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Humain Trop Humain

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uler une théorie de la sublimation des instincts pour expliquer la nature de toutes les valeurs humaines.

C'est donc une question de méthode qui se pose. Mais il se pose alors immédiatement un autre problème : le caractère foncièrement inhumain d'une connaissance qui ne recourt plus aux explications humaines habituelles. Non seulement, par une telle méthode, les sentiments humains les plus nobles se trouvent analysés en passions jugées viles, mais on retire du même coup ce qu'il pouvait y avoir de consolateur dans la contemplation de la partie la plus haute, la plus morale de l'humanité, et dans la pensée de sa destinée supranaturelle. Tout ceci est supprimé d'un coup, et la vérité devient ainsi laide et repoussante.

Cette première partie est ainsi partagée à peu près en deux groupes d'aphorismes :

les aphorismes qui montrent les erreurs de la métaphysique ;

les aphorismes qui posent les questions méthodologiques et morales sur les conséquences de l'impossibilité d'une perspective métaphysique sur le monde.

Le point sans doute essentiel est que Nietzsche fait dès le début du livre entrer le temps dans le champ de la pensée. Il n'est plus question de se demander ce qui vaut éternellement, et de donner ainsi une valeur absolue à certaines réalités, mais de penser le monde d'un point de vue fini, celui de l'homme, c'est-à-dire d'un être vivant, donc mortel, qui ne sait en somme pas grand chose sur le monde qui l'entoure ni sur lui-même. Il y a là une certaine ressemblance avec la démarche socratique, qui nous appelle à la modestie. Nous verrons que cette perspective temporelle sur la finitude humaine entraine une redéfinition complète du champ de la philosophie, en particulier une prise en considération de ces nombreux aspects de la vie humaine qui furent longtemps refoulés par la pensée éternelle (par exemple le rêve, dont l'interprétation a une place clé dans la méthode nietzschéenne).

À la fin de l'aphorisme, Nietzsche énonce les domaines qui doivent faire l'objet d'un nouvel examen ; ces domaines forment le plan du livre :

représentations et sentiments moraux, chapitre II

religieux, chapitre III

esthétiques, chapitre IV

basse et haute civilisation, chapitre VI

société, chapitre VII, VIII, IX

la solitude, chapitre X

Les trois premiers domaines sont donc la morale, la religion et l'art. Leur étude sera approfondie au fil des ans dans Aurore, le Gai Savoir, Généalogie de la morale, Crépuscule des idoles, etc. Nietzsche dégagera en effet les types de l'artiste (Wagner, l'artiste moderne) et de l'homme religieux (psychologie du prêtre dans la Généalogie), dont nous trouvons déjà les traits caractéristiques dans Humain, trop humain. Nous trouvons également déjà l'idée d'une double origine de la morale, idée qui sera l'objet de la généalogie.

Le domaine suivant, portant sur la société et la politique, conduit à l'élaboration d'une grande politique ; et la solitude est un thème lié au philosophe législateur qui réunit en lui plusieurs traits typiques de l'homme moral, artiste, religieux et politique.

Ainsi, la lecture scrupuleuse de Humain, trop humain donne une idée précise et développée de l'ensemble de la pensée de Nietzsche qui possède une unité et une continuité parfois occultées par le découpage en trois périodes de sa philosophie. Ce premier aphorisme nous donne à lui seul un plan relativement complet de toutes les oeuvres de Nietzsche ; néanmoins, il faut garder à l'esprit qu'on ne trouve pas encore explicitement les grands concepts auxquels on réduit Nietzsche - Volonté de puissance, Eternel Retour, Surhomme.

[modifier]§ 2. Péché originel des philosophes

À l'analyse des sentiments et des idées qu'il propose, Nietzsche oppose le point de vue de tous les philosophes : ceux-ci décrivent l'homme comme une vérité éternelle. Pour répondre à la question de savoir ce qu'est l'homme, les philosophes analysent l'homme actuel, et pensent ainsi le connaître dans son ensemble, ce qui donnerait une clé pour la compréhension du monde en général : le monde est conçu comme originairement semblable à l'homme. Cette théorisation est ainsi une téléogie dont l'homme est le centre.

