Commentaire Thucydide livre vi, chapitre viii

Commentaire

" Deux scandales religieux à Athènes (415 av. J.-C.) "

Le texte que nous étudions aujourd'hui est donc un extrait de l'oeuvre intutiluée " La guerre du Péloponèse ". Il s'agit d'un récit historique qui se trouve dans le VI livre de l'oeuvre réalisée par Thucydide, qui est contemporain de cette époque. En effet Thucydide est un homme politique et historien athénien, il nait vers -465 et meurt vers -400. Il est considéré comme un des premier historiens, il consigne les faits en essayant de trouver un sens logique, une cohérence, ne se contentant pas de les décrire, il exclu également toute forme d'explication mystique ou religieuse pour écrire l'Histoire la plus exacte possible. Aujourd'hui encore il est notre source principale quant à la guerre du Péloponnèse.

Après avoir repoussé les Perses avec l'aide de Sparte en -490 et -480, Athènes se positionne rapidement en tant que cité la plus importante et forme avec d'autres cité états autonomes la ligue de Dellos. Athènes et les cités de la ligue de Delos contrôlent la mer Egée, dont le monopole a été cédé par Sparte. Il s'agit alors d'un véritable empire maritime, une Thalassocratie. Sparte forme avec d'autres cités de la région la ligue du Péloponèse. Les tensions entre Sparte et Athènes persistent et plusieurs affrontement entre les cités des deux ligues éclatent. Pour venir en aide à leurs alliés, Sparte et Athènes entrent très souvent en conflits. Ces conflits marquent la guerre du Péloponèse qui s'étend de -431 à -404. Rappelons également que les deux cités s'opposent par leurs politiques. En effet, un système démocratique est en place à Athènes alors qu'une tyrannie est en place à Sparte. Athènes a su s'imposer notamment grâce à l'argent qu'elle percevait du Phoros, un tribut versé par les cités de la ligue de Délos à Athènes pour qu'elle forme sa propre armée et puisse les défendre. Malgrè un traité de paix instauré en 421, que l'on attribu à Nicias, les tensions sont telles que l'assemblée athènienne, poussée par Alcibiade, décide de mener une offensive en Sicile en 415. Nicias est un homme politique et général athénien, il oeuvre pour la paix entre les deux cités.

A travers ce récit, Thucydide nous fait par de deux évênements qui ont touché Athènes à la veille de cette expédition. En effet, le scandale des Hermocopides et celui des parodies du Mystère d'Eleusis sont mis en avant au cours du récit. Le scandale des Hermocopides (Hermès + kopto (frapper, abattre en frappant)) concerne la vandalisation de statues représentants le dieu Hermès. Le scandale des parodies du Mystère d'Eleusis concerne la parodie d'une cérémonie religieuse. Un mystère est un rite religieux initiatique, d'origine ésotérique.
Au Vè siècle à Athènes la religion est omniprésente dans la vie de la cité, il est inconcevable de dissocier religion et politique.

Le principal accusé est Alcibiade. Ce jeune homme grandit, comme Thucydide, pendant la guerre du Péloponèse. A la mort de ses parents, il est adopté par un des plus grands stratèges de la ville, Périclès, et fait donc partie d'une grande famille, les Alcméonides. A la mort de Périclès, Alcibiade se place naturellement en tant que son successeur. Il mène un train de vie excentrique, multipliant les conquètes, il est fort physiquement et doué intellectuellement, élève et ami de Socrate, il saura se démarquer dans la vie politique Athènienne de l'époque. Il est élu stratège en -420. Son engouement pour le combat, la conquête et la démonstration de l'impérialisme athènien lui vaudront de se faire de nombreux ennemis dans la cité. Ce sont ces mêmes ennemis qui l'accuseront d'être à l'origine des deux scandales dont nous venons de parler.

Il convient alors de se demander comment l'utilisation de ces deux scandales, par les ennemis d'Alcibiade, marque-t'elle une véritable crise politique à Athènes ?

Il s'agira d'étudier d'abord les accusations qui pèsent sur Alcibiade et enfin les conséquences, directes et indirectes, de ces accusations sur la vie politique athènienne.

Avant de commencer notre analyse, rappelons que Thucydide, auteur de ce récit, fait partie de la même "famille" qu'Alcibiade, les Alcméonides (cf diapo). Malgré la justesse et la véracité de ces récits, qui lui sont attribuées depuis toujours en le considérant comme le premier historien, il conviendra de faire attention à notre interprétation des évênements. Nous ne sommes évidemment pas en présence d'un texte à parti pri, Thucydide tente de rester le plus fidèle possible à la réalite, mais la remarque se doit d'être faite. De plus, les avis divergent quant aux traductions du texte de Thucydide, certains écrivains, comme Willy Peremans dans son article "Thucydide, Alcibiade et l'expédition en Sicile en 415 av jc" paru dans la revue " L'Antiquité classique, 1996, n°25", remettent en cause certaines traductions de l'oeuvre de Thucydide.

