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Traité sur les larmes salées et l’origine de l’homme

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Par   •  31 Mars 2016  •  Dissertation  •  1 689 Mots (7 Pages)  •  1 309 Vues

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Traité sur les larmes salées et l’origine de l’homme

Pourquoi nos larmes sont-elles salées ? Pour quelle raison l’être humain, sous l’effet d’une douleur physique ou d’une forte émotion, se met à sécréter une humeur liquide salée ? On pourrait se demander, à ce niveau, ce qu’on entend par « salé » – mais non, il suffit de regarder dans un dictionnaire pour comprendre que cela désigne simplement la présence de chlorure de sodium dans cette eau qui coule des yeux.

Pourtant, comme l’a démontré Balthazar[1], cette question du sel dans nos larmes ne saurait se réduire à la recherche stérile des causes matérielles de cette propriété, mais, au contraire, amène plutôt le penseur averti sur la question de la finalité ultime de cette propriété : autrement dit, « pourquoi », comme se le demande l’exégète, « la Providence intima aux larmes d’avoir le goût salé plutôt que tout autre goût » ? S’il y a là injonction divine, il faut donc bien que la réponse à cette question s’élève au-dessus des considérations matérialistes pour toucher à la condition spirituelle même de l’homme. C’est, du moins, ce que nous nous demanderons dans ce travail : le fait que les larmes sont salées est-il dû à l’effet du hasard, voire à un caprice divin ? Ou, au contraire, faut-il y voir une claire et distincte volonté divine derrière laquelle se dissimulerait un dessein pour l’humanité ?

Avant d’aborder notre propos, il peut être utile de rappeler que, nécessairement, les larmes devaient être salées et ne pouvaient pas être d’une autre saveur primaire[2]. Si l’on admet que les larmes sont l’expression d’une émotion intense ou d’une douleur, on est en effet forcé de reconnaître que des larmes d’une autre saveur n’auraient été d’aucune utilité : comment, par exemple, pourrait-on ressentir de la tristesse lors d’une déchirante et poignante rupture d’amour si, en même temps, on avait le visage qui colle en raison de larmes sucrées ? De même, comment supposer l’existence d’un fou rire poussé jusqu’aux larmes si nos yeux piquaient en raison de l’acide contenu dans ces mêmes larmes ? Pour des raisons analogues, les larmes ne peuvent évidemment pas être amères – même si, fait intéressant et sur lequel nous reviendrons, les larmes peuvent être qualifiées d’« amères », comme le démontre le titre du film de Rainer Werner Fassbinder Die Bitteren Tränen der Petra von Kant. Si nous avons donc démontré que les larmes devaient nécessairement être salées, rappelons que la question essentielle est : dans quel but, pour quelle raison, fallut-il que nos larmes soient salées – et non pas neutre ?

Nous pourrions supposer, dans un premier temps, que les larmes sont salées pour des raisons liturgiques : tout comme le pain de l’Eucharistie permet la communion avec Dieu tout en étant salé, les larmes seraient donc salées afin de permettre une communion avec Dieu. Le problème de cette réponse est qu’elle ignore le vin : la veille de sa Passion, le Christ a en effet donné du pain salé et du vin ; pourquoi donc nos larmes ne seraient-elles pas faites de Chateauneuf-du-Pape – assurant ainsi une liaison directe avec Dieu ? Relevons également que, si cette hypothèse était correcte, elle ne nous éclairerait guère sur le cas des musulmans, juifs, bouddhistes, animistes, etc. qui, eux aussi, ont des larmes salées – sans parler des athées. Il nous faut donc exclure de cette recherche tout recours à la religion.

Or, bien loin de se réduire à l’espère humaine, cette propriété d’avoir des larmes salées s’étend à l’ensemble des animaux terrestres ! Les chiens, les fourmilles, les vaches, les pélicans, les crocodiles : tous les êtres animés vivant sur terre partagent cette qualité – à l’inverse du poisson, qui n’a aucune raison de pleurer. Il faut donc en conclure qu’il existe une loi naturelle et universelle imposant des larmes salées : pour comprendre la finalité de ce sel, il suffit dès lors de comprendre pourquoi cette loi a été instaurée.

Pour ce faire, il s’avère nécessaire de rappeler que, selon le darwinisme et contrairement à une croyance largement répandue, l’homme n’est pas le descendant du singe mais le cousin du singe : autrement dit, il existe un ancêtre commun à ces deux membres de la même famille. Par extension et par réduction, il est ainsi possible de retrouver l’ancêtre commun de l’ensemble des animaux : comme nous le savons tous, c’est le poisson. Notre thèse, qui tient en une seule phrase, et se trouve par conséquent validée par le rasoir d’Ockham, est la suivante : si nos larmes sont salées, c’est tout simplement parce que nous venons de la mer. Flaubert, d’ailleurs, qui l’avait bien compris, affirmait : « les larmes sont pour le cœur ce que l’eau est pour les poissons »[3]. Or, l’eau pour les poissons, tout comme l’air pour l’homme, est un élément vital : sans eau, pas de poissons. De même, le sel des larmes est donc vital pour le cœur : sans sel, pas de cœur – ou plutôt, métaphoriquement pas de cœur, c’est-à-dire que les larmes salées constituent l’essence même de notre émotivité.

Mais quel est le rapport entre cette origine et le fait que le sel soit essentiellement lié à notre capacité émotive ? Pour le comprendre, il nous faut maintenant recourir au savoir biblique contenu dans la Genèse : jadis nous vivions dans le jardin d’Éden, certes ; sauf que jadis nous n’habitions ni sur terre ni dans les cieux mais dans la mer puisque nous étions un poisson. Donc, cette présence de chlorure de sodium dans nos yeux est une manière inconsciente, comme le disait Freud avec justesse, de nous remémorer notre origine ou de vivre une véritable réminiscence, comme le pensait Platon avec raison. J’en veux pour preuve que le poisson ne pleure jamais : il n’a en effet aucun motif de le faire puisqu’il n’a pas besoin de se rappeler par des larmes salées qu’il vient de la mer étant donné qu’il ne l’a jamais quittée. À l’inverse, chaque fois que nous pleurons, que ce soit de joie ou de tristesse, nous vivons donc un véritable retour dans ce qu’il faut bien qualifier de paradis perdu.

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