Manon Lescaut « les ruses du romancier et les paradoxes du moraliste »
Dissertation : Manon Lescaut « les ruses du romancier et les paradoxes du moraliste ». Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar lolo8z • 17 Janvier 2023 • Dissertation • 2 300 Mots (10 Pages) • 1 172 Vues
Après avoir évoqué, à propos de l’auteur de Manon Lescaut « les ruses du romancier et les paradoxes du moraliste », Raymond Picard ajoute : « […] l’on a rarement exprimé l’obscurité et le mystère de l’homme de façon aussi efficace que dans les mots transparents de cette histoire limpide ». Le critique commence par s’intéresser à Prévost en tant qu’auteur de roman. Lui qui est prêtre et se veut moraliste n’a pas fait le choix d’un genre démonstratif pour s’exprimer. Au contraire, il choisit le roman art de feintise, longtemps décrié par les moralistes. Et plus encore, le roman-mémoires à focalisation interne où la subjectivité est de mise et où on est à même de s’interroger sur la place de l’auteur. Prévost ruse, il trompe son lecteur pour le faire parvenir à ses fins. Sa position de moraliste se teint alors de divers paradoxes. Il peint les passions pour les condamner, il trompe pour enseigner… Ensuite, Picard se penche sur ce qui rend l’expression de ce roman efficace. Pour lui, ce qui est « exprimé » c’est « l’obscurité et le mystère de l’homme », ces deux termes peuvent être perçus comme des homonymes dans le sens où ils regroupent l’idée d’un caractère inexplicable. Ils désignent donc un inconnu, celui de la condition humaine. « Obscur » insiste sur le caractère sombre de celle-ci. Le « mystère » est polysémique, dans le cadre religieux, il peut désigner la chose qui n’est connue qu’à l’initié. Ainsi le roman se revêtirait d’une dimension initiatique, le mystère de l’homme se révélant à la lecture. Ce qui pourrait expliquer l’apparent car ce qui rend l’expression de cette nature complexe particulièrement efficace dans Manon Lescaut c’est au contraire qu’elle est exprimée simplement. Pour Picard, il s’agit d’une « histoire limpide » c’est-à-dire intelligible, pure, qui parle à son lecteur. Et ce avec des « mots transparents » donc apte à se faire traverser par la lumière, le terme entre alors en relation d’antonymie avec « obscur ». Ainsi, pour Picard le roman exprime un fond complexe avec une forme simple et c’est ce qui le rend efficace. Dans quelle mesure peut-on dire que la peinture de la nature complexe et sombre des hommes est rendue visible par un récit simple ? Pour commencer nous verrons que la nature mystérieuse et obscure de l’homme est efficacement rendue visible par Prévost par le biais d’un récit intelligible qui l’éclaire. Ensuite, nous verrons que cette nature complexe de l’homme qu’illustre le roman est étroitement liée à un récit qui la complexifie. Enfin, nous nous demanderons si ce n’est pas le contexte qui créer cette complexité du roman et des individus qui y sont peints où semble s’affronter des idéologies irréconciliables.
Prévost semble en effet peindre dans ses romans des personnages obscurs, à l’image de l’homme qu’ils représententtendent à incarner. Dès l’Avis au lecteur, Renoncour le narrateur nous avertit à propos du héros c’est « un exemple terrible de la force des passions » (p74), cette description pourrait aussi bien s’appliquer à Manon. Prévost s’inscrit ainsi dans la lignée des moralistes du siècle précédent, peignant les passions pour mieux les décrier. Le couple des Grieux-Manon pourrait alors être rapproché s de tragédie des héros classiques, s’engouffrant dans le vice, provoquant l’effroi du lecteur, à valeur de catharsis. En effet, avant la rencontre fatale de Manon, des Grieux était promis à une carrière d’ecclésiastique et éprouvait même « quelques marques d’aversion naturelle pour le vice » (p89). Mais son amour le dépossède de sa raison, emporté par le vice il va jusqu’à se demander « l’action est-elle en mon pouvoir ? ». Ainsi, Prévost nous livre au fil de la narration une peinture de plus en plus violente des passions. Des Grieux se retrouve fils déchu, voleur, joueur, allant jusqu’au meurtre. Il se laisse submerger par ses désirs successifs de vengeance « tu me le paieras cher » (à propos de G…M… père, p183), « Je ne pouvais me venger plus agréablement de mon rival qu’en mangeant son souper et en couchant, cette nuit même, dans le lit qu’il espérait occuper avec sa maîtresse » (p250 