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Par   •  24 Novembre 2015  •  Fiche de lecture  •  2 829 Mots (12 Pages)  •  1 323 Vues

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Note de lecture –  Premier matin : comment naît une histoire d’amour - de J.C. KAUFMANN (256 pages)

 Armand Colin (29 août 2002) -  Collection Individu et Société

Jean-Claude Kaufmann est un sociologue et chercheur au CNRS spécialiste de la vie quotidienne.  Il s’est intéressé à thèmes tels que l'identité, la socialisation et la subjectivité ou encore l’amour. Ses nombreux travaux l’ont petit à petit conduit à concevoir ses propres méthodologies d’enquête, essentiellement basées sur une recherche sur un terrain très concret. Il a, entre autres, appliqué ce concept pour la rédaction de son ouvrage Premier matin : comment naît une histoire d’amour.

Dans l’introduction, l’auteur commence par nous présenter une forme de contexte à propos de la notion d’amour, duquel sa pensée et sa thèse ont progressivement émergé.  Après avoir souligné la place essentielle (d’idéal) qu’il occupe dans notre société contemporaine, l’auteur explique son intérêt pour les problématiques relatives à la vie conjugale, qu’il avait déjà commencé à étudier dans son livre La trame conjugale. En fait, la thèse qui lui tient à cœur est la suivante : qu’est-ce que l’amour ? Comment se forme-t-il ? Pour tenter de répondre à cela il a essayé de chercher le meilleur terrain ; après avoir éliminé le lit (trop intimement lié à un aspect purement sexuel), il a décidé de choisir le premier matin. Cela avait en effet des avantages non négligeables : un contexte spatio-temporel très précis et une situation qui permettait d’éviter les problèmes de « réécriture des débuts » lors des entretiens. Aussi, l’écrivain avance un postulat, qu’il va tenter de démontrer tout au long des chapitres : le premier matin est un événement à part entière qui est décisif dans la naissance (ou non) d’un couple.

Dans la première partie intitulée « scènes du premier matin », Kaufmann fait une décrit le contexte de son étude : il se penche sur les différentes étapes qui constituent le premier matin.

 Le premier moment évoqué est celui de l’éveil, qui est lui-même divisé en plusieurs phases. Ce passage est un moment de « flottement identitaire », à l’origine d’un sentiment de surprise (dû à l’inconnu) à double tranchant (agréable ou  qui suscite l’envie de fuite). Le réveil est aussi synonyme d’activité sensorielle qui mobilise tous les sens sans exception et donnent chacun à leur manière des informations sur la situation dans laquelle l’individu se trouve. Cependant le regard domine, les images étant des concentrés d’informations avec des « objets qui parlent ». L’éveil est aussi sujet au « dédoublement mental », c’est à dire l’individu est divisé entre une sorte d’ancien et de nouveau moi.

La deuxième étape est celle du « cocon-lit ». Kaufmann montre que le lit est un monde ambigu : il peut représenter pour les partenaires une protection (manière de fuir les réalités quotidiennes) mais aussi une réalité qu’il faut fuir urgemment. Lorsque la dominante est positive, les individus cherchent à éviter une rupture de ton, qui pourrait indiquer qu’on ne souhaite pas aller plus loin. Pour cela il y a différentes tactiques : faire trainer cette étape, changer sa manière d’être avec pour maitres mots « lenteur », « douceur », « chaleur », « bienveillance ». On cherche à préserver l’instant de partage où priment l’authenticité et le fait d’être simplement ensemble. Ces échanges ne sont pas sans difficultés (paroles, regards) qui sont immédiatement là aussi évitées par des astuces : baisers etc.

Cependant, dans la réalité, ce prolongement est souvent mis en péril : des impératifs nous forcent à sortir : c’est la troisième étape (sortie du lit). La difficulté qui en découle est alors celle de la pudeur. Les individus ont conscience d’une rupture : les comportements, pensées, enjeux ne sont plus les mêmes, mais aussi les regards portés l’un sur l’autre ne sont plus les mêmes. Le sentiment  d’être jugé et observé (pourtant souvent guidé par de la curiosité et de l’admiration/attraction) entraine la peur (faible estime de soi, pensées de l’autre incertaines) et amène à envisager des tactiques de camouflage, qui contrastent avec l’ambition d’authenticité. L’auteur évoque d’autres manières de faire diversion : rire, mots d’amour etc.

 La quatrième étape décrite est celle de la toilette. L’inquiétude et l’angoisse amplifiées par le regard froid du partenaire vont inciter fortement la personne à se camoufler, s’éloigner (salle de bains, porte)  - l’enfermement solitaire a aussi l’avantage de laisser un temps pour se retrouver et réfléchir-et à vouloir tricher pour plaire (coiffure, haleine etc.). L’auteur questionne alors l’idée d’authenticité : quelle limite ? En fait il faut trouver le bon dosage entre authenticité pure et l’excès d’artifice. La salle de bain engage aussi une démarche d’observation, pour s’adapter aux habitudes de l’hôte.

