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À propos de la « naissance du village au moyen âge » : la fin d’un paradigme ?

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qu’il a écrit en collaboration avec l’archéologue Jean Chapelot, Le village et la maison au Moyen Âge. Cette publication marque une étape décisive dans l’histoire de la recherche sur l’habitat rural médiéval parce qu’il y pose les termes d’une thèse tranchée. D’un côté il décrit un habitat rural altomédiéval au plan lâche et mobile dans un terroir largement boisé ou en friches et dépourvu de réseau de communication :

[…] un semis léger et inégal, dense ici, inexistant là, peut-être même encore mal fixé, sujet à se déplacer au gré des nécessités d’une agriculture extensive, encore partiellement itinérante, dévoreuse d’espace qu’elle épuise parce qu’elle n’est pas maîtrisée. On doit donc s’attendre à des formes d’habitat très différenciées, du hameau

On notera au passage que Robert Fossier utilise la notion de « village temporaire » alors même qu’elle est contradictoire avec la définition qu’il donne du village, à savoir, entre autres, un habitat fixe et durable. L’image qu’il propose pour dépeindre la réalité alto-médiévale de l’habitat rural s’appuie sur les données archéologiques issues des premières fouilles, et en particulier celle de Brebières (la première fouille d’habitat rural du haut Moyen Âge en France) dont l’interprétation a donné lieu à l’expression d’une thèse misérabiliste ne tenant pas compte des « limites des sources », en l’occurrence ici celles de la surface explorée. D’un autre côté, à cette dévalorisation de l’objet « habitat rural du haut Moyen Âge » s’ajoute, en corollaire, une valorisation de la période autour de l’an Mil, au cours de laquelle se serait enclenché le phénomène de la « naissance du village ». Celle-ci correspond à la fixation de l’habitat autour de l’église ; elle s’accompagne d’une restructuration du parcellaire environnant en « zones cohérentes » soutenues par un réseau de desserte ainsi que d’une prise de conscience communautaire des villageois. Robert Fossier développe ce point, qui va devenir essentiel dans son propos, dans Enfance de l’Europe en

1. Je tiens à adresser mes remerciements à Joëlle Burnouf, Gérard Chouquer et Claude Raynaud pour les remarques et suggestions qu’ils ont bien voulu me faire.

Études rurales, juillet-décembre 2003, 167-168 : 307-318

Magali Watteaux

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1982 où il explicite, par la théorie de l’encellulement, l’idée qu’il avait déjà présentée dans sa thèse en 1968 (La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du XIIIe siècle) dans laquelle il plaidait pour un essor du monde agricole après l’an Mil lié à un changement des techniques agraires et au développement du cadre paroissial et de la seigneurie [1987]. Il construit une modélisation historique de la naissance du village à partir de celle créée par Pierre Toubert pour le Latium et la Sabine sur la base des sources écrites (l’incastellamento) tout en soulignant la spécificité de l’espace géographique qu’il étudie – l’Europe du Nord-Ouest – où le regroupement et la fixation des hommes sont plus le fruit de l’attraction des pôles cimetérial et ecclésial que de celle du pôle castral [1982]. Selon lui l’ampleur de ce phénomène et des mutations qu’il suppose est telle qu’il convient de parler d’une véritable « révolution » dans l’histoire européenne [1990 : 162]. Robert Fossier a sans cesse affiné sa théorie de l’encellulement et de la naissance du village, qui s’est très vite imposée à l’ensemble de la communauté scientifique. Édith Peytremann, dans sa thèse sur l’« archéologie de l’habitat rural dans le nord de la France du IVe au XIIe siècle » dresse un bilan historiographique très complet de cette recherche et montre comment cette thèse a été reprise, de façon plus ou moins nuancée, par les historiens et les archéologues [2003]. Ainsi Robert Fossier a très largement contribué à focaliser le débat sur la définition du village et sur son origine ainsi qu’à orienter l’interprétation des données archéologiques en fonction de ce modèle devenu paradigme au fil du temps. En effet, l’encellulement fonctionne aujourd’hui, et depuis une quinzaine d’années,