Analysons donc tout d'abord les accusations qui pèsent sur Alcibiade. On retrouve dans les deux premières parties du texte, l.1 à 8 puis l.9 à 12, la description des chefs d'accusation en question. Dans un premier temps il s'agit de la vandalisation des Hermès de pierre. Ces statues représentent un Dieu, Hermès, et sont placées stratégiquement partout dans la ville. Hermès est une divinité de l'Olympe, il est entre autre le messager des dieux. Ces statues permettent de marquer l'emplacement des carrefours importants mais également de délimiter les propriétés privées et publiques importantes dans la cité. Il s'agit là de ce que l'on nomme l'espace poliade. En plus de leur fonction d'indication, les statues sanctifient également les lieux dans lesquels elles se trouvent.
Encore une fois, les aspects religieux et politique marchent de pairs.
Dans un second temps, "des météques et valets", dénoncent un sacrilège de rites religieux. Comme on l'a vu en cours, des météques sont des habitants originaires d'autres cités venus s'installer à Athènes. Ils payent une taxe, le métoikion, et doivent se référer à leur Prostatès, une sorte de garant. Leur statut se place donc entre l'étranger et le citoyen. Les valets sont des domestiques, des esclaves. Un sacrilège représente la profanation d'un objet, d'un lieu ou d'une personne ayant un caractère sacré. Il s'agit ici de la parodie des mystères d'Eleusis. Cette cérémonie est réalisée dans le temple de Démèter (agriculture) et est destinée à cette dernière mais également à Hadès (enfer) et Dionysos (vigne, vins, excès), qui représentent les divinités en lien avec la terre et les morts. Les accusateurs soutiennent qu'Alcibiade jouait le rôle du prêtre (hiérophante) dans ces parodies, un rôle important donc. Il est donc question ici d'attribuer à un homme important dans la vie politique et militaire de la cité la vandalisation et la parodie de symboles religieux.

Comme le souligne Thucydide, l.9, l'affaire des parodies "n'avait aucun rapport avec les Hermès". Mais les dénonciateurs mentionnent le nom d'Alcibiade dans une seconde affaire de vandalisme. Les ennemis d'Alcibiade, comme notamment Androcles, s'empressent de lier les deux affaires pour discréditer Alcibiade. Nous pouvons notamment citer l'oeuvre de Plutarque intitulée "Vie parallèles des hommes illustres " dans laquelle Androcles est cité comme l'ennemi d'Alcibiade. Androclès est un démocrate athènien contemporain d'Alcibiade. Il faut rappeler qu'en 420, après une première victoire politique en signant une alliance avec les cités d'Argos, Mantinée et Elis, Alcibiade est élu stratège. Mention est faite de cet évênement dans le texte, l.26 : " n'était-ce pas grâce à son intervention que les Argiens et les Mantinéens participaient à l'expédition ?". Les stratèges sont des généraux de l'armée, c'est un donc un statut important dans la cité. Alcibiade est apprécié par le peuple, d'une part à cause de ses prouesses militaires et sportives, mais également grâce à son éloquence. Il incarne l'idéal Athènien du Vème sciècle. Qui dit popularité dit forcément envieux et jalousie. Il a donc de nombreux ennemis qui s'empressent de lier les deux affaires et d'accuser Alcibiade dans les deux cas. On peut donc se demander si les "métèques et les valets" qui témoignent sont commandités par les adversaires d'Alcibiade.

On peut lire, l.13, " les ennemis d'Alcibiade furent les premiers à se saisir de ces accusations, car il gênait leur désir de gouverner le peuple à leur gré ". Rappelons que le système politique en place est la démocratie. Comme on l'a dit précedemment, Alcibiade occupe une place importante dans la vie politique de la cité et fait donc forcément de l'ombre à certaines personnes. Ces opposants profitent donc de l'occasion pour rattacher les deux scandales à une tentative de renversement de la démocratie, c'est ce que l'on peut lire l. 14 : " en le chassant, il espéraient se mettre au premier rang. Aussi enflèrent-ils ces griefs et clamèrent-ils que les mystères et la mutilation des Hermès tendaient au renversement du gouvernement démocratique et qu'Alcibiade avait trempé dans toutes ces affaires ". Il était d'autant plus facile d'essayer d'associer Alcibiade à ces scandales que son train de vie n'avait rien de politiquement correct, l.17 : " la licence antidémocratique de toute sa conduite ".

Pour conclure cette premiere partie, Alcibiade, personnage populaire de la vie politique et militaire athènienne du Ve siècle, est visé par de nombreuses accusations. Ses ennemis veulent simplement le discréditer auprès de l'opinion public, le Démos, qui joue un rôle important dans le gouvernenemnt de la cité via l'Ecclesia. Ce démos (peuple) possède un véritable pourvoir (kratos), ces deux entités forment la démocratie, système politique de la cité au Vè siècle. Rappelons que depuis les réformes de Clisthène en 508, l'Ecclesia, assemblée des citoyens, joue un rôle très importants dans la gestion politique de la cité. Comme on l'a noté précèdemment, l'opinion public a plutot tendance à être du côté d'Alcibiade, notamment en ville, à l'inverse des populations rurales qui soutiennent Nicias et sa volonté de maintenir la paix. Mais les scandales qui touchent Athènes à ce moment là viennent ébranler cette vision et apportent un sentiment d'insécurité dans la cité à la veille d'une expédition importante.