 La dernière étape décrite par l’auteur est celle du petit déjeuner, qui a la particularité d’être, quelles que soient les modalités, un univers  de socialisation (tête-à-tête/amis/famille) pouvant être plein de charmes mais aussi semé d’embuches. Ce moment est marqué par un nouveau flottement identitaire ou le moi amoureux affronte le moi de la vie sociale et publique. Pour éviter une rupture, il existe plusieurs tactiques : déjeuner au lit, créer l’événement (une habitude très récurrente est la quête des viennoiseries à la boulangerie).  La difficulté du petit déjeuner réside dans la prise des marques, avec le dilemme entre s’immerger complètement ou s’accrocher à ses références. On peut avoir affaire à une vraie « guerre de positions ».  Le petit déjeuner implique différents enjeux : style conjugal (typifier l’autre) et engagement conjugal (quelle suite ?). Le petit déjeuner est encore un moment d’observation faisant naitre du stress (avec un silence caractéristique) et  où sont développées des ruses (plus ou moins offensives) pour tricher. Le petit déjeuner est une situation décisionnelle. Les options qui y sont liées sont nombreuses mais confluent vers un même enjeu : poser les bases d’une relation conjugale.

La deuxième partie « horreurs et bonheurs des premiers matins » est subdivisée en 3 parties distinctes.

        La première concerne les matins chagrins marqués par une perte de repères identitaire mal vécue par la personne. Les matins chagrins sont entre autres mis en avant par le dégout, la répulsion exprimée envers le partenaire. Cependant, cela ne condamne pas forcément l’avenir des deux acteurs. L’individu est tourmenté par le changement de définition de la situation et n’a d’autres choix que d’augmenter la distance. Si l’autre ne ressent pas la même chose cette réaction peut être assez violente et déstabilisatrice, surtout quand aucun motif n’est donné. Pour faciliter la rupture les personnes utilisent divers prétextes : rendez-vous, amnésie, silence etc. Les matins chagrins sont caractérisés par de nombreuses émotions négatives telles que l’angoisse, l’agacement, la gêne, le malaise, la honte ou encore la peur. Ces troubles renvoient à une sorte de dissonance identitaire. L’auteur parle de « double dissonance » et donc de « double rejet » : entre moi de la veille et du matin, et entre les deux partenaires.

        La deuxième sous partie est dédiée aux matins enchantés. Kaufmann explique que les bonheurs ont différentes causes et ampleurs, les grands, aussi fragiles soient-ils, ayant une source unique qui est purement « l’entrée dans la conjugalité », l’amour lui-même.  Les matins heureux ont un ton et un style particulier : ils sont liés à une idée de douceur, de gentillesse, de « plénitude vide ». Cependant, trois aspects sont particulièrement mis en avant : la rupture événementielle (théorie du non-événement), le joyeux délire (signe d’un faux ordinaire, paradoxal) et le bien-être. L’auteur explique que le bonheur contribue à sublimer l’univers matinal. C’est ce qu’il appelle le « paradoxe de l’ordinaire ». L’ordinaire a d’autant plus d’importance qu’il permet d’aider dans la décision sur l’avenir du potentiel couple. Il évoque ensuite des travaux d’éthologie qui ont montré comment certains événements (comme les premiers matins) sont propices à une « réceptivité aux événements » qui conduisent la personne à progressivement une mutation identitaire (effacement du vieux moi), et cela du fait de l’empreinte naissante.

La troisième partie développée concerne les matins anodins.  L’auteur se demande s’ils ne cacheraient pas une « tempête intérieure ». Les interviewés ont tendance à rationaliser les événements en donnant du sens à des choses qui n’en ont pas forcément. Les récits mettent en avant deux principes opposés : la « pure continuité » et le « lien profond » (alternative contemporaine de la croyance en l’amour poussé par la destinée). En fait, le sentiment qu’il ne se passe rien est une illusion surtout lorsque l’on a conscience des enjeux. Les acteurs vont alors avoir tendance à avoir recours à un lissage des interactions et à la structuration de la continuité (exemple : ils se réfugient dans la vie quotidienne). Les individus vont jusqu’à créer le non-événement pour détourner l’attention et passer à la suite. La situation est donc paradoxale puisque malgré les efforts produits pour faire comme s’il ne se passait rien, quelque chose de déterminant est en train de se jouer. Ensuite, Kaufmann évoque une autre tactique de banalisation liée au concept d’ « anomie » (malaise dû à une perte de repères fondateurs de la pensée et des actions) développée par Durkheim. Certains partenaires semblent arriver à « jouer de l’anomie » pour rendre le matin anodin : « s’évader hors des contingences normales pour brouiller les frontières du moi ». Cependant, cette méthode à des limites : on a besoin d’un minimum de repères (besoin de savoir qui est l’autre, ce qui va se passer etc.). On a alors affaire à un double registre : flottement anomique et tentative de définition des règles de l’échange (idée qu’il va étayer avec le cas d’Isa et Tristan).

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