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Baudelaire - Don Juan aux Enfers

Commentaire de texte : Baudelaire - Don Juan aux Enfers. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  28 Mars 2016  •  Commentaire de texte  •  4 657 Mots (19 Pages)  •  3 711 Vues

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Introduction

Baudelaire se souvient de Delacroix, de Byron pour présenter sa réécriture de Don Juan. Sur la toile du peintre, nous trouvions Don Juan et ses compagnons manquant de nourriture, tirant au sort celui qui devra être sacrifié. Une première version du poème paraît en 1846, 5 ans seulement après la toile de Delacroix. Si le souvenir du peintre romantique est plus que vivace dans ce poème qui tourne parfois à l'ekphrasis (description détaillée et particulièrement visuelle, picturale d'une scène), Baudelaire n'en oublie pas pour autant Molière et ses personnages. Mais nous trouvons également dans ces vers l'influence de Virgile et de la descente au Enfers de son héros Enée, ou encore de Dante et de sa divine comédie lui même peint par Delacroix. Le fort syncrétisme de cette œuvre aux multiples influences attire ainsi notre attention. Pourtant, ce poème à la structure traditionnelle (quatrain en alexandrins) portant sur un personnage de la littérature classique, n'échappe pas à la faculté de modernisation poétique de Baudelaire.

I/ - le mythe de Don Juan : de la tradition à l'appropriation

1- Les constituantes fortes du mythe : les bases de l'intrigue et des personnage

Le caractère incomplet de cette fable tend à en faire une suite directe de la pièce de Molière et sa structure en 5 strophes renverrait alors à la structure traditionnelle des pièces classiques ou encore aux cinq chapitres de la nouvelle de Barbey D'Aurevilly, Le Plus bel amour de Don Juan. En effet, la première strophe s'ouvre sur un connecteur temporel comme si l'histoire suivait déjà son cours. Il manque une introduction pour présenter le cadre et les personnages. Nous plongeons dans le vif du sujet, par une de ces expositions vives et rapides, In medias res, qu'affectionnaient Molière et les auteurs de son temps, classiques. Est-ce un hommage rendu au dramaturge, un jeu littéraire d'imitation, de réécriture? Le spectateur de la toile de Delacroix ou de la pièce de Molière peut se figurer le personnage sur la barque peinte par Delacroix, le conduisant dans l'enfer que lui promettait la scène de dénouement de Poquelin. Baudelaire s'adresse donc à un public qui maitrise les caractéristiques du mythe et le rend facilement identifiable. « Charon », le nocher des Enfers qui fait passer le Styx, l'Acheron, aux défunts ayant reçu sépulture, l'  « aviron » du vers 4, nous renvoient à la barque de Delacroix et nous rappellent également celle sur laquelle Dom Juan a frôlé la mort au début de l'acte II de la pièce de Molière. Ce naufrage était chez Molière l'occasion d'une scène burlesque. Ce registre n'est pas absent du poème de Baudelaire : Sganarelle « en riant lui réclamait ses gages » en est un bon exemple. Le rire n'est pas absent de ces vers. Comment ne pas reconnaître l'ermite de la forêt que Dom Juan tente de corrompre chez Molière dans le vers 3 : « un sombre mendiant ». Les autres personnages fondateurs du mythe circulent dans ces alexandrins « Don Luis », le père de Don Juan, Elvire, la femme bafouée, ou encore le commandeur à la statue de pierre. Baudelaire nous renvoie bien à la lecture de Molière lorsqu'il précise « qui railla son front blanc », évoquant la fameuse scène qui nous donnait à voir l'hypocrisie de Dom Juan devant son père vieillissant comme l'indique aussi Baudelaire (« tremblant » et « blanc » souligne ainsi par leur place à la rime la faiblesse du vieux père); ce vers 12 évoque bien l’attitude irrespectueuse de Dom Juan vis-à-vis de son père (la métonymie : le « front blanc » évoque la sagesse liée au grand âge que n'a pas respecté de Dom Juan). Elvire demeure cette « chaste » femme, comme elle l'est dans la pièce revenant pardonner à l'amant parjure et lui rappeler la valeur d'un « serment ». Nous voyons donc qu'en faisant l'économie d'une plus ample présentation des personnages et du cadre, Baudelaire s'inscrit dans la continuité représentative du mythe et ne rompt pas avec la tradition. Le titre du poème suffit à rappeler que cette fable (texte poétique narratif) prend ses racines où s'achevaient les versions antérieures du mythe du séducteur libertin.