à propos de G…M… fils). Obscur par ses actions autant que par les passions sombres qui l’emportent. Ses péchés sont successivement punis, il se fait démasquer et connait la déchéance jusqu’à la mort de sa maitresse, reprenant ainsi le schéma du trompeur trompé. Manon quant à elle était destinée à une carrière de religieuse. Après sa rencontre avec des Grieux elle connaît, elle aussi, la déchéance. Elle tombe dans la prostitution et le vol. Sa condition semble chez elle liée à sa nature, on lui reconnait une attirance naturelle pour le plaisir. Des Grieux nous dit qu’elle « pèche sans malice ». On peut y voir une forme d’hérédité. Le destin de Manon est en tout cas proche de celui de grandes héroïnes tragique, telle Phèdre que la passion amoureuse mène à la mort. Le roman met bien en scène, conformément à la tradition classique, des héros en proie à la passion. Ils tombent ainsi dans « l’obscurité », aveuglés par le vice à cause d’une passion néfaste. « le mystère de l’homme » serait-il alors la passion amoureuse ? Pour rendre ce récit supportable Prévost use des « ruses du romanciers ». + idée qu’on ne peut comprendre personnages manon est une « énigm »
En effet, la peinture « de l’obscurité et du mystère de l’homme » est rendue efficace selon Picard grâce à des « mots transparents », c’est-à-dire capable de faire transparaitre une part de lumière. Le langage du cœur amoureux et l’expression des sentiments dans le roman semblent paradoxalement exprimer la nature obscure de l’homme. Dès l’Avis, Renoncour nous prévient au sujet de des Grieux, il va être peint « un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d’actions mauvaises » (p75). L’amour semble créer une dualité chez nos personnages. D’une part comme nous l’avons expliqué il pousse des-Grieux au vice. Mais en même temps, l’amour l’éclaire « Les lumières que je devais trouver à l’amour me firent trouver de la clarté dans quantités d’endroits d’Horace et de Virgile, qui m’avaient paru obscurs auparavant. ». C’est grâce à la focalisation interne que les pensées et la nature complexe de l’homme sont exprimées, de telle façon qu’elles deviennent intelligibles et claires pour le lecteur permettant de surcroit sa compassion si ce n’est l’adhésion du lecteur. Le roman est traversé par des scènes au registre pathétique qui ont justement vocation à émouvoir le lecteur. Alors que les péchés du personnage sont successivement vengés par les circonstances, le lecteur est pris de compassion pour le couple des Grieux-Manon. Après que des Grieux ait fait preuve de « ruse » et d’« invention » à l’encontre de G…M… dont il médite de prendre la couche, il est visité par son père. « C’est l’amour vous le savez qui a causé toutes mes fautes. Fatale passion ! Hélas ! […] L’amour m’a rendu trop tendre, trop passionné, trop fidèle et, peut-être, trop complaisant pour les désirs d’une maîtresse toute charmante ; voilà mes crimes ». Les mots du narrateur expriment une réalité obscure qu’ils éclairent. Le lecteur se retrouve dans la même position que l’homme de Qualité qui retranscrit le récit, ému par le triste sort du jeune homme « cette aventure me parut des plus extraordinaires et des plus touchantes » (p85). Le texte laisse alors libre à l’exaltation d’un je aux sentiments contradictoires, d’où l’abondance des oxymores. registre pathétique et le lyrisme permettent d’éclairer nos personnages à la nature obscure sur lesquels le destin semble s’acharner. En usant des « ruses du romancier », Prévost teint de « paradoxes » sa position de « moraliste ». En effet, comme nous l’avons montré la dramatisation du récit entraine une forme d’adhésion du lecteur ce qui nuit dans une certaine mesure à l’« exemple terrible » du « traité de morale » souhaité par l’auteur. Mais dans une autre mesure, c’est ce qui rend l’exercice efficace c’est justement qu’il est plaisant pousse à la compassion, porte à l’effroi, devient ainsi support de réflexion. Des Grieux à Calais, parvient à une forme d’amour supérieur se désintéressant de sa condition « j’étais disposé à la suivre jusqu’à l’extrémité du monde pour prendre soin d’elle, pour la servir, pour l’aimer ». Ainsi la Nouvelle Orléans symbolise un nouveau départ « dans le goût d’un amour vertueux » (p296) pour des Grieux comme pour Manon qui abandonne la prostitution et se livre à un amour fidèle.
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