de Périclès (Ve avant JC) par les rhéteurs et les philosophes en ce qui concerne les règles formelles de l’art de bien parler, mais aussi les principes – fondés sur la raison – de l’art de bien argumenter.
Du point de vue formel, on entreprend des classifications relatives aux genres rhétoriques (Aristote, Rhétorique) ; on décrit le parcours à suivre pour maîtriser le b.a.-ba de l’éloquence (Cicéron, De Oratore). L’art de parler témoigne de ce qu’est l’homme dans le monde, c’est-à-dire un être spirituel : en affichant ainsi sa maîtrise rationnelle, l’homme révèle en même temps le degré d’élévation qui l’éloigne de l’animalité. Cette idée fondamentale permet, aujourd’hui encore, de penser le rôle primordial de la rhétorique dans le renouveau de la culture. (Ex : Thomas d’Aquin, Texte ?)
- Qualités et défauts du style
Ce que nous admirons chez les orateurs, c’est moins leur maîtrise scolaire des règles et des procédés rhétoriques que la manière dont ils savent les dissimuler derrière l’unité de leur style. Voilà pourquoi, au-delà des règles, le vrai rhéteur doit éviter d’exhiber les ficelles de son discours (Aristote, Rhétorique). La pratique et la maîtrise permettent au rhéteur virtuose de faire passer pour naturel ce qui relève d’une technique, d’un artifice : c’est cela que les Anciens appelaient le style sublime.
Tandis que rhétorique et philosophie se sont longtemps opposées, dans la mesure où la première s’arrogeait l’apanage de la persuasion et la capacité de solliciter les sentiments, tandis que la seconde revendiquait le privilège de la rationalité et de la rigueur argumentative, la pensée classique a tâché de réunir les deux exigences de conviction et de persuasion, de beauté et de vérité, à travers un renouveau des canons esthétiques et poétiques (Boileau, L’Art poétique). Mais cette idée que la rhétorique devait être au service de la philosophie, la persuasion au service de la conviction, la beauté au service de la vérité, était déjà formulée par Platon dans le Phèdre. Pour lui, il ne s’agit pas d’exclure la rhétorique au nom de la recherche du Vrai, mais de la mettre au service de la pédagogie philosophique : pour se tourner vers la vérité, il faut d’abord la désirer, raison pour laquelle les philosophes, se révèlent souvent doués pour les éloges, surtout quand il s’agit de faire l’éloge de la vérité.
- L’éloge et le blâme
L’un des genres rhétoriques les plus prisés dans l’Antiquité est celui de l’éloge, évoqué par tous les traités de rhétorique. On y définit les moyens de mettre en valeur ou de déprécier quelque chose en citant des procédés rhétoriques appropriés comme l’amplification ou l’accumulation.
L’éloge et le blâme peuvent être sérieux (discours de Malraux qui fait l’éloge funéraire de Jean Moulin) ou plus humoristiques, notamment dans le genre de l’éloge paradoxal, qui consiste à mettre en valeur la grandeur de réalités dérisoires ou couramment dévalorisées, comme c’est le cas dans l’éloge du caillou, de la mouche ou encore de la calvitie (Synésios de Cyrène, Eloge de la calvitie).
- L’attaque et la défense
Les récits historiques et les joutes oratoires sont des confrontations dans lesquelles l’échange de parole ressemble à s’y méprendre à un échange de coups, le combat verbal permettant d’éviter d’en venir directement aux mains. N’est-ce pas d’ailleurs la vocation originelle des institutions qui, rendant la justice, permettent d’enrayer la spirale de la vengeance ? Si l’échange verbal est souvent conflictuel, c’est que la parole exprime des intérêts possiblement contradictoires : le dialogue bienveillant et pacifique n’est pas le plus commun. En témoignent les désaccords stratégiques et militaires récurrents qu’Homère imagine au cœur de son épopée de l’Iliade.
Aujourd’hui encore, la rhétorique judiciaire qui s’exerce lors des procès nous rappelle que tout discours se comprend à partir d’un point de vue, et que l’on peut avoir deux points de vue en totale opposition sur une même situation : il importe de mesurer la portée qu’ont les plaidoiries pour la vie d’un accusé (Paul Lombard, « Plaidoirie pour le procès de Christian Ranucci »). Puisque le but de la rhétorique judiciaire est ainsi d’imposer une version de l’histoire, tous les coups sont permis, dans la limite des règles fixées par le débat. Cela nous invite à nous demander si, en cherchant à avoir raison, les rhéteurs ne risquent pas d’en venir à utiliser des moyens illicites afin qu’on leur donne raison contre toute raison (Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison).
- Exhorter et dissuader
Si nous parlons pour essayer de communiquer notre vision du monde, nos valeurs et nos convictions, c’est souvent parce que nous voulons exhorter, c’est-à-dire modifier la conduite et le comportement de ceux à qui nous nous adressons. Un discours d’exhortation appartient donc à la rhétorique délibérative, dont le but est de pousser à agir et à choisir ce qu’il faut faire. Ainsi, on trouvera souvent de l’exhortation dans les discussions militaires à adopter (Winston Churchill, allocution prononcée à la Chambre des Communes, 13 mai 1940).
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