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Dissertation de philosophie : « Conflit et passions »

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s – qui ont connu les excès du rationalisme – tendent à mettre l’accent sur la passion comme principe d’action, qui pousse donc les hommes à agir.

Lorsqu’on se laisse emporter par une passion, qu’elle soit triste ou joyeuse pour reprendre la distinction de Spinoza, la force de conviction de cette passion surpasse en nous (et de loin souvent) celle de la raison. Mais pour Hegel, ce surpassement de la raison par la passion peut être vu historiquement comme une « ruse de la Raison » ; les grands hommes, qui sont bien souvent des hommes passionnés, sont persuadés de servir leurs propres intérêts, mais en réalité ils sont au service de la Raison dans l’histoire : c’est ce qui permet au philosophe d’affirmer par ailleurs que « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion »[2]. Ainsi donc la passion éloignerait les hommes de la réalité pour mieux leur permettre de la transformer… Si cette vision idéaliste de l’histoire n’est pas dépourvue de toute naïveté, elle a le mérite de souligner la facticité de la séparation du monde des passions et de celui de la raison, qui sont en fait les deux faces inséparables d’une même pièce, qu’on appelle communément la nature humaine.

Contrairement à ce que voudrait l’idéal libéral, il semble que les motivations de hommes ne peuvent en aucun cas être réduites à leur seuls intérêts, à leur seule rationalité. Pour reprendre les catégories proposées par Elena Pulcini[3], on peut distinguer deux grands types de passion égoïste : la « passion acquisitive » (le désir de posséder des biens matériels) et la « passion du Moi » (le désir de reconnaissance et de supériorité). Ainsi Hobbes explique-t-il dans son Léviathan que « la compétition dans la quête des richesses, des honneurs des commandements et des autres pouvoirs incline à la rivalité, à l’hostilité et à la guerre, parce que le moyen pour un compétiteur d’atteindre ce qu’il désire est de tuer, d’assujettir, d’évincer ou de repousser l’autre »[4].

Montesquieu, à la suite de Platon, dresse une typologie des différents régimes en fonction des passions dominantes qu’ils suscitent : la tyrannie reposerait sur la crainte, la monarchie sur l’honneur et la république sur la vertu. Mais s’il y a bien un type de régime – que ces philosophes n’ont pas connu – où les passions jouent incontestablement un rôle primordial dans le déclenchement des conflits, c’est le régime totalitaire. Comment peut-on expliquer le fait que tant d’hommes au XXe siècle aient pu sacrifier leur vie pour des causes totalitaires ? L’explication traditionnelle par la simple force de l’idéologie apparaît insuffisante à bien des égards. Pour Michel Hellas[5], si l’ambition commune aux totalitarismes « nazi, communiste et islamiste » de créer un homme nouveau n’est pas sans conséquence sur la nature des régimes instaurés en leur nom, le cœur des passions totalitaires se trouve plutôt dans la primauté du collectif sur l’individuel… « Lorsque l’individu n’est plus rien, lorsqu’il est prêt à sacrifier sa vie pour le tout, lorsque seule la communauté du peuple a de l’importance, quelle valeur peut avoir la vie de ceux qui ne font pas partie du Volk ? Si je suis prêt à me sacrifier, pourquoi respecterais-je la vie d’un étranger à ma communauté ? »[6]. De même, si l’on suit Raymond Aron, les deux moteurs principaux des totalitarismes sont la foi et la peur[7] : la foi des militants fanatiques et la peur d’une partie de la population face à ce fanatisme. Et de fait, les indifférents et les apolitiques (les free riders, diraient les anglo-saxons) étant souvent les cibles prioritaires des fanatiques, ils ont raison d’avoir peur. Pourtant, les régimes totalitaires ont toujours fini par s’effondrer avec l’essoufflement des passions qui les avaient rendu possibles.

II Et la raison dans l’histoire ?

Si les passions humaines sont effectivement un facteur à prendre en compte dans l’analyse des conflits, il faut prendre garde à ne pas en faire les causes déterminantes. Ne serait-ce pas en effet nier l’existence du processus de civilisation qui a développé au fil des siècles la capacité des hommes à s’autoréguler et à contrôler leurs pulsions passionnelles[8] ?

