Gérer sans budget chez Rhodia
Commentaire de texte : Gérer sans budget chez Rhodia. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar gibbs • 7 Janvier 2020 • Commentaire de texte • 8 872 Mots (36 Pages) • 704 Vues
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Gérer sans budget chez Rhodia
En 1998, afin de se recentrer totalement sur le secteur des Sciences de la Vie, Rhône-Poulenc SA crée Rhodia par apport de ses secteurs Chimie et Fibres & Polymères. Le 25 juin, Rhône-Poulenc cède 32,8 % de sa participation dans Rhodia, qui est introduit en Bourse à Paris et à New York. La première année d'existence de Rhodia est consacrée à une mise sous tension : installation d'une organisation autour de cinq divisions mondiales ; augmentation de capital, pour assurer une structure financière saine ; construction des bases pour une nouvelle culture axée sur la création de valeur, la responsabilisation et la motivation des dirigeants ; lancement des premières actions transversales pour réduire les coûts et permettre d'améliorer rapidement la performance, trop faible encore par rapport aux sociétés comparables du secteur.
Le 15 Octobre 1999, Rhodia devient complètement indépendante de Rhône-Poulenc. Le désengagement de ce dernier du capital du Groupe a pris la forme d'un placement d'actions et d'une émission d'obligations échangeables. Cette double opération a accru significativement la liquidité du titre. Rhône-Poulenc, devenu Aventis, ne détient plus alors que 28,2 % du capital, dont 25 % correspondent aux obligations échangeables, et ne dispose plus que de deux membres au Conseil d'Administration de Rhodia. Le groupe a dû mobiliser une grand partie de ses ressources pour mener à bien cette opération, qui lui impose la gestion de services auparavant assurés par sa maison mère, mais lui offre en contrepartie une totale flexibilité stratégique.
C’est dans ce contexte de renouveau stratégique, et parallèlement à d’autres projets de changements des processus de gestion, qu’est lancée une tentative audacieuse de suppression du budget, outil traditionnel du contrôle de gestion.
Genèse et mise en place du projet Spring
En avril 1999, à l’issue d’un dîner au cours duquel lui a été présentée l’expérience menée par la société suisse Ciba-Geigy (qui après sa fusion en 1996 avec Sandoz est devenue Novartis), le Président de Rhodia, Jean-Pierre Tirouflet, décide de se « débarrasser » du budget, de plus en plus considéré comme un outil de gestion sclérosant. Cette décision n’est pas pour autant un caprice mais fait suite aux réflexions déjà engagées sur les modes de management du groupe et notamment sur les insatisfactions fortes exprimées à l’égard du budget. Ce dîner agit donc comme un catalyseur et montre aux dirigeants du groupe que leur réflexion n’est pas isolée.
Le Président reproche au budget de ne pas permettre d’envisager des processus de rupture stratégique mais d’inciter au contraire à la reconduction tacite du passé d’une année sur l’autre. De plus, le budget est totalement bottom-up. Or, l’agrégation qui est faite au sommet n’est pas adaptée à un style de management ambitieux. Comment redécliner un objectif qui a été « challengé » lors du processus budgétaire sans que cela ne prenne trop de temps. Ce qui est en cause est donc l’utilisation du budget comme outil de formulation de la stratégie. Enfin, de façon très pauvre, il n’est utilisé que dans une perspective financière, d’engagement de dépenses. Les cadres de Rhodia font ainsi cinq reproches au budget :
- L’exercice budgétaire est lourd et consommateur de ressources (temps, personnes), peu performant et ne répond plus aux attentes et objectifs des managers.
- Le budget est tourné vers le passé et l’extrapole. Rhodia veut désormais tourner ses efforts de réflexion vers l’avenir et les résultats financiers qui seront dégagés par le groupe.
- Le budget est rigide ; une fois élaboré, on ne peut pas le modifier en cours d’année, même si la situation l’exige.
- Le budget couvre une période trop courte (1 an) et n’anticipe pas l’avenir. On ne cherche pas à avoir une vision de long terme.
- Le budget ne favorise pas une culture ambitieuse, « de rupture », que la direction souhaite mettre en place.
