Dissertation Gratuite Sur Facebook
Recherche de Documents : Dissertation Gratuite Sur Facebook. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresse, sans écoute, et donc sans réponse. Pour relativiser « l’industrie dialogique » qui a envahi l’ensemble des sciences humaines, j’essaie en effet de réintroduire la possibilité du monologisme pour certains énoncés (“La norme dialogique”, Semen 29, 2010). Comme me le fait très justement remarquer Alain Rabatel, linguiste dialogiste mais non dogmatique, le dialogisme est la norme, quantitativement et qualitativement parlant, ce qui n’empêche pas certains énoncés d’être monologiques, contrairement à ce qu’affirme la doxa bakhtinienne qui constitue actuellement le mainstream en analyse du discours. Je sais bien que tout énoncé est situé dans une interaction, mais je soutiens que cette interaction est, dans certains cas, illusoire, et que les gens parlent seuls : il y a les exemples extrêmes de l’autisme ou de certains discours pathologiques, qui sont le plus souvent cités par les dialogistes dogmatiques pour concéder quelques millimètres de terrain aux tenants du monologisme, mais à mon avis nombre d’énoncés dits « normaux » ne sont, littéralement, pas adressés. Soit parce qu’ils ne valent que pour confirmer justement le narcissisme du sujet, soit parce qu’ils ne sont tout simplement pas entendus, ce qui les ramène au cas de figure monologisme. La preuve en cette matière est notre expérience, nos épreuves de discours : nous savons tous ce que parler seul veut dire, que nous ayions été ce solitaire ou que nous ayions subi la parole centripète d’autrui. Les aphorismes facebookiens fournissent des preuves par l’exemple supplémentaires de cette parole illusoirement adressée.
Ce qui est intéressant, c’est que le support technologique du site implique la forme monologique : quand vous êtes inscrit sur Facebook, vous disposez d’un espace intitulé « Exprimez-vous », qui affiche automatiquement une phrase dont votre nom est le sujet. Tous les scripteurs n’utilisent pas cette forme, certains restant en première personne. Quelques exemples, relevés sur les murs des abonnés qui le laissent ouvert à tous ; ils ne sont donc pas représentatifs de l’ensemble des Facebookiens, puisque nombre d’entre eux n’ont pas de mur ou cachent leurs informations ; bien que les informations soient publiques, je masque les noms (et je respecte les graphies d’origine) :
– X dormez plein , dormez bien – 10 juillet, à 00:54
– X Tiens, tiens, bizarre, une journée sans foot!!! – 30 juin, à 13:45
– X bon demain reprise apres 3 semaines de stage oh putain que ça va etre dur !!!!!!!!!!! – 4 juillet, à 19:42
– X is hungry…waiting for Amy to finish facebooking so we can eat – 20 avril, à 01:01
– X En train de faire la sieste dans le camion!!! – 20 juillet, à 13:20 via Facebook pour iPhone
– X A comme une envie de sortir!! – 19 juillet, à 13:24 via Facebook pour iPhone
– X s’envole demain pour Guernesey, à l’hôtel [suit une information sur l’hôtel] – 17 juillet, à 14 :23
– X va faire tout à l’heure de la confiture de melon avec une recette de grand-mère – 15 juillet, à 19:24
– X samedi soir j’ai retrouvé mes hommes enfin pas pour longtemps car laurent repart encore et encore – 22 mai, à 22:26
Ces phrases ne constituent pas forcément des aphorismes, ce sont le plus souvent des informations. Elles finissent cependant par en devenir, à cause de leur forme brève et de leurs traits syntaxiques et discursifs, et également de leur lecture multipliée, ce qui est sans doute le trait le plus essentiel, bien que non interne, de l’aphorisme ou du pseudo-aphorisme : c’est finalement leur publicité qui les rend quasi universelles, leur donnant une sorte d’écho général. Faire de la confiture de melon devient du coup remarquable. L’aphorisation est donc contrainte, et la contagion spécifique au réseau social fait le reste (1) : sur Facebook, tout le monde aphorise, produit des petites phrases, par obligation technologique. Et l’aphorisme, c’est une des formes énonciatives les moins dialogiques, puisque c’est un énoncé bref à objectif généralisant (présent de vérité générale, déterminations généralisantes, décontextualisation, etc.). Voilà donc un lieu dédié au dialogue où chacun exprime de manière monologique son humeur ou son activité du moment, dans un mouvement unidirectionnel : s’exprimer n’est pas communiquer. Alors à quoi sert donc cette expression publique ?
