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L'Esprit Nouveau

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nt cette recherche n'intéresserait-elle pas le poëte, elle qui peut déterminer de nouvelles découvertes dans la pensée et dans le lyrisme?

L'assonance, l'allittération, aussi bien que la rime sont des conventions qui chacune a ses merites.

Les artifices typographiques poussés très loin avec une grande audace ont l'avantage de faire na”tre un lyrisme visuel qui était presque inconnu avant notre époque. Ces artifices peuvent aller très loin encore et consommer la synthèse des arts, de la musique, de la peinture et de la littérature.

Il n'y a là qu'une recherche pour aboutir à de nouvelles expressions parfaitement legitimes.

Qui oserait dire que les exercices de rhétorique, les variations sur le thème de: Je meurs de soif auprès de la fontaine n'ont pas eu une influence déterminante sur le génie de Villon? Qui oserait dire que les recherches de forme des rhétoriqueurs et de l'école marotique n'ont pas servi à épurer le goût français jusqu'à sa parfaite floraison du xvii:e siècle?

Il eût été étrange qu'à une époque où l'art populaire par excellence, le cinema, est un livre d'images, les poëtes n'eussent pas essayé de composer des images pour les esprits méditatifs et plus raffinés qui ne se contentent point des imaginations grossières des fabricants de films. Ceux-ci se raffineront, et l'on peut prévoir le jour où le phonographe et le cinéma étant devenus les seules formes d'impression en usage, les poëtes auront une liberté inconnue jusqu'à présent.

Qu'on ne s'étonne point si, avec les seuls moyens dont ils disposent encore, ils s'efforcent de se préparer à cet art nouveau (plus vaste que l'art simple des paroles) où, chefs d'un orchestre d'une étendue inou•e, ils auront à leur disposition: le monde entier, ses rumeurs et ses apparences, la pensée et le langage humain, le chant, la danse, tous les arts et tous les artifices, plus de mirages encore que ceux que pouvait faire surgir Morgane sur le Mont Gibel pour composer le livre vu et entendu de l'avenir.

Mais généralement vous ne trouverez pas en France de ces "paroles en liberté" jusqu'où ont été poussées les surenchères futuristes, italienne et russe, filles excessives de l'esprit nouveau, car la France répugne au désordre. On y revient volontiers aux principes, mais on a horreur du chaos.

Nous pouvons donc espérer, pour ce qui constitue la matière et les moyens de l'art, une liberté d'une opulence, inimaginable. Les poëtes font aujourd'hui l'apprentissage de cette liberté encyclopédique. Dans le domaine de l'inspiration, leur liberté ne peut pas être moins grande que celle d'un journal quotidien qui traite dans une seule feuille des matières les plus diverses, parcourt des pays les plus éloignés. On se demande pourquoi le poëte n'aurait pas une liberté au moins égale et serait tenu, à une époque de téléphone, de télégraphie sans fil et d'aviation à plus de circonspection vis-à-vis des espaces.

La rapidité et la simplicité avec lesquelles les esprits se sont accoutumés à désigner d'un seul mot des êtres aussi complexes qu'une foule, qu'une nation, que l'univers n'avaient pas leur pendant moderne dans la poésie. Les poëtes comblent cette lacune et leurs poëmes synthétiques créent de nouvelles entités qui ont une valeur plastique aussi composée que des termes collectifs.

L'homme s'est familiarisé avec ces êtres formidables que sont les machines, il a exploré le domaine des infiniment petits, et de nouveaux domaines s'ouvrent à l'activité de son imagination: celui de l'infiment grand et celui de la prophétie.

Ne croyez pas toutefois que cet esprit nouveau soit compliqué, languissant, factice et glacé. Suivant l'ordre même de la nature, le poëte s'est débarrassé de tout propos ampoulé. Il n'y a plus de wagnérisme en nous et les jeunes auteurs ont rejeté loin d'eux toute la défroque enchantée du romantisme colossal de l'Allemagne de Wagner, autant que les oripeaux agrestes de celui que nons avait valu Jean-Jacques Rousseau.

Je ne crois pas que les événements sociaux aillent si loin un jour qu'on ne puisse plus parler de littérature nationale. Au contraire, si loin qu'on aille dans la voie des libertés, celles-ci ne feront que renforcer la plupart des anciennes disciplines et il en surgira de nouvelles qui n'auront pas moins d'exigences que les anciennes. C'est pourquoi je pense que, quoi qu'il arrive, l'art, de plus en plus, aura une patrie. D'ailleurs, les poëtes sont toujours l'expression d'un milieu, d'une nation, et les artistes, comme les poëtes, comme les philosophes, forment un fonds social qui appartient sans doute à l'humanité, mais comme étant l'expression d'une race, d'un milieu donné.