2- Donner à entendre un tableau : le respect des registres artistiques antérieurs

S'approchant de l'ekphrasis (description détaillée et visuelle) de Delacroix, Baudelaire reprend au peintre romantique son clair obscur. Une nouvelle fois, le poète se place donc dans la filiation directe de ces prédécesseurs. Dans « Don Juan aux enfers », l’atmosphère est aussi sombre que dans le tableau de Delacroix (« noir firmament » qui est presque oxymorique car le firmament signifie le ciel et connote bien souvent l'ouverture, la lumière, nous voilà dc ds le clair obscur; « flot noir »). « sombre » est également la première marque de couleur, même si elle induit ici métaphoriquement une humeur. « son deuil » renvoie métonymiquement au voile noir. « l'onde souterraine » renvoyait également implicitement à la noirceur de l'enfer peint par Delacroix. A cette noirceur répondent « le front blanc », et le verbe « brillât ». S'il s'approche de l'ekphrasis, n'oublions quand même pas la profonde originalité de l'écriture Baudelairienne qui prive son tableau de couleurs contrairement à Delacroix. Son univers propre l'invite à livrer Don Juan à un Enfer aussi sombre que celui qu'il décrit dans ses poèmes Spleen. Delacroix qui a fourni la source picturale du poème de Baudelaire, s’est lui-même inspiré du Don Juan de Byron, poète anglais. Dans le long poème de Byron, composé en 1819, on trouve l’épisode qui a directement inspiré Delacroix. Baudelaire n’a pas gardé l’idée du cannibalisme, mais il a mis l’accent sur les effets sonores. L’horreur du cannibalisme devient horreur du bruit. N'oublions pas l'obsession des synesthésies chez notre poète. En effet, la matière sonore du poème est particulièrement âpre, grinçante : les voyelles nasales sont dispersées dans l’ensemble du poème ([an] — orthographe « -en » ou « -an » — et [on]). Baudelaire leur accorde une place à la rime dans les quatre premiers quatrains, ainsi que dans des mots comme « mendiant », « montrant », « tremblant »… Il s’agit en quelque sorte d’une déclinaison des voyelles constituant le nom du personnage. Ce « vacarme » correspond en outre aux bruits suggérés dans les vers, en particulier le « long mugissement des femmes ». La mort spectaculaire présentée par Molière, l'horreur cannibale de Byron et la vigueur du pinceau de Delacroix se trouvent ici poétisé par Baudelaire qui nous montre un personnage plongé dans une véritable expérience de trouble sensoriel. Le clair obscur inscrit l'œuvre dans l'imitation du peintre romantique, les dissonances le plongent dans le saisissant et le spectaculaire d'une mort baroque comme elle a pu l'être chez Molière. Mais l'usage de ces confusions sensorielles souligne bien également toute la personnalité de ce poème et la modernité de l'écriture Baudelairienne. Ainsi l'expression « brillat la douceur » révèle cette volonté de mettre en poésie des correspondances sensorielles : a la vue (« brillat ») répond le toucher (« douceur ») dans une étrange perte des repères sensorielles habituelles que permet le langage poétique, cette « sorcellerie évocatoire ».

3- Le libertin irrévérencieux

Baudelaire ne fait bien sur pas l'économie de dépeindre un Don Juan impénitent et libertin. Le poète auteur des Paradis Artificiels, accoutumés aux maisons closes, à l'absinthe et à l'opium, trouve probablement un écho dans ce personnage. Cette poésie de jeunesse nous donne donc à voir les femmes lubriques, « leurs seins pendants et leurs robes ouvertes » donnant l'image du nombre de conquêtes de Don Juan par l'usage du pluriel. Le corporel, bien que décadent comme nous le verrons par la suite prime et laisse donc à penser que e libertinage de Don Juan est bien un libertinage de mœurs. La métaphore du troupeau ne suggère pas d'autre idée que l'animalisation de la femme, objet de consommation du libertin inconstant. « Le sombre mendiant » s'il rappelle l'ermite de Molière nous renvoie à l'impiété du chantage d'un Dom Juan prêt à marchander le parjure d'un homme d'église, un ermite franciscain. Mais si l'on oublie un instant l'intertextualité, nous y voyons un homme faible et dont a pourtant tiré profit le libertin puisque ce dernier agit « d'un bras vengeur » (V. 3). L'obole versée à Charon place d'emblée le personnage face à l'argent; le mendiant et les gages réclamés par Sganarelle également. L'argent évoqué en ce qu'il est donné ou du par Don Juan renvoie à l'inadéquation sociale du personnage. L'attitude « perfide » face à Elvire évoquée au vers 15 rend explicite l'irrespect de Don Juan à l'égard de tout conventions ou engagement. Pas plus l'engagement contractuel, le respect de la charité, que l'engagement marital ou encore l'honneur familial. Car Don Juan est bien celui « qui railla son front blanc »; la métonymie du « front blanc » évoquant la vieillesse, la faiblesse, peut être la sagesse, montre bien que Don Juan ne respecte pas son père et l'honneur du à son statut pas plus qu'il ne respecte les valeurs prônées par l'éthique classique du 17eme siècle. Mais Baudelaire, un siècle plus tard, ne cherche absolument pas le moralisme. Peindre la descente aux enfers de Don Juan ne sert pas d'exemple à une morale chrétienne. Nous pouvons nous demander si Baudelaire ne se reconnaît pas sous les traits de ce libertin châtié.

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