Baudelaire - les fleurs du mal - question d'ensemble sur l'idéal
Cours : Baudelaire - les fleurs du mal - question d'ensemble sur l'idéal. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Taloche22 • 4 Juillet 2016 • Cours • 3 266 Mots (14 Pages) • 2 089 Vues
Baudelaire, Les Fleurs du Mal
Question d’ensemble : Que faut-il entendre par « Idéal » ?
Définitions du mot
Le sens commun oppose « idéal » à « réel » ou « matériel » ; il y ajoute une notion de beauté et de perfection qui ne sont pas des choses de ce monde, mais dont on peut se faire une représentation plus ou moins claire et vers laquelle il est possible de tendre.
« Idéal » devient alors synonyme de « rêvé ».
le philosophe « idéaliste », à l’exemple de Platon, dans plusieurs de ses dialogues (Le Sophiste ou de l’être, Le Parménide ou des idées, Le Phèdre ou de la beauté…), soutient au contraire que les « idées » sont, non pas de simples concepts, mais les seules vraies réalités, les principes immuables et objectifs de toutes les choses sensibles, qui, elles, ne sont qu’apparence. C’est à la contemplation de ces « idées » que doit tendre notre esprit, dans sa recherche du Beau, du Bien et du Vrai.
Deux explications permettent de mieux comprendre cette philosophie « idéaliste » que l’on appelle aussi, même si les mots s’entrechoquent, « matérialisme des idées ».
L’allégorie de la « caverne », dans le livre VII de La République (Platon) : des hommes sont enchaînés dans une caverne souterraine ; derrière eux, à une certaine hauteur, un grand feu éclaire le souterrain. Les prisonniers voient défiler sur les parois des hommes portant divers objets, et, comme ils n’ont jamais rien vu que ces ombres, ils s’imaginent que ces silhouettes parlent, vivent ; ils les prennent pour la réalité. Si l’on détache un de ces captifs, que l’on conduit à l’entrée de la caverne, et que l’on force à regarder du côté de la lumière, celle-ci blessera ses yeux ; longtemps, il refusera de reconnaître qu’il avait pris des fantômes pour des êtres réels. Telle est la condition humaine y explique Socrate : la caverne, c’est le monde visible, le feu qui l’éclaire, c’est la lumière du soleil ; et les ombres, nos sensations, que nous croyons à tort, plus réelles que les « idées ».
La théorie de la « réminiscence »
Développée dans le beau mythe de Phèdre, elle montre comment l’homme, prisonnier du monde sensible, peut avoir envie d’accéder à celui de ces « idées ». Son âme se souvient de ce qu’elle a vu, dans une vie antérieure (titre du poème XII), où elle faisait partie du cortège des dieux, communiquant comme eux avec les modèles immuables des choses (le Vrai absolu, le Beau absolu), avant de tomber, à la suite d’on ne sait quel méfait (le péché originel, diront les chrétiens), dans le monde du changement, du devenir, des apparences et dans la prison du corps. Et comme ce monde imite vaguement le premier, nous sommes poussés naturellement à rendre plus clairs, plus distincts, nos souvenirs confus de ce séjour auprès des dieux.
C’est ce que Lamartine résume dans ces deux vers :
« Boire dans sa nature, infini de ses vœux, / L’homme est un dieu tombé, qui se souvient des cieux » (Méditations poétiques, 1820, « Méditation II », « De l’Automne »
Pour Baudelaire, qui n’est pas plus que Lamartine un philosophe (mais la philosophie n’est pas l’affaire des seuls philosophes, disait précisément Socrate), la définition d’« Idéal » dans le recueil, se rapproche assez de la théorie platonicienne, bien qu’elle ne s’écarte pas tout à fait de la signification courante de ce mot, dans le langage populaire. Le philosophe reconnaîtra chez le poète la conscience d’une dégradation de l’être dans le monde des sensations, et la nostalgie d’une vie antérieure. Le lecteur ordinaire entendra seulement l’opposition entre « réel » et « idéal », et surtout l’impossibilité d’accéder à la perception recherchée.
Ajoutons, pour être plus précis, qu’il y a, entre « Spleen » et « Idéal », à peu près la même antonymie (voir question d’ensemble « Spleen »), de sorte qu’on peut entendre par le second l’ensemble des aspirations de l’homme, qui s’évertue, par divers moyens, à fuir la vie réelle, génératrice d’Ennui et de Malheur.
Les moyens d’évasion
Ces moyens d’évasion sont, presque tous, voués )à l’échec : ils éloignent momentanément le « spleen » qui les a fait naître mais qui finit toujours par revenir. On peut même dire que « spleen » et « idéal » sont étroitement liés, et compris l’un dans l’autre : il y a des « fleurs » dans le « mal » et le « mal » est dans les « fleurs », « plus maladives », comme dit le poète dans sa dédicace.