L'art ne cessera d'être national que le jour où l'univers entier vivant sous un même climat, dans des demeures bâties sur le même modèle, parlera la même langue avec le même accent, c'est-à-dire jamais. Des différences ethniques et nationales na”t la variété des expressions littéraires, et c'est cette même variété qu'il faut sauvegarder.

Une expression lyrique cosmopolite ne donnerait que des oeuvres vagues sans accent et sans charpente, qui auraient 1a valeur des lieux communs de la rhétorique parlementaire internationale. Et remarquez que le cinéma, qui est l'art cosmopolite par excellence, présente déjà des différences ethniques immédiatement dissemblables à tout le monde, et les habitués de l'écran font immédiatement la différence d'un film américain et d'un film italien. De même l'esprit nouveau, qui a l'ambition de marquer l'esprit universel et qui n'entend pas limiter son activité à ceci ou à cela, n'en n'est pas moins, et prétend le respecter, une expression particulière et lyrique de la nation française, de même que l'esprit classique est, par excellence, une expression sublime de la même nation.

Il ne faut pas oublier qu'il est peut-être plus dangereux pour une nation de se laisser conquérir intellectuellement que par les armes. C'est pourquoi l'esprit nouveau se réclame avant tout de l'ordre et du devoir qui sont les grandes qualités classiques par quoi se manifeste le plus hautement l'esprit français, et il leur adjoint la liberté. Cette liberté et cet ordre qui se confondent dans l'esprit nouvea sont sa caractéristique et sa force.

Cependant cette synthèse des arts, qui s'est consommée de notre temps, ne doit pas dégénérer en une confusion. C'est-à- dire qu'il serait sinon dangereux du moins absurde, par exemple, de réduire la poésie à une sorte d'harmonie imitative qui n'aurait même pas pour excuse d'être exacte.

On imagine fort bien que l'harmonie imitative puisse jouer un rôle, mais elle ne saurait être la base que d'un art où les machines interviendraient; par exemple, une poëme ou une symphonie composés au phonographe pourraient fort bien consister en bruits artistement choisis et lyriquement mêlés ou juxtaposés, tandis que pour ma part, je conçois mal que l'on fasse consister tout simplement un poëme dans l'imitation d'un bruit auquel aucun sens lyrique, tragique ou pathétique ne peut être attaché. Et si quelques poëtes se livrent à ce jeu, il ne faut y voir qu'un exercice, une sorte de croquis des notes qu'ils inséreront dans une oeuvre. Le "brékéké koax" des Grenouilles d'Aristophane n'est rien si on le sépare d'une oeuvre où il prend tout son sens comique et satirique. Les i i i i prolongés, durant toute une ligne, de l'oiseau de Francis Jammes sont d'une piètre harmonie imitative si on les détache d'un poëme dont ils précisent toute la fantaisie.

Quand un poëte moderne note il plusieurs voix le vrombissement d'un avion, il faut y voir avant tout le désir du poëte d'habituer son esprit à la réalite. Sa passion de la vérité le pousse à prendre des notes presque scientifiques qui, s'il veut les présenter comme poëmes, ont le tort d'être pour ainsi dire des trompe-oreilles auxquels la réalité sera toujours supérieure.

Au contraire, s'il veut par exemple amplifier l'art de la danse et tenter une chorégraphie dont les baladins ne se borneraient point aux entrechats, mais pousseraient encore des cris ressortissant à l'harmonie d'une imitative nouveauté, c'est là une recherche qui n'a rien d'absurde, dont les sources populaires se retrouvent chez tous les peuples où les danses guerrières, par exemple, sont presque toujours agrémentées de cris sauvages.

Pour revenir au souci de vérite, de vraisemblance qui domine toutes les recherches, toutes les tentatives, tous les essais de l'esprit nouveau, il faut ajouter qu'il n'y a pas lieu de s'étonner si un certain nombre et même beaucoup d'entre eux restaient momentanément stériles et sombraient même dans le ridicule. L'esprit nouveau est plein de dangers, plein d'embûches.

Tout cela ressortit pourtant à l'esprit d'aujourd'hui et condamner en bloc ces tentatives, ces essais, serait faire une erreur dans le genre de celle qu'à tort ou à raison on attribue à M. Thiers, qui aurait déclaré que

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