DM de théâtre sur Hamlet de Shakespeare

Elsa Chickly

DM de théâtre

William Shakespeare, dramaturge poète et acteur anglais, figure emblématique du théâtre Élisabéthain, inscrit son œuvre dans le théâtre baroque du XIVe siècle. Autour de thématiques telles que la violence ou l’obscène, très prisées à l’époque, Shakespeare incarne dans ses pièces et dans sa conception du théâtre, le principe du « theatrum Mundi » : le monde est un théâtre et le théâtre est monde. Ainsi, le monde serait une perle irrégulière, un trésor de beauté imparfaite, et le théâtre en serait le miroir. Notre vie ne serait alors que comédie et il serait donc impossible de discerner le vrai du faux. La pièce Hamlet incarne parfaitement cette idée. Shakespeare invente un monde aporétique, où la vérité se cache sans que l’on puisse réellement la trouver, puisque le roi est mort on ne sait comment. Dans ce drame, l'auteur raconte la vengeance que le fils doit accomplir suite à l'assassinat de son père. Celui-ci lui est apparu sous les traits d'un fantôme pour lui révéler le nom de son meurtrier : Claudius, qui n'est autre que l'oncle d'Hamlet et le nouveau mari de sa mère. Hamlet profite alors de la venue de comédiens au château à l'acte III pour faire représenter cet assassinat, espérant ainsi que Claudius se trahira. A la scène 2, Hamlet donne ses conseils aux acteurs et introduit ainsi une scène de théâtre dans le théâtre. Dans cet extrait on peut donc se demander en quoi la pluralité des rôles d’Hamlet dans l’acte III scène 2, permet la mise en exergue du théâtre comme filtre de vérité. Nous observerons tout d’abord un Hamlet comme spectateur. Cependant, même à cette place-là, Hamlet joue un rôle et est donc acteur. Enfin, en veillant au bon déroulement de la pièce et en transmettant les valeurs et pensées de Shakespeare, Hamlet s’affirme comme metteur en scène.

        Dans cet extrait Hamlet comme les autres est spectateur de la pièce La Souricière. Ainsi, il incarne tout d’abord les spectateurs de son temps de par son attitude. Cependant, Hamlet est également un spectateur actif qui guide les autres spectateurs et les aide à comprendre les enjeux du spectacle. Enfin, Hamlet n’est pas seulement spectateur de la souricière, mais également du spectacle qu’est le monde qui l’entoure.

        Hamlet, comme le roi, la reine, et ses amis, assiste à la représentation de la souricière, jouée dans le but de piéger Claudius. Ainsi, Hamlet se glisse dans la peau d’un spectateur. De fait, Hamlet apparaît comme un échantillon représentatif des spectateurs du XVIe siècle, c’est-à-dire un public bruyant, cherchant avant tout à se divertir. En effet, avant que la représentation commence, lorsqu’Hamlet discute avec Ophélie, celui-ci n’hésite pas à faire quelques sous-entendus graveleux tels que « madame, puis-je m’étendre entre vos genoux ? », « c’est une belle pensée à mettre entre les jambes des pucelles » ou encore, « oui, et tout ce que vous lui montrerez. Si vous ne rougissez pas d’en faire montre, il ne rougira pas de vous en dire l’usage ». Ces sous-entendus à connotation quelque peu sexuelle peuvent directement faire référence aux raisons pour lesquelles les spectateurs se rendaient au théâtre à l’époque de Shakespeare, le théâtre étant, durant cette période, un lieu de divertissement et de débauche. Ainsi, à travers son théâtre, et le personnage d’Hamlet, Shakespeare représente les spectateurs et le monde de son temps. De plus, durant la représentation, Hamlet n’hésite pas à exprimer à voix haute ses réflexions, par exemple, il intervient durant la pièce en énonçant la phrase non verbale « absinthe, absinthe amère » ; par sa construction, cette réplique ne semble faire sens que pour lui. Plus tard, Hamlet prend à nouveau la parole, en s’exclamant « si elle allait se parjurer ! », dans un jeu que l’on peut supposer quelque peu virulent. Ainsi, si ces interventions d’Hamlet peuvent apparaître comme une critique des spectateurs du XVIe, elles font tout de même de lui un spectateur actif dans la pièce.