Pour contrebalancer le poids de cette vie, voici quelles sont les voies qui s’offrent à lui et font l’objet d’exploration ou d’expériences plus ou moins longues :
- L’amour des femmes
- La communion humaine
- Les « paradis » perdus, imaginaires, artificiels
- Le sentiment religieux
- La mort
- L’art
Aucune de ces expériences n’est vraiment concluante mais chacune correspond à une aspiration authentique de son âme.
L’amour des femmes
Il est aisé de distinguer, dans « Spleen et Idéal », les poèmes (XIX à LV) dont les inspiratrices sont Jeanne Duval (XX à XXV), Apollonie Sabatier (XXVI à XLIV), Marie Daubrun (XLV à LI), la « très belle », la « très bonne » et la « très chère » ?
La femme, « Ange gardien », « Muse et Madone » (XXXVII) tour à tour appelée « mère », « maîtresse », « sœur et enfant », est objet de désir, de tendresse, d’amitié maternelle ou idéalisée. Elle promet de grandes voluptés, elle est la source d’évasion.
Baudelaire ne se lasse pas de détailler les charmes faits pour que l’homme se perde dans les plaisirs des sens : les yeux, la chevelure (CVII), le corps alangui dans sa nudité, ou la démarche de « serpent qui danse » (XXVI), les parfums qui grisent, les toilettes, les bijoux (XX), la sensualité toujours inassouvie (« Sed non satiata », XXIV)… Comparées tour à tour à un « beau navire » (XLVIII), à la mer, au paysage d’une île bienheureuse ou d’un pays rêvé, ou bien encore à l’animal voluptueux et mystérieux par excellence (« Les Chats », XLVI), la femme aimée dissipe l’inquiétude et l’ennui ; elle satisfait l’envie d’ailleurs ou d’autre chose.
Mais elle est à la fois « douceur » et « poison » (« Le Balcon », XXXIV), si bien que Baudelaire éprouve, alternativement ou simultanément, deux sentiments opposés et complémentaires :
« Folle dont je suis affolé / Je te hais autant que je t’aime ! » (« A celle qui est trop gaie », XXXIX)
Il lui reproche d’être impure, froide et cruelle, telle une « bête implacable », « reine des péchés », « fangeuse grandeur », « sublime ignominie » (deux oxymores éloquents !), dont la « froide majesté » cache mal le cœur « stérile » (voir les poèmes XXII à XXVI, qui constituent un bloc dans cette partie du recueil). Il se reproche d’être dépendant, attaché à « l’enfer de [s]on lit » (XXIV). Cet amour finalement porte la marque de la déchéance, peut-être du péché originel (la femme-serpent) et donne comme un avant-goût du néant : le poème qui suit cette série, « Une Charogne » (XXVII), décrit la décomposition du corps avec un réalisme voire un goût de l’horreur et du macabre.
On trouve même, dans « Mon cœur mis à nu », des jugements plus durs, excessifs, voire orduriers, comme « la femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire », « J’ai toujours été étonné qu’on laissât les femmes entrer dans les églises », « Dans l’amour […], l’entente cordiale est le résultat d’un malentendu. Ce malentendu, c’est le plaisir… », « Nous ne pouvons faire l’amour qu’avec des organes excrémentiels »…
Mais le comble du mauvais goût est peut-être atteint dans cette « fusée » où il est dit qu’il y a dans l’acte d’amour une grande ressemblance avec la torture, ou avec « une opération chirurgicale ».
La communication humaine
Peu attiré par la nature (voir « Obsession », CXVIII), détestant les lacs, les vallons, les grands bois si chers aux Romantiques, Baudelaire reconnaît dans la Ville un milieu humain, créé pour l’homme et par l’homme :
« Ivresse religieuse des grandes villes. Panthéisme. Moi, c’est tous, tous c’est moi. Tourbillon. » (« Fusées », fragment II). Les « Tableaux parisiens » sont une longue promenade dans ce « Paris [qui] change » (« Le Cygne », CXXIV), « fourmillante cité pleine de rêves » (« Les Sept Vieillards », CXXV), « où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements » (« Les Petites Vieilles », LXXVI). C’est le lieu de rencontres multiples, la jolie passante « fugitive beauté », qu’on aurait pu aimer (CXXVIII), les aveugles, les vieillards, les petites vieilles, et toute cette foule, « fleuve de vitalité (…) étonnante harmonie de la vie dans la capitale », où le poète, l’artiste ou l’homme du monde « entre (…) comme dans un immense réservoir d’électricité » (« Curiosités esthétiques ». Le peintre de la vie moderne, III). Il y trouve, outre une source d’inspiration très riche, l’occasion de sortir de sa solitude, de s’intéresser aux autres, d’éprouver des sentiments (pitié, curiosité, tendresse) qui le détournent, au moins pour un temps, de son mal de vivre.
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