À construire une image de soi, à maintenir une sociabilité (les « liens »), à se défouler (« j’en ai marre de cette thèse ! », lit-on ailleurs ) mais surtout, à recueillir une pseudo-réponse contrainte elle aussi par la technologie, « X aime ça », qui est un autre format disponible par clic. Facebook, mon beau Facebook, dis-moi si quelqu’un « aime ça », mais quoi, au fait ? ce que je fais, ce que j’écris, ce que je suis ? un peu de tout sans doute, l’essentiel est que l’autre estampille mon mur d’une marque de reconnaissance.
Sur le mur de Pierre Moscovici qui, de son propre aveu, est un « malade de Facebook » (interview télévisée juillet 2010), on trouve ainsi des choses étonnantes : quand il poste du politique, peu de « X aime ça » ; quand il poste de l’aphorisme narcissique, beaucoup plus d’estampilles, comme le montre la série suivante (je garde l’ordre chronologique inverse du site) :
– Pierre Moscovici Deux démissions ne sauraient résoudre la crise politique : ce gouvernement est carbonisé, ça ne peut plus durer ! – 5 juillet, à 01:20 - 15 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Bosse trop - 7 juillet, à 01:47 - 9 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici 199999 points cool : dois-je m’arrêter là ? - 8 juillet, à 16:42 - 8 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Je reste Cool [la veille d'un un débat sur les finances publiques et son intervention) - 9 juillet, à 12:46 - 13 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Il fait trop chaud pour travailller – 10 juillet, à 11:34 - 22 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Fragile démocratie | Pierre Moscovici www.pierremoscovici.fr - La semaine qui vient de s’écouler aura été marquée, de bout en bout, par le feuilleton de «l’affaire Bettencourt» et par ses conséquence - 6 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Il fait beau et chaud - 14 juillet, à 16:50 - 5 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Débat sur la reforme des retaites en Commission des finances:quelle impréparation! - 20 juillet, à 13:19 - 9 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici A perdu son iphone - 21 juillet, à 13:47 - 13 commentaires
– Pierre Moscovici Retrouvé ! Est-ce une bonne chose? - 21 juillet, à 14:08 - 12 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici En vacances ! - Hier, à 12:20 - 20 personnes aiment ça.
– Pierre Moscovici Décollage ! - Il y a 2 heures - 5 personnes aiment ça.
Derrière "Il fait trop chaud pour travailler" (22 estampilles) et "En vacances !" (23), arrive un énoncé politique, avec une forme d'ailleurs plus affective qu'analytique (15). Pierre Moscovici a par ailleurs un site personnel, et bien d'autres lieux d'expressions, où il parle politique. Son usage de Facebook est donc maîtrisé et peut-être planifié : une chambre d'échos qui redupliquent et reconnaissent les petites phrases, de manière à confirmer l'existence sociale, politique, affective. Dans la mythologie, la nymphe Echo est réduite au silence par Héra et condamnée à répéter les paroles de ses interlocuteurs ; une autre légende raconte qu'elle est éparpillée sur la terre par Pan, réduite à son écho.
Isabella le 08/08/2010 à 03:13
Je suis d’accord avec vous. Concernant le narcissisme, il me semble que l’on vit dans un système narcissiste qui n’arrête pas de se développer. C’est comme si l’on utilisait tous l’image à la place de la réflexion, comme si l’image apportait déjà une “vraie” réflexion : “connaître” devient inutile, car dispensable par l’image déjà évaluée. Peut-être je rêve là, mais le système culturel semble être comme ça. Bref, bon courage pour le prochain billet.
Isabella le 28/07/2010 à 20:08
Juste à titre de commentaire, car j’apprécie bcp le texte. Mais je ne vois pas bcp de différence entre écrire sur facebook ou écrire sur un blog. Sur un blog aussi, c’est un
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