Cette méthode a quelques présupposés que Nietzsche souligne particulièrement :

l'essence de l'homme est éternelle ;

elle est immuable au sein du devenir ; l'homme est en quelque sorte autonome, il est une réalité indépendante des choses ;

l'homme est mesure (Nietzsche fait allusion à l'étymologie de ce mot) absolue des choses ; thèse que Nietzsche reprend en disant que l'homme est l'animal qui fixe des valeurs, en croyant à l'objectivité de ces valeurs.

Ces attributs traditionnels de l'essence de l'homme sont étonnants par leur démesure, car il montre qu'en réalité l'homme s'est pensé comme Dieu. L'homme s'est ainsi pensé comme un être atemporel, dont l'essence n'est pas touchée par le monde et le devenir.

La thèse opposée soutenue par Nietzsche introduit au contraire, comme nous l'avons signalé plus haut, le temps dans la connaissance que nous pouvons avoir de l'homme. Plus exactement, le temps est l'élément essentiel de cette connaissance. Nous ne pouvons pas sérieusement penser l'homme comme un être sans histoire, qui ne serait pas modifié en son fond de manière substantielle, dont l'existence n'aurait pas fondamentalement de dimension temporelle. La connaissance même que nous pouvons en avoir est soumise au devenir, au changement, au temps. Cette thèse a des conséquences qu'il s'agit d'établir correctement, et Humain, trop humain en est une étape importante qui sera largement poursuivie par toutes les oeuvres suivantes de Nietzsche.

Une première étape consiste à modifier le vocabulaire de la philosophie, modification qui va également exprimer un changement dans le champ de déploiement de la pensée : en effet, la dimension historique de l'homme se traduit dans cette aphorisme par l'emploi de mots et d'expressions qui s'opposent au vocabulaire métaphysique : influence, modeler, événement, évolution humaine, résultat d'un devenir.

L'emploi de ces mots se fait dans les thèses suivantes :

d'une manière générale, l'homme est le résultat d'un devenir ;

ce devenir commence bien avant l'histoire connue, autrement dit nous ignorons totalement l'essentiel du devenir humain ;

l'histoire connue (à peine 4000 ans) présente une humanité relativement stable ;

les facultés humaines sont elles-mêmes un résultat ;

l'homme est influencé et modelé par la religion et la politique, parfois de manière très éphémère ;

il n'y a ni données éternelles ni vérités éternelles.

De là découle cette double conclusion : pour connaître l'homme, il faut établir une philosophie historique ; cette philosophie historique suppose de la modestie. En ce qui concerne la philosophie historique, il s'agit d'étudier l'être homme en tant que tel, c'est-à-dire selon deux axes :

en analysant les composants de ses sentiments et de ses idées ;

en décrivant leur histoire.

Cette méthode met particulièrement en valeur l'étude morale des hommes ; contrairement à la métaphysique qui étudie des réalités en apparence très éloignées de la réalité quotidienne de l'être humain, Nietzsche souhaite une science morale qui fasse l'observation de tous les petits courants de la vie (ce point est détaillé par exemple dans le Gai Savoir : le rythme des jours - fêtes, travail, repos - les problèmes de l'alimentation sur le moral, les conséquences de la vie en communauté, l'étude des différentes moeurs selon le travail, etc.).

Quant à la modestie, elle va être illustrée par Nietzsche dans l'aphorisme suivant avec le cas de la vérité.

[modifier]§ 3. Estime des vérités discrètes

Nietzsche a signalé dès le premier aphorisme la conséquence psychologique radicale de la réévaluation de l'humanité d'un point de vue historique. Sous une forme interrogative, il se demande en effet : faut-il être inhumain (alors que jusque là les philosophes furent trop humains) pour voir l'homme (ses sentiments et ses idées) et le monde (dénué de finalité) du point de vue de la philosophie historique ?

L'aphorisme trois apporte quelques précisions en abordant le problème de la vérité.

Pourtant, il y a ici un problème

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