Le Président veut mettre rapidement en œuvre un nouveau système de management ne reposant plus sur le budget. Pour ce faire, il demande une étude de faisabilité pour le mois suivant. Dès le début du mois de juin, le cabinet de consultants CSC Peat Marwick est choisi pour aider l’entreprise à développer ce projet. Un séminaire de cadres dirigeants de 2-3 jours est organisé durant l’été sous forme de brainstorming. A l’issue de cette réunion les premières solutions sont définies et le projet Spring est lancé dès l’automne. C’est aussi durant l’été qu’arrive Jacky Pinçon qui prend ensuite la direction du projet Spring. Sur l’origine du nom du projet, il existe un certain flou. En effet, le nom fait-il référence au printemps, époque à laquelle a été prise la décision de se débarrasser du budget ou à la renaissance du système de management de Rhodia que ce projet implique ?
Le projet Spring est qualifié de projet de changement du processus de management. En anglais, le terme retenu est « new strategic planning process ». On remarque que les deux définitions sont différentes et insistent l’une sur le management et l’autre sur la planification stratégique Or ces deux aspects sont bien présents et s’enrichissent mutuellement dans le projet Spring. Ce projet vient compléter des programmes lancés depuis 1998 et qui ont pour objectif d’améliorer les savoir-faire du groupe afin d’accroître sa performance opérationnelle :
- World Class Manufacturing est un programme d’amélioration continue de la performance industrielle fondé sur une réorganisation par processus.
- Jump est un programme de réduction des coûts de fixe sur les sites industriels (Jump 1, lancé en 1999) et des coûts des fonctions de support (Jump 2, en cours depuis 2000).
- Innovation est le programme d’optimisation de la recherche et développement.
- Bingo vise à améliorer les processus d’achat.
- Excellence commerciale cherche à restructurer et à revitaliser la force de vente mais aussi à développer le e-business.
Jacky Pinçon qui prend en charge le projet Spring avait auparavant été impliqué dans le projet World Class Manufacturing.
Le projet Spring est géré par un comité de pilotage composé de DAF (directeurs administratifs et financiers), appartenant aux divisions de l’époque, et du contrôleur économique corporate, sorte de contrôleur de gestion central. Le projet Spring comprend trois phases ou volets :
- Elaboration d’une stratégie.
- Elaboration de plans d’action en ligne avec la stratégie.
- Elaboration de prévisions glissantes sur un an.
Les DAF et le contrôleur économique se sont surtout sentis concernés par les deux dernières phases du programme, c’est-à-dire celles où les aspects financiers étaient les plus importants. Jacky Pinçon, accompagné d’une dizaine de personnes, a, quant à lui pris, en charge le premier volet du projet mais a rapidement été amené à s’intéresser au deuxième volet (l’élaboration des plans d’action) car il permettait de passer de l’élaboration à la déclinaison de la stratégie. L’amélioration de l’articulation des préoccupations stratégiques et financières était déjà une préoccupation à ce niveau car il apparaissait comme un point de convergence trop souvent négligé par le passé. Il s’agit donc là d’un point essentiel de la logique du projet Spring.
Traditionnellement, le contrôle de gestion, outil de déclinaison de la stratégie et essentiellement représenté par le contrôle budgétaire, se focalisait sur les données chiffrées et oubliait la logique plans d’action qui soutient tout développement stratégique. Il apparaissait plus important de produire rapidement des chiffres financiers que de se concentrer sur les raisons de fond qui entraînaient le calcul de ces chiffres. Certains ont résumé, de façon abrupte, cette constatation en affirmant que l’objectif du projet Spring était finalement de lutter contre la mono-culture financière qui semblait parfois s’être emparée du groupe. L’accent est donc mis sur les actions à développer dans le groupe pour suivre la stratégie plutôt que sur leur image financière et la ribambelle de chiffres qui en découle. Durant ces trois phases de réflexion, Rhodia est toujours aidé du cabinet de consultants CSC Peat Marwick. Mais Jacky Pinçon a également fait appel à l’Institut Renault pour la Qualité du Management (IRQM) et au cabinet Productivity qui interviennent uniquement pour le volet d’élaboration de la stratégie.
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