Révolte Contre Le Destin
Recherche de Documents : Révolte Contre Le Destin. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresité rire – horreur. Dualité qui fait sans aucun doute le sel de cette œuvre, mais ne montre pas toutes les facettes du héros. De la même manière, une lecture politique ou morale de Caligula aura toutes les chances d’être fructueuse, mais ne nous
FREEMAN, Edward, «Camus, Suetonius, and the Caligula myth», Symposium, 24, I, 1970, pp. 230-242: «What Camus needed was not history but myth, and he found it in Suetonius, and best of all in the Life of Gaius Caligula. […] By now the differences which exist between Camus’ play and the source material from which it is derived should be clear. Camus has drawn on the anecdotal wealth of Suetonius for most of the incidents which make up the plot of the play, and has done so fairly accurately, as several critics have noticed. He has given himself, however, a completely free hand with regard to the factual essentials: the character and evolution of Caligula, his relationship with Drusilla, and the origin, nature, and timing of his madness.»
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Etant donné la nature de ce travail, nous nous bornerons à l’interprétation détaillée du monologue final (acte IV, scène XIV) qui est à notre avis le passage le plus délicat de l’œuvre.
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éclairera pas sur cette problématique. Il y a tout lieu de croire qu’un idéal républicain (au sens de Platon) se cache en creux derrière ce tableau d’un empire exsangue mené par un empereur tyrannique: l’idée d’un bon souverain philosophe existerait en filigrane, comme un négatif du portrait de Caligula. Toutefois, du point de vue de l’interprétation, c’est encore un constat d’aporie: comment expliquer, par exemple, l’aveu final de Caligula qui reconnaît avoir échoué? D’un point de vue politique et moral, la dernière scène de la pièce est au contraire le triomphe de l’innocence3, donc de la République et de la morale. Si Caligula avait tenté de «montrer le mauvais exemple», il aurait pleinement réussi. Cette piste n’est donc pas suffisamment pertinente. Pour avoir une chance de démêler les fils qui guideront vers une interprétation, il convient de remonter à la source, de suivre le fil d’Ariane qui nous mène du cœur du labyrinthe vers les textes antiques, afin de mesurer le chemin parcouru par Camus: entre similitudes et différences, tâchons de reconnaître les principes qui ont guidé la création du personnage de Caligula.
CAMUS, Albert, Caligula, Paris, Gallimard, 1958, acte IV, scène XIV, p. 171*: «Des bruits d’armes! C’est l’innocence qui prépare son triomphe.»
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* Désormais, nous notons les références à cet ouvrage ainsi: Caligula, acte, scène, page. La pagination est celle de l’édition de poche de 1993 éditée par Pierre-Louis Rey, réimprimée en 2007.
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2. Le grotesque et le dirigeant
La principale source antique de Camus est la Vie de Caligula de Suétone4. Il est important de préciser que le Caïus Caligula dépeint par Suétone a pu être fortement inspiré par sa mauvaise réputation d’alors. Ainsi, l’historien romain ne décrivit pas l’ancien empereur avec l’exactitude des scientifiques modernes, mais bien plutôt avec toute la dimension mythique qui lui est associée5. Malgré tout, Suétone présente l’empereur comme un personnage en tous points grotesque 6. Son aspect physique d’abord:
«La taille haute, le teint livide, le corps mal proportionné, le coup et les jambes tout-à-fait grêles, les yeux enfoncés et les tempes creuses, le front large et mal conformé, les cheveux rares, le sommet de la tête chauve, le reste du corps velu […]. Quant à son visage, naturellement affreux et repoussant, il s’efforçait de le rendre plus horrible encore, en étudiant devant son miroir tous les jeux de physionomie capables d’inspirer la terreur et l’effroi 7.»
Ensuite, l’alternance d’anecdotes burlesques8 et d’épisodes sordides9 prolonge dans la psychologie10 le caractère physiquement grotesque du
BASTIEN, Sophie, «Le Caligula de l’histoire: un empereur déjà camusien», French Studies, Vol. LIX, No. 3, 2005, p. 352.
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Idem., p. 351 et FREEMAN, ibid.
IEHL, Dominique, Le Grotesque, Paris, PUF, Coll. «Que sais-je?», 1997, 127 pp., p. 8: «un grotesque d’aliénation, de dérobade, qui rejoint les formes du songe, où le rire est étouffé par le tragique et devient le signe d’une inquiétante étrangeté.»
7 SUÉTONE, Vie des Douze Césars, Vol. II, Trad. AILLOUD, Henri, Paris, Les Belles Lettres, 1932, 156 pp., p. 100.
Voir l’écho de ces épisodes dans les outrages faits aux patriciens dans Caligula, acte II, scène première, le comportement de Caligula pendant un repas, scène V, la représentation du début de l’acte III, le concours de poésie de l’acte IV, scène XII, etc.
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De la même manière, voir le viol de la femme de Mucius, Idem, acte II, scènes V à VII, l’empoisonnement de Mereia, scène X, la strangulation de Cæsonia, acte IV, scène XII.
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CLAYTON, Alan J., «Note sur Camus et Suétone: la source ancienne de deux passages des Carnets», French Studies, Vol XX, No. 2, 1966, pp. 164-168.
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personnage, selon les canons de la physiognomonie antique 11. Suétone interpréta ainsi la folie de Caïus Caligula comme une psychopathologie ayant pour origine soit son apparence physique soit une maladie grave survenue peu après son accession au trône12. Camus, de son côté, le dit «moins laid qu’on ne le pense généralement 13.» Ce premier indice d’une discrépance entre la source antique et l’œuvre moderne se prolonge dans la réalisation psychologique du caractère de l’empereur. En effet, bien que considéré comme fou par de nombreux protagonistes de l’action14 , le Caligula de Camus n’est pas fou, dans le sens commun d’un aveuglement irrationnel qui pousse à agir selon son bon vouloir en toutes circonstances. Bien au contraire, il suit un programme établi dès les premières scènes de la pièce. Ce constat est soutenu par l’adhésion de Cæsonia15 , Scipion16 et Cherea17 , à des degrés divers. Ceux-ci reconnaissent chez Caligula une
DEPROOST, Paul-Augustin, «La Vie de Caligula de Suétone, cours 2002-2003», Itinera Electronica, http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/Enseignement/Glor2330/Suetone_caligula/notes.htm#50, consulté le 5 avril 2009.
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BASTIEN, op. cit., p. 358 Version de 1941, CAMUS, Récits, Théâtre et Nouvelles, p. 1745.
Caligula, acte IV, scène VI, p. 148: Hélicon, «Oui, je sers un fou.» Acte IV, scène VIII, p. 151: premier patricien, «Sa maladie n’est mortelle que pour les autres.» Acte IV, scène XIII, p. 170: Caligula, «j’exerce le pouvoir délirant du destructeur.» Acte I, scène IV, pp. 47-8: Caligula à Hélicon, «Tu penses que je suis fou. […] Mais je ne suis pas fou et même je n’ai jamais été aussi raisonnable. Simplement, je me suis senti tout d’un coup un besoin d’impossible.» Idem, acte I, scène XI, p.
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