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omme du produit du travail de la société est si grande que tout le monde y est pourvu avec abondance et que l'ouvrier, même de la classe la plus basse et la plus pauvre, s'il est sobre et laborieux, peut jouir, en choses propres aux besoins et aux aisances de la vie, d'une part bien plus grande que celle qu'aucun sauvage pourrait jamais se procurer. » 2. Ch. Rist 1904 : « La libre concurrence réalise la justice dans la distribution des richesses comme le maximum de bien-être dans l'échange et la production. »

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MAURICE GODELIER

au grand jour le « plein idéologique » des concepts de l'économie politique classique, c'est-à-dire le jugement de valeur que la société bourgeoise portait sur elle-même, se concevant et se vivant comme terme du progrès de 1' « humanité », forme dernière de la « civilisation ». Ce miroir à deux faces, rassurant, allait se ternir dans les dernières décennies du xixe siècle. Avec l'œuvre de Morgan allaient apparaître la richesse multiple des formes de société primitive et leur mécanisme intime fondé sur le fonctionne ment rapports de parenté. Un des premiers, l'auteur d' Ancient Society des (L. H. Morgan 1877) mit en évidence l'existence, au sein des sociétés primitives, d'une révolution gigantesque des forces productives depuis les formes les plus humbles de la collecte jusqu'à l'Age du Fer des tribus indo-européennes et il y vit l'un des principes rendant intelligibles la diversité et la succession des formes de parenté et de communauté primitives et les « ordonnant » le long d'une séquence historique et logique. La science ethnologique était enfin fondée mais, paradoxale ment, la mesure où, selon Morgan, la réciprocité des rapports primitifs de dans parenté excluait l'échange, son œuvre laissait intacts et même renforçait ces deux pré-supposés de la vision traditionnelle des sociétés primitives. Il fallut attendre les travaux de F. Boas (1898) et de B. Malinowski (1920-21) pour que compétition et échanges s'imposent comme des traits essentiels du fonctionnement de nombreuses sociétés primitives. En même temps, du fait que kula et potlatch se développaient au-delà de la sphère des activités de subsis tance, se brisait l'image du primitif écrasé par la Nature et ne se préoccupant que de subsister. L'économie primitive apparut composée, comme toute autre économie, de secteurs distincts dont l'un est tourné vers les activités de subsistance, l'autre vers des activités de « prestige » liées au contrôle du pouvoir et à l'exercice des fonctions et statuts les plus valorisés au sein de la société. Pendant longtemps, ces deux secteurs furent conçus comme disjoints, voire opposés dans leur fonc tionnement, la compétition se limitant à des objets précieux et les biens de subsistance n'entrant pas dans l'échange1. Les travaux récents infirment de plus en plus le bien-fondé de cette thèse et ont une portée qui déborde de beaucoup la seule interprétation du commerce kula et du potlatch2. (Notre analyse de la « monnaie de sel » des Baruya ajoute un exemple qui va dans le même sens.) Cependant, plus profondément encore, les découvertes de Boas, Malinowski et Thurnwald, s 'ajoutant aux matériaux accumulés depuis Morgan et Tylor, exigeaient l'élaboration d'une théorie nouvelle de l'économie primitive. Mauss s'attaqua le premier à la tâche en publiant, en 1924, l'Essai sur le Don, forme archaïque de l'Échange. En soulignant les caractères originaux du Don dans les sociétés primitives et sa fonction multiple, totale, combinant le jeu des rapports 1. C. Du Bois 1936 : 49-65. 2. Cf. S. Piddocke 1965 : 244-264 ; A. P. Vayda 1961 et J. P. Uberoï 1962, ch. 8 : 148-157.

« LA MONNAIE DE SEL »

