Arthur Rimbaud, Le bateau ivre, 1871
Commentaire de texte : Arthur Rimbaud, Le bateau ivre, 1871. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar madrugada • 4 Juin 2018 • Commentaire de texte • 982 Mots (4 Pages) • 1 309 Vues
Arthur Rimbaud, Le bateau ivre 1871
- Un poème à la dérive
- Une rupture avec le vieux monde
Le poème est écrit à la première personne (« je »). Elle désigne le bateau et le poète, qui rompent les amarres. C’est une rupture brutale. Les strophes 1 et 2 racontent que ce bateau de marchandises, « porteur de blés flamands et de cotons anglais » (v. 6), a été attaqué par des « peaux-rouges » du nouveau monde. Ils ont
massacré les « haleurs ». Libéré, le bateau dérive vers la mer. Dès le premier quatrain, la sensation de libération est palpable : le bateau n’est plus remorqué, « guidé par les haleurs » selon un itinéraire ancien. Le vers 8 complète ce constat d’indépendance : « les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais ». Il s’agit donc bien d’une rupture brutale, offerte par les circonstances extérieures plutôt que voulue, permettant de se déprendre de la routine, de sortir du chemin tracé à l’avance et guidé. Le poète adolescent, comme le bateau ivre, est en rupture avec le vieux monde, celui des règles anciennes et rassurantes mais étouffantes, « insoucieux » de les voir massacrées, clouées au poteau de torture.
- La violence sonore
Les vers 11 et 12 montrent bien la violence que Rimbaud fait subir à la langue. Il bouleverse le rythme du vers. L’enjambement est brutal, il rejette et isole un verbe d’action au passé simple (« je courus ! »). La ponctuation exclamative achève de mettre en valeur l’accélération de la course maritime et sa violence grandissante. Surtout, la césure du vers 12 se trouve au milieu d’un mot composé, évoquant lui-même le désordre du monde : « tohu-/ bohu ». D’autres procédés stylistiques évoquent le rugissement de la tempête et le tangage du bateau :
– Une suite d’oppositions exalte la violence et le danger, les célèbre comme une chance : les « tohu-bohus » sont pour lui un triomphe (v. 12) ; la « tempête » est une bénédiction (v. 13), l’eau verte qui fait sombrer le navire est
amère et « douce » (v. 17).
– Le rythme des vers, régulier dans les deux premiers quatrains évoquant « les fleuves impassibles », s’emballe dans les trois suivants. La structure 4/4/4 du vers 12, par exemple, imite le navire ballotté par l’océan. Plus loin, la dissymétrie du vers 16 (« Dix nuits / sans regretter l’œil niais des falots ! ») et le rejet du vers 20 cassent le rythme de l’alexandrin. En revanche, certains enjambements (v. 9-10, 11-12, 13-14) donnent une impression de glissement. L’alternance glissements / chocs évoque le tangage du bateau sur la mer.
- Une dérive étourdissante
Le lecteur, des strophes 6 à 9, suit les dérives étourdissantes du navire, qui débouchent sur la vision
d’un monde inédit. Ces strophes reposent sur un canevas réaliste simple, organisé en trois tableaux : reflets du
soleil dans la mer (strophes 6 et 7), accidents atmosphériques (strophe 8), coucher du soleil (strophe 9). Mais ces trois tableaux, très composés, narrent une expérience extrême, visionnaire. L’idée de dérèglement, d’ivresse, peut être transmise par la confusion des repères : le ciel et la mer ne sont plus séparés, la mer semblant
dévorer l’azur du ciel et absorber ses étoiles. Balloté sur la vaste mer, acceptant sa loi, le bateau subit et voit
(« j’ai vu ») ce dont la nature est capable : « les cieux crevant en éclairs », « les trombes », les « ressacs et les courants », « les flots roulants ». Rythmes et allitérations en [r] rendent sensibles la dureté et la beauté de cet apprentissage. L’emploi de mots rares, avec une orthographe archaïsante (« rhythmes », v. 26), de néologismes
(« bleuités », v. 25) disent le caractère inédit de l’expérience. Enfin, le lexique des couleurs transforme le spectacle de la mer en vision bigarrée, étrange : « azurs verts », « bleuités »,« rutilement », « rousseurs amères », « longs figements violets » (v. 34), outrepassant tout ce qu’il connaissait.
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