Le Centre Georges Pompidou
Mémoire : Le Centre Georges Pompidou. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiress. Il désacralisa surtout l'accès aux lieux culturels. Ce dehors-dedans permanent, cette irruption du paysage urbain à chaque détour, cette volée d'Escalator transparents, l'entrée gratuite, les horaires particulièrement souples (de 12 à 22 heures), le goût de la promenade et la certitude de pouvoir y passer ses journées sans s'ennuyer, comptent certainement parmi les grandes raisons du triomphe.
Car, malgré les thermes moqueurs - «supermarché de la culture», «aérolithe agressif déposé au coeur du Vieux- Paris», «King Kong architectural», «plate-forme de forage» - le succès du «monument qui doit marquer notre époque» (selon Georges Pompidou) a vite dépassé les estimations les plus optimistes. 26 000 visiteurs par jour dans un bâtiment prévu pour 7 000 (balayée la tour Eiffel!), soit 8 millions par an, dont 13% d'étrangers. De quoi transformer le rêve en cauchemar. Le «piège à spectateurs» espéré par Robert Bordaz, le premier président du Centre, a parfaitement fonctionné. C'est que rien n'a été négligé pour attirer les foules. Ni les moyens financiers (900 millions, en 1976) ni, bien sûr, l'ambition culturelle. Pluridisciplinaire avant tout (selon le voeu du père fondateur), la cathédrale des arts, conçue au temps de la prospérité, mais surgie en pleine crise, comptait plusieurs travées. D'abord le Musée national d'art moderne (Mnam), qui regroupe les collections du Cnac et du vieux palais de Tokyo et qui deviendra très vite, à coups d'acquisitions spectaculaires pas toujours nécessaires, l'un des plus grands musées du monde. Réunis au Mnam, la photo (avec un fonds exceptionnel) et le Centre de création industrielle (CCI) chargé de montrer l'architecture, les nouvelles technologies, le design en tout genre. Environnement, urbanisme, mobilier, bandes dessinées, publicité..., le CCI ratisse un maximum. Ville dans la ville, la cité Beaubourg compte encore un département consacré à la musique du futur, l'Ircam, créé par Pierre Boulez et dont la vocation est d'exploiter l'électronique du xxe siècle pour enrichir la palette sonore. Enfin, ce qui est peut-être le génie du lieu, la Bibliothèque publique d'information, gratuite et ouverte à qui le veut. Un rêve d'encyclopédiste: toute la mémoire du monde en self-service. Ses 1 800 places sont prises d'assaut dès l'ouverture par des cohortes hagardes, terrorisées à l'idée de ne pas pouvoir entrer.
A ces grands départements, l'ogre jamais rassasié adjoint un atelier pour les enfants et toute sorte de manifestations: spectacles, concerts, séances de danse, de cinéma, - le plus fort taux de remplissage de toutes les salles françaises - soirées poétiques, philosophiques, débats, cycles, festivals, conférences, projections, revues parlées. Que sais-je encore, tout ce qui ressemble à la culture.
«ON EN RESSORT LIQUIDÉ»
Une telle réussite n'est pas sans conséquence. L'exposition Matisse? «Les gens faisaient la queue comme au Rex, raconte une hôtesse, nous avons répondu à plus de 4 000 questions par jour. Passer sa journée au Centre, je ne connais rien de plus exténuant, à part le cross du ?Figaro?. On en ressort liquidé, gris comme la moquette. ?Beaubourg est un flipper, dit un graffiti. Si tu entres, c'est toi la boule...?»
C'est vrai que Beaubourg, escale obligée des tour-opérateurs, avec son obsession de la communication à coups de diapos, photos, cassettes, câbles, microfilms, banques de données, médiathèque, CD-ROM, CDI, Beaubourg, donc, suscite toujours la polémique, inquiète encore les sociologues: «Il s'y fait un véritable travail de mort de la culture. Les masses sont la catastrophe du Centre», dit Jean Baudrillard. Peut-être, en effet, faut-il contester le côté auberge espagnole du navire-laboratoire. Reste que, malgré la concurrence d'Orsay, de la Villette, du Grand Louvre, le public n'a cessé d'affluer. Il y a une magie Beaubourg bien plus forte que les anciennes balades à Orly.
Pourtant, la baraque est en mauvais état. La raffinerie a pris un sacré coup. Elle a vieilli. Plus vite que les Pyramides. Vieilli comme un bateau. Rouillée à 17 ans, la pauvre. Les problèmes du troisième âge en pleine adolescence. Elle a beau ripoliner sans cesse ses boyaux multicolores, toutes ces entrailles à l'air libre, cette peau de verre, ces os d'acier moulé ont besoin d'un sérieux lifting. Sans parler de la moquette bousillée, des parois salies, des murs jaunis. Il pleut dans les ascenseurs extérieurs rouges. La laideur des espaces intérieurs interdit la détente, les bureaux paysagers (vert pomme) sont incommodes et bruyants. Aucun lieu convivial n'accueille les visiteurs (70% ont moins de 35 ans, niveau moyen bac + 2). Le Forum (!) est d'une austérité repoussante - «C'est un café sans consommation!...» - un hall de gare noirâtre avec ses indicateurs, ses guichets, ses Escalator. Sinistre. Tout est à revoir. Heureusement, la copie sera revue.
A la tête du bastringue depuis août dernier, un énarque atypique, pas bêcheur ni hâbleur («Je suis un technocrate qui essaie d'avoir une âme», dit-il), l'air plus musicien qu'administrateur. Et c'est vrai qu'il connaît la musique, François Barré. A 55 ans, il arrive de la Délégation aux arts plastiques, et il a auparavant dirigé la Grande Halle de la Villette. Il a surtout, avec François Mathey, fondé le CCI, mais les deux hommes ont été «démissionnés» en 1976 par Bordaz pour mauvais esprit. Le voilà qui revient, «revanche involontaire, pas désagréable», à la tête du mamouth. Calme. Content. Prêt à affronter les orages de la rénovation. «Je suis toujours ébloui par l'édifice. L'utopie du Centre est encore fondamentalement présente dans cette architecture. Beaubourg est un modèle unique qu'on ne peut pas reproduire, un projet fou des années 60, celles de toutes les ruptures, de toutes les libertés. Le bâtiment est un spectacle qui regarde un spectacle, un composé de maison et de ville. Ça ressemble à l'urbanité...»
En revenant, dix-huit ans après, sur les lieux de l'amour, Barré reconnaît que «Beaubourg est beaucoup plus compliqué
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