En observant la pièce avec intérêt, Hamlet se place en spectateur actif et non pas passif, ce qui lui permet de guider le reste du public dans la bonne compréhension de la métaphore que veut transmettre la pièce. Il se fait même narrateur de celle-ci après ses courts échanges avec le roi « Le Piège de la souris. Et pourquoi diable ? eh bien, au figuré. Cette pièce à pour sujet un meurtre commis à vienne. Gonzague est le nom du duc, Baptista celui de sa femme, et vous allez voir qu’il s’agit d’un joli tour de coquin, mais n’est-ce pas, peu importe ! ». Ainsi, le rôle d’Hamlet est d’éveiller les consciences, notamment celle de la reine, innocente, dont la conscience est pure, qui ne voit aucun problème à la pièce, si ce n’est que « la dame fait trop de serments ». Mais par-dessus tout celle du roi, qui semble méfiant vis-à-vis de la pièce : les procédés ironiques dont usent Hamlet, comme par exemple « ils s’empoisonnent pour rire. », ou encore « Quoi, effrayé par un tir à blanc ? » ne semblent pas le rassurer. En revanche, ces piques provocatrices d’Hamlet font de lui un spectateur vif et réfléchi, capable de la vérité là où tout le monde semble aveugle. En tant que seule personne clairvoyante, il ne se contente pas d’observer la représentation, mais il épie également le cirque qu’est le monde qui l’entoure.

        Shakespeare est donc certes spectateur du Piège de la souris, mais il est également spectateur du théâtre qu’est le monde qui l’entoure. En effet, Hamlet épie les moindres réactions du roi et invite Horatio à faire de même « Fais appel aux ressources de ton âme pour observer mon oncle ». En effet personne ne croit Hamlet réellement puisque personne n’a entendu le spectre de son père parler ; de fait, des preuves sont nécessaires pour prouver la véracité de ses propos. Or, le rôle d’Horatio est de vérifier l’intuition d’Hamlet. Hamlet semble être le spectateur le plus fiable et clairvoyant puisqu’il est le seul à voir que le théâtre est l’unique solution pour mettre en évidence la culpabilité de son oncle. De plus, Hamlet est également spectateur lorsque ses amis tentent de se jouer de lui. Toujours grâce à l’ironie, Hamlet perçoit la feinte et humilie subtilement ses interlocuteurs, comme lorsqu’il s’adresse à Guildenstern « c’est aussi facile que de mentir », ou encore « vous voudriez jouer de moi, vous donner l’air de connaître mes touches, arracher le cœur même de mon secret, faire chanter la plus basse et la plus aiguë de mes notes – mais ce petit instrument, qui contient tant de musique et dont la voix et si belle vous ne savez pas le faire parler. Croyez-vous par Dieu que je sois plus simple qu’une flûte ? ». Ainsi, si Hamlet est le plus en mesure de remarquer lorsque les personnes portent un masque, c’est parce que c’est lui qui manie le mieux ce jeu-là.

        Ainsi, Hamlet prend tout d’abord la fonction de spectateur dans la pièce, il incarne les spectateurs du temps de Shakespeare, mais est également un spectateur actif qui guide le public dans la bonne compréhension du texte. Il est certes spectateur de la pièce de théâtre jouée, mais également du théâtre qu’est le monde qui l’entoure. Or s’il arrive si bien à cerner le jeu de rôle du monde qui l’entoure, c’est avant tout car il en est l’acteur principal.

        Hamlet est donc acteur dans la pièce de Shakespeare, mais il est également acteur dans le monde comme chaque être humain. De fait, il porte un masque devant tout le monde, et en tant qu’acteur principal il est donc le seul à pouvoir voir et révéler la vérité.

        Hamlet est un acteur dans la pièce qui porte son nom, écrite par Shakespeare. En effet, l’éponyme met en avant l’importance du personnage dans l’intrigue. Il est d’ailleurs celui qui a le plus la parole, il s’exprime à coup de tirades, à la limite du monologue quand ses interlocuteurs ne répondent qu’avec de brèves répliques, voire dans certains cas des stichomythies, notamment lorsqu’il s’adresse aux comédiens, ou à Horatio. De plus, Hamlet joue un rôle très particulier dans son stratagème pour démasquer la culpabilité du roi. En effet, en plus d’observer ses réactions, Hamlet joue le narrateur, le guide, à travers des réflexions sournoises qui intriguent tant le spectateur d’Hamlet que le roi ou le public de la pièce dans la pièce. Pour le spectateur, Hamlet est l’acteur principal de la pièce, il joue donc un rôle perpétuellement ; quand il change de caractère, il est par exemple différent lorsqu’il s’adresse à Horatio, à Ophélie ou au roi, Hamlet ne fait que changer les facettes de son personnage. Cependant, étant donné qu’il joue également un rôle dans la pièce, la confusion se crée, on ne distingue plus lorsque Hamlet joue un rôle pour manipuler dans la pièce, ou quand il joue seulement pour de public d’Hamlet. Ainsi, on ne parvient plus, en tant que spectateur à distinguer le théâtre de la réalité du monde, ce qui paraît finalement logique puisque dans le théâtre baroque, le théâtre est monde et le monde et théâtre. Ainsi, puisque le monde entier est un théâtre ou chacun joue un rôle, Hamlet joue son propre rôle, ce qui lui permet de faire éclater la vérité.