Dissertation « La liberté obéit-elle à des limites ? »
Mémoire : Dissertation « La liberté obéit-elle à des limites ? ». Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresfaçon inconditionnelle, la coexistence des libertés devient impossible, car chacun ne pense qu’à soi. Par conséquent, est-ce qu’il n’est pas nécessaire, pour vivre en communauté, que les individus décident, de leur propre gré, de suivre des lois communes et coercitives ? Par suite, est-ce que l’idéal ne serait pas de concevoir une liberté, à la fois individuelle et générale de façon à ce que chacun, en suivant ses propres lois suive les lois de tous les autres ? Il s’agit donc de définir ce que doit être l’autonomie. Si la liberté est d’abord l’expression de sa propre nature, reste à savoir comment cela est conciliable avec l’ensemble des individus. Pour résoudre ce point, il sera alors nécessaire de concevoir une liberté au sein de laquelle la volonté générale ne soit plus hétéronome.
En premier lieu, il s’agit de se demander si toute obéissance, n’est pas, par définition, contradictoire avec la liberté comprise comme pouvoir d’agir sans contrainte. Bien plus que la seule considération de son action, l’homme est d’abord libre lorsqu’il est en mesure d’agir selon sa propre nature. En effet, l’action libre ne suppose pas forcément l’arbitre, définit comme pouvoir de choisir, mais la faculté d’agir en conformité avec ce que l’on est. Cela s’explique par le désir de chaque homme, durant toute son existence, de pouvoir actualiser, autant que possible son essence ou nature. Afin de cerner ce point, il convient de relire Spinoza, dans Ethique, L. III, prop. 6, qui souligne que «chaque chose s’efforce, selon sa puissance d’être, de persévérer dans son être ». Cela signifie d’une part, que chaque individu, parce qu’il est doté d’une nature, n’éprouve sa liberté que lorsqu’il est en mesure d’être lui-même, à savoir agir d’après ce qui est comprise dans son essence. D’autre part, toute obéissance, parce qu’elle traduit une contrainte est nécessairement opposée à l’actualisation de son essence, car elle suppose une action accomplie d’après une causalité extérieure, devant laquelle le sujet est passif. Toutefois, si chaque individu, pour être libre, doit, agir d’après sa nature, comment est-il possible, qu’il agisse contre lui- même? Autrement dit, comment expliquer que son action soit l’expression d’une contrainte et non d’une liberté?
Pour lever cette contradiction, il faut préciser que l’humain peut être en proie à des affects passifs lorsque le désir d’être soi se laisse orienter de l’extérieur, comme le développe Spinoza dans Ethique, L. III, prop. 11, scolie. En effet, ce qu’il manque à l’exercice de cette liberté qui se conjugue ici avec la nécessité d’être soi, c’est la connaissance pleine de sa propre essence. La limitation de l’homme qui du coup entrave sa liberté, réside dans l’idée inadéquate qu’il a de sa propre nature, une idée qui n’a pas toutes les propriétés ou dénominations intrinsèques de l’idée vraie. L’humain a conscience des idées qui l’affectent mais non de leurs causes. Cela le conduit non seulement à être passif, à agir contre lui-même, contre nature, mais également à une perfection moindre. Plus l’humain a une connaissance adéquate de son essence, à savoir une connaissance par la cause, plus il agit en adéquation avec sa propre nature. Faut-il alors admettre que cette passivité, cette obéissance à une cause qui n’est pas sienne, se définit en aliénation?
Cette passivité, action accomplie d’après une cause extérieure à l’essence de l’individu, dépossède l’individu de lui-même, le met à distance de ce qu’il est dans son essence. Cela nous montre que l’existence, lorsqu’elle est sous la contrainte, ne peut actualiser l’essence et c’est précisément ici que l’obéissance devient aliénation, car l’individu devient étranger à lui-même, il est dépossédé de sa propre puissance d’être et d’agir. Spinoza dans Ethique, L. IV, axiome, insiste sur l’idée, qu’une telle connaissance inadéquate de la causalité extérieure, exerce sur le propre individu une puissance qui est contraire à son propre désir d’être soi. Les limites se définissent comme puissances extérieures qui réduisent, en raison de son ignorance, l’individu à agir selon ce qui l’affecte passivement, ce qui le rend du même coup aliéné, car son effort pour développer ce qu’il est dépassé par l’effet de la causalité extérieure sur lui. Ainsi, en se soumettant à une puissance extérieure, l’individu agit en étant à la fois passif, puisqu’il n’agit pas par lui-même, et aliéné car il devient étranger à ce qu’il est. Cependant, s’il est vrai que l’individu pour être lui-même, ne doit pas obéir à une tutelle extérieure, est-il envisageable pour autant que chacun ne suive que ses propres aspirations ? Du coup, la question se pose de savoir s’il n’est pas nécessaire, pour vivre en communauté, que les individus décident, de leur propre gré, de suivre des lois communes et coercitives.