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de production, de parenté et du pouvoir, il inaugurait une démarche que reprirent largement Polanyi1 et l'école « substantiviste », et que nous faisons nôtre. Mais Mauss était un philosophe et un juriste, non un économiste, et il ne chercha pas à expliciter les conséquences théoriques que ses analyses pouvaient avoir dans le champ général des doctrines économiques. Karl Polanyi, au contraire, s'efforça de distinguer avec soin les plans d'accord et de désaccord avec ces doctrines. Il accepta des classiques et de Marx la définition de l'activité économique comme production, circulation et consommation de biens matériels, mais n'accorda aux théorèmes expliquant les mécanismes de l'économie de marché qu'une portée limitée dans le domaine de l'anthropologie économique, limitée aux cas localisés où ces sociétés avaient développé des formes d'économie marchande. A côté de ces théorèmes, il proposa d'expliquer les formes non marchandes de ces économies par le jeu de mécanismes de réciprocité et /ou de redistribution enracinés dans les rapports de parenté et d'autorité. Malgré ses promesses l'œuvre reste en chantier et souffre de l'absence d'études directes et quantitatives sur le terrain. C'est en cette direction que sont engagés J. Murra (1956 : 47-59), M. Sahlins (1961), A. P. Vayda (1961b), R. Rappaport (1967) et nous-même. A ce courant s'oppose radicalement l'école « formaliste » qui, de Knight à Burling en passant par Herskovits, Leclair, Salisbury, Belshaw2, affirme que la théorie néo-marginaliste fournit les instruments théoriques nécessaires pour expliquer les mécanismes fondamentaux des économies primitives. En fait, les apparences sollicitent cette annexion. S'il y a compétition, il y a donc recherche par les individus et les groupes d'un maximum de satisfactions sociales et ceci suggère que l'on regarde du côté des théorèmes formels des doctrines marginalistes héritées de Walras, Pareto et Menger. En même temps la définition formelle de la science économique comme « science qui étudie le comportement humain comme une relation entre des fins et des moyens rares qui ont des usages alter natifs » semblait une fois de plus confirmée, consacrant définitivement la déroute de la définition réaliste, « substantiviste » de l'économie qui était le fondement commun des théories de Smith, Ricardo et Marx. Nous avons démontré ailleurs que cette définition de l'économie politique vidait de tout contenu la notion d'activité économique puisqu'elle définit en fait la « forme » de toute activité finalisée3. Cependant — et sur ce point nous nous séparons de Polanyi et Dalton — , certains développements de l'approche marginaliste peuvent être avantageuse1. Les essais les plus importants de Polanyi (1968) viennent d'être publiés par G. Dalton. Cf. aussi G. Dalton 1961 : 1-25. 2. M. Herskovits 1952. Voir la discussion Knight-Herskovits à la fin de l'ouvrage. Cf. également E. E. Leclair 1962 : 11 79-1 203 ; R. F. Salisbury 1962 ; S. Cook 1966 : 323-345 ; C. Belshaw 1965 ; M. Nash 1966 avec la discussion dans Current Anthropology, June 1967 : 244-251. 3. M. GoDELiER 1965 : 32-91.

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ment utilisés dans le champ de l'anthropologie économique pour rendre compte de la formation des taux d'échange dans des situations de rareté et, plus générale ment, la rationalité intentionnelle du comportement des individus et des de groupes dans les sociétés primitives. Mais, par-delà, demeure la tâche essentielle de la théorie économique qui est de mettre à jour le fondement « inintentionnel » de la logique et de l'évolution des structures économiques. Si tel est le contexte théorique des recherches actuelles sur les formes de monn aie et d'échange dans les sociétés primitives, quels seront le sens et la portée théo riques de notre analyse de la « monnaie de sel » des Baruya de Nouvelle-Guinée ? II. — La société baruya Les Baruya1 forment un groupe de i 500 individus environ, répartis dans une douzaine de villages et hameaux du sub-district de Wonenara qui, en juin i960, fut la dernière région des Eastern Highlands de Nouvelle-Guinée à passer sous le contrôle de l'Administration australienne. Par la langue, la culture matér ielle et l'organisation sociale, ils appartiennent à un ensemble original de tribus connues désormais sous le nom de « Kukakuka », terme offensant utilisé par certains de leurs voisins et popularisé depuis son adoption par l'Administration australienne. Linguistiquement, les Kukakuka ne sont reliés ni au phylum des langues des tribus des Highlands ni aux langues mélanésiennes des tribus côtières de Papouasie ou de Nouvelle-Guinée2. Leur nombre est estimé à 50 000, dont la majorité vit dans la partie nord d'un immense territoire extrêmement accidenté s'étendant de la rivière Vailala à l'ouest à la rivière Bulolo à l'est, et de la rivière Watut au nord aux abords de Kerema sur la côte de Papouasie. En Papouasie, quelques groupes à peine contrôlés mènent une existence « nomade » dans une région forestière extrêmement difficile d'accès et protégée des contacts par sa trop grande distance des patrol-posts de Menyamya, Kantiba et Kerema. La réputation des Kukakuka est celle de tribus guerrières, pour la plupart cannibales, dont les raids semaient la terreur dans les tribus voisines et qui vivaient en état de guerre perpétuelle3. Victimes de

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