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Manifeste Du Surréalisme

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enu de se trouver à la hauteur d’une situation exceptionnelle telle que l’amour, il n’y parviendra guère. C’est qu’il appartient désormais corps et âme à une impérieuse nécessité pratique, qui ne souffre pas qu’on la perde de vue. Tous ses gestes manqueront d’ampleur, toutes ses idées, d’envergure. Il ne se représentera, de ce qui lui arrive et peut lui arriver, que ce qui relie cet événement à une foule d’événements semblables, événements auxquels il n’a pas pris part, événements manqués. Que dis-je, il en jugera par rapport à un de ces événements, plus rassurant dans ses conséquences que les autres. Il n’y verra, sous aucun prétexte, son salut. Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas. Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. À nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire l’imagination à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule imagination me rend compte de ce qui peut être, et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit ; assez aussi pour que je m’abandonne à elle sans crainte de me tromper (comme si l’on pouvait se tromper davantage). Où commence-t-elle à devenir mauvaise et où s’arrête la sécurité de l’esprit ? Pour l’esprit, la possibilité d’errer n’est-elle pas plutôt la contingence du bien ? Reste la folie, « la folie qu’on enferme » a-t-on si bien dit. Celle-là ou l’autre… Chacun sait, en effet, que les fous ne doivent leur internement qu’à un petit nombre d’actes légalement répréhensibles, et que, faute de ces actes, leur liberté (ce qu’on voit de leur liberté) ne saurait être en jeu. Qu’ils soient, dans une mesure quelconque, victimes de leur imagination, je suis prêt à

l’accorder, en ce sens qu’elle les pousse à l’inobservance de certaines règles, hors desquelles le genre se sent visé, ce que tout homme est payé pour savoir. Mais le profond détachement dont ils témoignent à l’égard de la critique que nous portons sur eux, voire des corrections diverses qui leur sont infligées, permet de supposer qu’ils puisent un grand réconfort dans leur imagination, qu’ils goûtent assez leur délire pour supporter qu’il ne soit valable que pour eux. Et, de fait, les hallucinations, les illusions, etc., ne sont pas une source de jouissance négligeable. La sensualité la mieux ordonnée y trouve sa part et je sais que j’apprivoiserais bien des soirs cette jolie main qui, aux dernières pages de L’Intelligence, de Taine, se livre à de curieux méfaits. Les confidences des fous, je passerais ma vie à les provoquer. Ce sont gens d’une honnêteté scrupuleuse, et dont l’innocence n’a d’égale que la mienne. Il fallut que Colomb partît avec des fous pour découvrir l’Amérique. Et voyez comme cette folie a pris corps, et duré.

Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination. Le procès de l’attitude réaliste demande à être instruit, après le procès de l’attitude matérialiste. Celle-ci, plus poétique, d’ailleurs, que la précédente, implique de la part de l’homme un orgueil, certes, monstrueux, mais non une nouvelle et plus complète déchéance. Il convient d’y voir, avant tout, une heureuse réaction contre quelques tendances dérisoires du spiritualisme. Enfin, elle n’est pas incompatible avec une certaine élévation de pensée. Par contre, l’attitude réaliste, inspirée du positivisme, de saint Thomas à Anatole France, m’a bien l’air hostile à tout essor intellectuel et moral. Je l’ai en horreur, car elle est faite de médiocrité, de haine et de plate suffisance. C’est elle qui engendre aujourd’hui ces livres ridicules, ces pièces insultantes. Elle se fortifie sans cesse dans les journaux et fait échec à la science, à l’art, en s’appliquant à flatter l’opinion dans ses goûts les plus bas ; la clarté confinant à la sottise, la vie des chiens. L’activité des meilleurs esprits s’en ressent ; la loi du moindre effort finit par s’imposer à eux comme aux autres. Une conséquence plaisante de cet état de choses, en littérature par exemple, est l’abondance des romans. Chacun y va de sa petite « observation ». Par besoin d’épuration, M. Paul Valéry proposait dernièrement de réunir en anthologie un aussi grand nombre que possible de débuts de romans, de l’insanité desquels il attendait beaucoup. Les auteurs les plus fameux seraient mis à contribution. Une telle idée fait encore honneur à Paul Valéry qui, naguère, à propos des romans, m’assurait qu’en ce qui le concerne, il se refuserait toujours à écrire : La marquise sortit à cinq heures. Mais a-t-il tenu parole ? Si le style d’information pure et simple, dont la phrase précitée offre un exemple, a cours presque seul dans les romans, c’est, il faut le reconnaître, que l’ambition des auteurs ne va pas très loin. Le caractère circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu’ils s’amusent à mes dépens. On ne m’épargne aucune des hésitations du personnage : sera-t-il blond, comment s’appellera-t-il, irons-nous le prendre en été ? Autant de questions résolues une fois pour toutes, au petit bonheur ; il ne m’est laissé d’autre pouvoir discrétionnaire que de fermer le livre, ce dont je ne me fais pas faute aux environs de la première page. Et les descriptions ! Rien n’est comparable au néant de celles-ci ; ce n’est que superpositions d’images de catalogue, l’auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l’occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d’accord avec lui sur des lieux communs : La petite pièce dans laquelle le jeune homme fut introduit était tapissée de papier jaune : il y avait des géraniums et des rideaux de mousseline aux fenêtres ; le soleil couchant jetait sur tout cela une lumière crue… La chambre ne renfermait rien de particulier. Les meubles, en bois jaune, étaient tous très vieux. Un divan avec un grand dossier renversé, une table de forme ovale vis-àvis du divan, une toilette et une glace adossées au trumeau, des chaises le long des murs, deux ou trois gravures sans valeur qui représentaient des demoiselles allemandes avec des oiseaux dans les mains — voilà à quoi se réduisait l’ameublement[1]. Que l’esprit se propose, même passagèrement, de tels motifs, je ne suis pas d’humeur à l’admettre. On soutiendra que ce dessin d’école vient à sa place, et qu’à cet endroit du livre