Si la soumission à une puissance extérieure se présente pour le sujet comme une aliénation, il est possible de se demander si son contraire, à savoir une liberté définie comme un penchant illimité, ne se révèle pas également problématique. Autrement dit, ce dont il s’agit, c’est précisément de savoir si l’exercice d’une liberté exclusivement centrée sur les aspirations de l’individu, mène à une impasse. Or, une telle expression contient en elle-même une contradiction dans les termes. En effet, une liberté fondée sur les seuls intérêts de l’individu rendrait impossible une coexistence des libertés, à savoir la constitution d’une communauté. Hobbes précise ce point dans Léviathan, chap. 13, en considérant l’exercice de la liberté dans un état de nature. Dans un état dépourvu de lois communes extérieures et d’un pouvoir politique hiérarchiquement supérieur, chaque individu manifeste son égoïsme biologique à savoir sa tendance à agir uniquement d’après ce qui lui est nécessaire pour conserver son mouvement vital, sa propre conservation. De ce fait, son mouvement volontaire n’est qu’un moyen pour acquérir les éléments indispensables à sa propre conservation. En l’absence de lois et dans une situation où chacun recherche sa conservation par tous les moyens, cet état de nature se convertit en état de guerre: «il n’existe pour nul homme aucun moyen de se garantir qui soit aussi raisonnable que le fait de prendre les devants, autrement dit, de se rendre maître, par la violence ou par la ruse de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible », reconnaît Hobbes. Il s’ensuit que cette liberté illimitée n’est en réalité qu’une possibilité car l’état de guerre fonde la force comme loi, et de ce fait, aucune personne n’est assurée d’exercer pleinement sa liberté d’action. Comment, dans ces conditions, assurer une coexistence des libertés de façon à ce que la communauté devienne possible ?
Si l’exercice de la liberté comme penchant illimité a pour conséquence que chacun, en exerçant son droit de conservation s’oppose à tous les autres et pose la force comme seule loi, il alors nécessaire que chacun accepte de se soumettre à des lois communes extérieures civiles, seules capables de garantir la sécurité. Pour cela, il convient que chacun, au lieu d’exercer cette liberté illimitée fondée sur le droit à la conservation, transfère ce droit aux mains du souverain, à travers la théorie de l’autorisation, formulée par Hobbes dans Léviathan, chap. 16: « chacun donne à celui qui les représente tous l’autorité qui dépend de lui en particulier, reconnaissant pour siennes toutes les actions accomplies, par le représentant, au cas où ils lui ont donné une autorité sans restriction ». Il s’ensuit que la coexistence des libertés devient possible suivant deux conditions : le souverain exerce lui-même le droit pour tous de façon coercitive, et tous, obéissent inconditionnellement à leur représentant. Il s’ensuit que la liberté se conjugue ici avec la loi civile à savoir par ce qui n’est pas défendu par le droit positif, et qu’elle est concevable parce qu’elle se confond nécessairement avec les limites imposées par ce droit. Du coup, force est de reconnaître que dans un état civil les limites imposées par le souverain, au moyen des lois civiles, sont constitutives d’une liberté commune, opposée à la liberté illimitée de chacun. Cela nous montre que les hommes sans lois sont incapables de vivre en communauté car ils expriment spontanément leur liberté de façon inconditionnelle. Toutefois, est-ce que cela ne comporte pas le risque de se soumettre à des lois injustes et de remettre ainsi en cause notre liberté commune, et de faire de la communauté une coexistence de personnes réduites au rang de choses ? Dans ces conditions, l’idéal serait de concevoir une liberté, à la fois individuelle et générale de façon à ce que chacun, en suivant ses propres lois suive les lois de tous les autres.
Il s’agit ici de savoir si l’obéissance à un pouvoir politique extérieur est toujours garante de liberté. Autrement dit, existe-t-il le risque de perdre notre liberté en se soumettant au droit, à un système de lois communes ? Il faut bien admettre que le passage de l’état de nature à l’état civil permet d’une part, de mettre fin à l’état de guerre et, d’autre part, de fonder une coexistence des libertés et cela au moyen des limites dictées par le droit positif. Cela dit, remarque Kant, dans Métaphysique des moeurs, « Doctrine du droit », introduction, § 8, le droit positif présente deux difficultés
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