comme une grille de lecture obligée pour tout chercheur travaillant sur la période des Xe-XIIe siècles et sur l’habitat rural médiéval. Les bouleversements dus à l’archéologie préventive L’archéologie préventive, en mettant au jour un nombre très important de nouvelles données concernant l’époque méconnue du haut Moyen Âge, et ce sur de grandes surfaces, a permis d’ouvrir de nouvelles pistes d’investigation et d’engager une critique du modèle. Déjà, en 1988, la publication du catalogue de l’exposition « Un village au temps de Charlemagne », préfacé par Georges Duby, avait esquissé les premières divergences par rapport au modèle grâce à l’apport des fouilles préventives dans le nord de l’Île-de-France [Guadagnin 1988]. Le titre même était un pied de nez à la thèse de la naissance du village après l’an Mil puisqu’il sous-entendait que la forme du village ait pu exister bien avant l’an Mil. Claude Lorren et Patrick Périn ont été les premiers à critiquer véritablement cette définition, très franco-française, du village. De leur point de vue, on a surestimé la période 930-1080 (de la « révolution de l’an Mil ») dans la genèse du village, au détriment de la période mérovingienne [1995 : XIII-XIV]. Patrick Périn a souvent relevé la proximité qui existe entre les villages ou hameaux modernes et les cimetières mérovingiens ainsi que le faible nombre de créations de sites d’habitat au VIIe siècle (observation confirmée par Édith Peytremann pour les VIIe et VIIIe siècles). Les deux auteurs suggèrent donc d’interpréter la plupart des habitats du haut Moyen Âge comme des établissements plus ou moins dispersés qui voient le jour à partir de la

À propos

fin de l’époque mérovingienne. Leur abandon vers l’an Mil s’inscrirait dans un processus de regroupement au profit des anciens villages que nous connaissons encore aujourd’hui mais qui ne font que très rarement l’objet de sondages archéologiques. Ils estiment que la question est finalement biaisée parce qu’on ne peut appliquer à l’habitat rural alto-médiéval une définition élaborée à partir d’une situation postérieure, créant ainsi une sorte d’« illusion rétrospective ». Dans ce cas, comment qualifier un habitat du haut Moyen Âge qui comporte un ou deux des éléments caractéristiques du village selon Robert Fossier ? Comme le rappelle Patrick Périn [1992], les données archéologiques collectées en masse depuis les années quatre-vingt – à la faveur des travaux d’aménagement du territoire – mettent en évidence la présence fréquente d’un lieu de culte et d’une nécropole associés à l’habitat ; une cohérence interne des plans, due le plus souvent à des éléments structurants tels les voies, les cours d’eau ; la fréquence des palissades ou fossés pour délimiter la zone habitée; la longue durée d’occupation de certains sites ; la richesse en mobilier et en particulier l’abondance d’objets en métal ; l’existence de zones spécialisées qui témoignent d’une activité collective (aires d’ensilage, batteries de fours à pain, zones artisanales) et la présence fréquente d’artisanat (fer, os, tissage). Ces « faits archéologiques » démontrent que « l’habitat organisé […] existe bien en France dès avant la seconde moitié du IXe siècle, et notamment depuis l’époque mérovingienne » [ibid. : 225]. Dans le cadre d’une vaste synthèse, publiée au début de 2003, Édith Peytremann propose un changement de perspective, loin de la théorie classique de la naissance du village aux

environs de l’an Mil. Plutôt que de multiplier les définitions du village et de débattre de sa naissance, il est plus intéressant, de son avis, de s’attacher précisément à la dynamique du développement de l’habitat rural [op. cit.]. La délimitation géographique aléatoire de sa recherche (la France du Nord), parce qu’elle n’a pas de signification historique et évite de reprendre les espaces territoriaux habituels des historiens des sources écrites, l’oblige à recomposer les données collectées par les archéologues. À partir du dépouillement des Documents finaux de synthèse, des Bilans scientifiques régionaux et des chroniques de fouilles dans Archéologie médiévale, elle a constitué un corpus, non exhaustif, de 308 sites dont la répartition régionale varie en fonction des aléas de l’aménagement contemporain (65 sites en Îlede-France contre 6 en Franche-Comté). L’analyse de ces données lui a permis d’aboutir à une caractérisation régionale du développement chronologique, des éléments constitutifs, de la topographie et de l’économie des habitats ruraux du haut Moyen Âge. Le principal apport de ce travail est une proposition de modélisation de l’évolution de cet habitat en quatre périodes pour lesquelles elle donne les fourchettes chronologiques suivantes : • Période I (IVe-Ve s.) : ruptures et continuités; • Période II (VIe- mi-VIIe s.) : reprise de l’activité dans les campagnes et affirmation d’un nouveau type d’habitat ; • Période III (mi-VIIe-VIIIe s.) : expansion et réorganisation du monde rural ; • Période IV (IXe-XIIe s.) : continuités et

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