La Querelle Du "Contenu" Et Du "Processus" : Les Enjeux De La Transformation Du Champ De La Stratégie
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Management Journal depuis sa fondation en 1980 jusqu’à 1993 (Déry, 1996), le champ de la
stratégie est assez nettement divisé en deux sous-champs, qui forment des systèmes de
références distincts, et qui sont appuyés sur des “disciplines de base” différentes :
- d’une part, le sous-champ du “contenu” de la stratégie, fortement structuré, qui est
clairement dominant en quantité, et qui procède essentiellement de l’économie,
- d’autre part le sous-champ du “processus” stratégique, plus éclaté, minoritaire, davantage
inspiré par la sociologie, la science politique, la psychologie, ou l’anthropologie1.
La question que l’on voudrait poser est la suivante : les évolutions récentes de la stratégie, qui
ont amené à la substitution, comme paradigme dominant, de l’approche centrée sur les
ressources à l’analyse concurrentielle “portérienne”, remettent-elles en question ce clivage
entre “contenu” et “processus” ? dans quelle mesure ? et sur quels points spécifiquement 2?
Les transformations d’un champ divisé
Une remise en cause de la partition du champ marquerait en effet une évolution disciplinaire
d’une autre ampleur qu’un glissement interne au seul domaine du “contenu”. Car cette
partition est, selon Déry, une des bases sur lesquelles le champ s’est institutionnalisé à partir
de 1980. Rappelons brièvement les étapes de l’histoire de la discipline. La stratégie a évoluée
de la “politique générale d’entreprise” (1908-1959) à la “planification stratégique” (1960-
1969) puis au “management stratégique” (1970-1979). Gardant durant cette période un lien
1 L’analyse du seul SMJ induit bien sûr une limite à cette description de la structure de la discipline (ce que R. Déry n’ignore
évidemment pas). On peut en effet soutenir que si le SMJ privilégie les recherches portant sur le “contenu”, alors il est possible
que les articles traitant du “processus” soit dirigés par leurs auteurs vers d’autres supports, plus ouverts à leurs options
théoriques et méthodologiques, notamment les revues centrées sur les théories de l’organisation (ASQ, Organisation Studies,
Organization Science, etc.), ou vers les revues à vocation pluridisciplinaires (Academy of Managament Science et Academy of
Managament Journal, Journal of Management Studies, etc.). Pour autant, à l’évidence, ces papiers ne sont pas exclus du champ
de la stratégie, et l’on peut émettre l’hypothèse d’une sous-estimation numérique des travaux relevant du “processus” si l’on
extrapole à partir des données issues du seul SMJ. Cette limite a cependant une importance réduite pour le propos ici
développé. D’une part, l’orientation du SMJ, une des rares revues spécialisées en Stratégie, et incontestablement la revue
scientifique de référence dans le domaine, n’en demeure pas moins significative d’une domination du “contenu” sur le
“processus”. Et d’autre part, plus que la domination d’un courant sur l’autre, c’est le clivage entre les deux sous-champs qui
mérite ici d’être souligné.
2 L’auteur de ce texte s’inscrit sans hésitation mais sans sectarisme dans le courant du “processus”. Cette position dans le
champ a sans aucun doute des conséquences sur le contenu des arguments ici développés.
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fort et direct avec les pratiques d’entreprise et les professionnels, elle conserve une orientation
générale normative. Mais c’est à partir de 1980 que la stratégie s’établit comme un objet de
recherche, en sus des pratiques qualifiées comme stratégiques, et indépendamment d’un souci
normatif. Déry distingue la période d’institutionnalisation (1980-1984), et celle
d’objectivation (1984-1993). Le point important est que la distinction entre “contenu” et
“processus” participe étroitement à la structuration du champ qui le conduit à la maturité
(relative, sans doute). Cette partition entérine le fait que la stratégie n’est plus seulement
considérée comme une pratique concrète, mais aussi comme un objet à expliquer. Elle marque
l’autonomie acquise par rapport aux définitions normatives de la stratégie, assises sur les
célèbres “modèle de Harvard”, planification stratégique “à la Ansoff”, et autres “matrices de
portefeuille d’activités”.
Cette constatation mériterait une explication. Celle qui transparaît (sans être explicitée,
toutefois) dans les analyses de Déry est liée au processus même d’accumulation des travaux :
le champ du processus s’est structuré autour de travaux préexistants, tandis que l’apparition
de l’analyse concurrentielle, clairement aux antipodes de cette approche “processus”, a
constitué un pôle d’attraction puissant et nettement distinct. Le développement académique
entraîne alors un accroissement de la spécialisation, à l’intérieur même du champ. Les
modèles généraux de la stratégie perdent ainsi de leur pouvoir intégrateur, les différents
éléments qui les composent devenant excessivement hétérogènes, et largement autonomes. De
modèles synthétiques on passe alors à des visions polarisées de la stratégie. Alors que la
stratégie s’est construite comme champ intégrateur (à l’image du dirigeant aux talents
multiples dont elle est censé représenter la mission exclusive), le succès même de cette
définition accueillante a facilité une forme de “désintégration”, sous la pression des exigences
académiques et du développement, en profondeur, des connaissances. La distinction
contenu/processus en est l’expression la plus nette.
Si ce processus est en lui-même assez banal, on doit toutefois s’interroger sur ses
conséquences. Il n’est guère besoin de démontrer que cette partition ne peut trouver de
justification “en substance”. Même si la stratégie se veut un objet de recherche et pas
seulement une pratique concrète, il reste que, comme toute discipline de management, une
part importante de sa légitimité procède de sa “mise en correspondance” avec des pratiques
concrètes, ou pour le moins, avec des problèmes et préoccupations managériales. Or, sur ce
point, la stratégie fournit un discours peu cohérent. D’un côté elle affirme avec un succès
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raisonnable que la conduite d’une stratégie doit articuler en profondeur formulation et mise en
oeuvre, délibéré et émergent, contenu et processus. Et d’un autre côté la discipline se révèle
incapable de fournir une théorie générale intégrant ces éléments. Bien plus, jusqu’à
aujourd’hui, elle n’a pas pu établir des passerelles conceptuelles un tant soit peu sérieuses
entre les deux. Les vieux modèles fourbus demeurent les seuls outils offrant un minimum
d’intégration.
Cette absurdité apparaît dans les controverses internes au champ d’une manière sensiblement
différente. La question des rapports entre “contenu” et “processus” y est indirectement posée
par la critique du caractère statique des théories dominantes (essentiellement l’analyse
concurrentielle). Ce point rassemble
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