l’auteur a ses raisons pour m’accabler. Il n’en perd pas moins son temps, car je n’entre pas dans sa chambre. La paresse, la fatigue des autres ne me retiennent pas. J’ai de la continuité de la vie une notion trop instable pour égaler aux meilleures mes minutes de dépression, de faiblesse. Je veux qu’on se taise, quand on cesse de ressentir. Et comprenez bien que je n’incrimine pas le manque d’originalité pour le manque d’originalité. Je dis seulement que je ne fais pas état des moments nuls de ma vie, que de la part de tout homme il peut être indigne de cristalliser ceux qui lui paraissent tels. Cette description de chambre, permettez-moi de la passer, avec beaucoup d’autres. Holà, j’en suis à la psychologie, sujet sur lequel je n’aurai garde de plaisanter. L’auteur s’en prend à un caractère, et, celui-ci étant donné, fait pérégriner son héros à travers le monde. Quoi qu’il arrive, ce héros, dont les actions et les réactions sont admirablement prévues, se doit de ne pas déjouer, tout en ayant l’air de les déjouer, les calculs dont il est l’objet. Les vagues de la vie peuvent paraître l’enlever, le rouler, le faire descendre, il relèvera toujours de ce type humain formé. Simple partie d’échecs dont je me désintéresse fort, l’homme, quel qu’il soit, m’étant un médiocre adversaire. Ce que je ne puis supporter, ce sont ces piètres discussions relativement à tel ou tel coup, dès lors qu’il ne s’agit ni de gagner ni de perdre. Et si le jeu n’en vaut pas la chandelle, si la raison objective dessert terriblement, comme c’est le cas, celui qui y fait appel, ne convient-il pas de s’abstraire de ces catégories ? « La diversité est si ample, que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuers… [2]» Si une grappe n’a pas deux grains pareils, pourquoi voulez-vous que je vous décrive ce grain par l’autre, par tous les autres, que j’en fasse un grain bon à manger ? L’intraitable manie qui consiste à ramener l’inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux. Le désir d’analyse l’emporte sur les sentiments[3]. Il en résulte des exposés de longueur qui ne tirent leur force persuasive que de leur étrangeté même, et n’en imposent au lecteur que par l’appel à un vocabulaire abstrait, d’ailleurs assez mal défini. Si les idées générales que la philosophie se propose jusqu’ici de débattre marquaient par là leur incursion définitive dans un domaine plus étendu, je serais le premier à m’en réjouir. Mais ce n’est encore que marivaudage ; jusqu’ici, les traits d’esprit et autres bonnes manières nous dérobent à qui mieux mieux la véritable pensée qui se cherche ellemême, au lieu de s’occuper à se faire des réussites. Il me paraît que tout

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