Dans sa Géométrie des passions[9], Remo Bodei nous rappelle l’essentiel des théories du contrat social : « Chaque homme, en sortant de l’état de nature [est promu] au rang d’homme social, d’être rationnel capable de prendre des décisions autonomes ». C’est cette auto-discipline, ce gouvernement de soi, qui marque « l’hégémonie de la raison et de la volonté »[10], qui a permis à l’Etat de gouverner son territoire en monopolisant toujours plus le recours à la violence physique dite légitime. D’ailleurs aujourd’hui, dans le jugement des conflits interpersonnels, les violences passionnelles ne sont-elles pas déclassées au rang de circonstances atténuantes ?

La rationalité et la discipline sont les éléments constitutifs de l’ordre social, qui dépend donc en grande partie de la bonne gestion des passions par les individus. Et au niveau de la politique extérieure des Etats, il apparaît également (et à plus forte raison) que les logiques de rationalité tendent à écraser toujours plus l’élan des passions des dirigeants. Machiavel, souvent présenté comme le père de la raison d’Etat (bien que cette paternité soit contestée de toutes parts), n’expliquait-il pas que la seule façon de « mantenere lo Stato »[11], c’était de gouverner en fonction de la « necessita »[12], avec des calculs politiques permanents que seule la raison permet. « L’intérêt est le vrai tyran de l’âme des tyrans, et même des princes qui ne sont pas des tyrans »[13], « c’est l’intérêt qui meut leur langue et non pas la justice ni l’amour du bien public »[14].

Bien souvent pourtant, c’est le champ lexical de la passion qu’on mobilise pour commenter le déclenchement ou le déroulement des conflits internationaux. Mais dans une guerre comme celle qui se joue actuellement au Proche-Orient, la passion n’est-elle pas une simple variable écran ? Les images de haine, de terreur et de foi religieuse ne viennent-elles pas reléguer au second plan les enjeux fondamentalement politiques et stratégiques qui sont pourtant à l’origine de ce conflit ? Le fait d’analyser les confrontations violentes à l’aune des passions déchaînées par les acteurs sur le terrain ne relève-t-il pas d’une vision journalistique du monde plus que d’une grille de lecture scientifique de la réalité ? D’Israël au Darfour en passant par le Rwanda, les exemples historiques ne manquent pas pour nous rappeler l’incroyable capacité que peuvent avoir les « responsables » politiques à exacerber les passions afin de servir – rationnellement – leurs propres intérêts.

III La réactivation cyclique des passions

Si comme on l’a vu, il apparaît difficile de déterminer ce qui relève de la passion et ce qui relève de la raison dans les causes de déclenchement d’un conflit, il semble plus aisé de démontrer que les conflits jouent un rôle important dans la réactivation de certaines passions politiques.

Ainsi, pour un historien comme Marc Ferro[15], la persistance et la récurrence de conflits religieux ou nationaux peut s’expliquer par un élément largement laissé de côté par les historiens qui privilégient une vision linéaire et matérialiste de l’histoire (c’est-à-dire la quasi-totalité des historiens modernes) : le ressentiment. Tout comme le bellicisme de l’Allemagne de Hitler peut être expliqué par le ressentiment qui s’est installé suite à la défaite de la Première Guerre mondiale et l’humiliation du Traité de Versailles, Ayman Al Zawahiri a pu justifier les attentats du 11 septembre 2001 en invoquant l’humiliation dont l’Islam avait été victime lors de l’expulsion des Morisques d’Espagne… en 1492.

Les conflits génèrent donc du ressentiment chez les vaincus, et ce ressentiment finit par générer de nouveaux conflits. La violence subie, l’humiliation et le traumatisme d’une défaite entraînent la formation d’un « complexe d’infériorité » qui serait la matrice principale du ressentiment, pour M. Ferro. Et le jour où les vaincus acquièrent les moyens de mettre en œuvre la vengeance qu’ils ruminent depuis des années voire des siècles, le passé refait surface dans le présent pour transformer le futur.

Mais si l’analyse de M. Ferro a le mérite d’être originale, elle n’en apparaît pas moins fragile à certains égards. Le ressentiment est un concept tellement vaste qu’il peut permettre d’expliquer tout et son contraire, et qui est donc trop général pour être pertinent. Ainsi, on pourrait dire aujourd’hui que la course du Paris-Dakar est une passion sportive qui génère quelques passions indépendantistes dans les pays d’Afrique

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