La Synesthésie

E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, ». D’autres conjonctions des sens tout aussi insolites sont possibles, elles impliquent les sons, les goûts, les odeurs et les sensations tactiles. On pourrait ainsi dire qu’un synesthète peut « goûter » une odeur, « voir » un son, …

On trouve encore, outre cette synesthésie bimodale, une autre, multimodale (au moins 3 sens croisés), une émotionnelle, lorsque les émotions déclenchent des stimulis, ou encore une cognitive, plus rare, lorsqu’un sens fait naître une image mentale.

3 – LE MONDE ÉTRANGE DE DANIEL TAMMET,

auteur du livre « je suis né un jour bleu »

Daniel Tammet est anglais et il est atteint d’une forme particulière d’autisme, le syndrome d’Asperger, sans retard cliniquement significatif du langage ou du développement cognitif, il a même un QI légèrement supérieur à la normale et il excelle dans des domaines qui impliquent la pensée logique et visuelle. Il souffre de crises d'épilepsie à l'âge de 4 ans, dont il est maintenant guéri définitivement, qui pourraient être à l'origine de sa synesthésie.

Doté d’une mémoire hors du commun, il va développer une véritable passion pour les langues étrangères : il en parle 11 couramment dont le Lithanien qu’il a appris en une semaine. Il créera d’ailleurs sa propre langue, le Mänti, inspirée des langues scandinaves, dont il dira « Le Mänti, c’est « peindre avec des mots». Mais il a surtout un rapport particulier avec les nombres. Compter le calme, le rassure : « Quand le stress est trop important[…], je ferme les yeux et je compte.[…] les nombres sont mes amis, ils ne sont jamais loin de moi. Chacun est unique et possède une « personnalité » propre.[…] 5 est bruyant, 4 est à la fois timide et calme[…] C’est ainsi que mon cerveau fonctionne ». Ils vont ainsi l’aider à surmonter les aspects douloureux de sa vie, le rejet notamment à cause de sa différence, son incompréhension des règles sociales, sa perception particulière du monde. Mais les nombres vont surtout contribuer à le faire connaître. En effet, il a été invité à de nombreuses reprises sur des plateaux de télévision pour effectuer des calculs mentaux prodigieux, c’est grâce à son record européen qu’il sera surnommé « l’homme ordinateur ». Il nous apprend également que lorsqu'il visualise les nombres premiers, il voit « des formes lisses et rondes comme des galets ». C’est d’ailleurs ce qui lui permet de les retrouver apparemment sans effort.

Ce jeune anglais a une autre particularité : les lettres, les mots, les chiffres, les concepts provoquent chez lui une sensation de couleur, différente, mais bien spécifique à chacun. Pourquoi le titre « je suis né un jour bleu ? » demande le journaliste à Daniel Tammet et ce dernier de répondre : « je suis né un mercredi et mercredi est toujours bleu ! ». Sa synesthésie « est d’un type inhabituel et complexe, car les nombres [lui] apparaissent comme autant de formes, de couleurs, de textures et de mouvements. Le nombre 1, par exemple, est d’un blanc brillant et éclatant, comme quelqu’un qui dirige le faisceau d’une lampe torche directement dans mes yeux. Cinq est un coup de tonnerre ou le son des vagues qui se brisent sur les rochers. Trente-sept est grumeleux comme du porridge, alors que 89 me rappelle la neige qui tombe. ».

Une grande partie du livre raconte la vie et le parcours de Daniel Tammet, son chemin volontaire vers l’autonomie, ses échecs, ses déceptions puis sa réussite personnelle et sociale, mais, tout au long du récit, l’évocation de sa synesthésie est toujours poétique, belle. Et il résume ainsi sa philosophie : « L'important n'est pas de vivre comme les autres, mais parmi les autres ».

Daniel Tammet a inspiré le réalisateur du film « RAINMAN », sorti en 2005, mais il a également inspiré les scientifiques qui se sont penchés sur cette « curiosité » pouvant contribuer à une meilleure connaissance du cerveau humain. Le jeune anglais s’est prêté volontiers à de nombreuses expériences réalisées par le Professeur Ramachandran, Professeur à l’université de San Diego en Californie et chercheur en neurosciences, d’autant qu’il est l'un des rares individus autistes à pouvoir mettre des mots sur ce qu'il vit, ressent et à en faire la synthèse.

4 – L’APPORT DE CE LIVRE POUR MA FORMATION ET SON INTÉRÊT POUR LA MÉDECINE ET LA SANTÉ

La synesthésie en soi n’est pas véritablement une maladie, il y a probablement des synesthètes qui s’ignorent, pensant que tout le monde perçoit la réalité comme eux, ce sont les cas « légers ». Mais, dans le cas de D. Tammet, ce dysfonc-tionnement lui permet d’accomplir, entre autres, des prouesses mathématiques et ce genre de phénomène ne doit pas rester simplement médiatique, il doit poser question, surtout pour les sciences humaines.

Lorsque nous étudions le cerveau, nous apprenons qu’il existe des aires dédiées à des facultés bien spécifiques : l’aire motrice, l’aire sensitive, l’aire visuelle, l’aire auditive, etc. Le consensus actuel décrit une assez forte spécialisation de l’anatomie cérébrale. Le lien serait-il plus nébuleux ?

Avec le développement de la neuro-imagerie fonctionnelle comme outil de diagnostic, des recherches pourraient s’avérer utiles et riches d’enseignement. La synesthésie est un phénomène qui pourrait nous apprendre beaucoup sur la complexité neuronale, la relation de nos circuits cérébraux avec nos sens et leur implication sur notre perception de la réalité.

Plusieurs scientifiques, (dont E.M. Hubbard, service hospitalier Frédéric-Joliot, Orsay) ont évoqué la possibilité d’une composante génétique de la synesthésie mais cela n’explique pas totalement le rôle fonctionnel des gènes, ni quelles sont les interactions entre gènes et environnement pouvant conduire à la synesthésie.

Pour Jean-Michel Hupé, chercheur au CNRS (Centre de Recherche Cerveau et Cognition de Toulouse), «les synesthésies peuvent être objectivées dans des test de psychophysiques et observées en IRM fonctionnelle – mais on est encore loin de pouvoir donner une explication neurobiologique à ces phénomènes.»

Selon Baron-Cohen