Bel-ami, commentaire composé la vie française i-6

        Le XIXème siècle est une période de grandes métamorphoses pour la société française que les auteurs réalistes et naturalistes ont cherché à retranscrire aussi fidèlement que possible au travers de leurs œuvres romanesques. Guy de Maupassant, élève de Gustave Flaubert et proche d’Émile Zola, a proposé dans son roman Bel-Ami une version personnelle du jeune ambitieux grâce à son personnage de Georges Duroy. Celui-ci va gravir très rapidement les échelons dans le milieu du journalisme grâce à son charme ravageur et son absence totale de morale. Dans notre extrait, issu du chapitre 6 de l’œuvre, nous découvrons une description complète du fonctionnement de La Vie française où il travaille.Grâce à différents portraits, celui du propriétaire et député M. Walter tout comme de ceux des différents journalistes qui le composent, le narrateur semble dresser la recette infaillible pour obtenir un journal corrompu par l'argent des puissants. Aussi, nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette description du fonctionnement de La Vie Française construit un véritable réquisitoire contre une certaine presse du XIXème siècle. Ainsi nous observerons tout d'abord la présence de portraits critiques des journalistes puis un guide des pratiques attendues dans ce journal  et enfin la dénonciation d'un outil au service des politiciens qui le financent.

I - Un portrait critique des journalistes

1. Un portrait positif ridiculisé, Boisrenard

• Énumération de qualités « correct, ponctuel et méticuleux » aussitôt ridiculisé par une comparaison dégradante « comme un employé » = manque de grandeur, juste obéissant. Autres qualités « dévoué », « expérience »  + énumération « honnête, loyale et correcte » et pourtant il va être remplacé par « un autre homme ». Paraît illogique.
• Comparaison « comme on change de restaurant » = la rédaction est une « cuisine » dont le chef est Walter. Énumération de comparaisons qui prolonge l'idée de restaurant et montre que Boisrenard manque de tous les sens, goût, « aveugle », « sourd », « muet » avec une insistance dans la répétition de « rien » à chaque fois qui martèle son incompétence
• Ironie de son nom, onomastique « Boisrenard », un animal rusé et pourtant c'est exactement ce qui lui manque « rouerie ».

1. Éloge du mensonge dans le portrait du chef des Échos idéal

• Dans la définition du rôle du chef des Échos, énumération des actions avec dégradation de l'idée de vérité « C'est par eux qu'on lance les nouvelles » mais ici nouvelles ≠  de l'information/vérité car «qu'on fait courir les bruit »
• Champ lexical du mensonge « bruits », « insinuée », « sous-entendus » « rumeur »
• La ruse est placée au dessus de la loyauté « retors » énumération « rusé » « souple » « astuce » « rouerie native »
• Liste des actions à mener « Il faut » avec tournure impersonnelle, sens commun de l'obligation morale mais au contraire, ici pour donner des recommandations immorales qui jouent avec la vérité « « savoir glisser » + « laisser deviner »

1. Des journalistes achetés comme des produits

• Les journalistes sont choisis comme des produits au marché avec métaphore et énumération « tâtés, éprouvés, flairés » : comme des fruits.
• Idée qu'ils sont un investissement « précieux » : Boisrenard « par son expérience » puis Duroy « un garçon précieux » : qui ont de la valeur aux yeux du « patron »
• Ils ne sont que des produits : Tournure impersonnelle « on y avait attaché » = paronyme (proximité sonore) avec acheté + « on s'était procuré » comme des choses achetées sur une liste de course, « à bas prix »
• Suite justement d’une énumération des différents profils acquis  « grande tribu mercenaire » : qui vendent leurs services. Dans tous les domaines, même « d'art, de peinture, de musique, de théâtre » = l'argent est le maître partout et peut tout s'offrir.
• Les femmes vendent les secrets des « grandes dames » aux autres lectrices. Leur surnom révèle leur fourberie « Domino rose » = masque « Patte Blanche » = le chat qui est un animal réputé rusé.

II - Un guide des pratiques journalistiques attendues

1. Mettre en avant le mensonge

• Jeu avec vérité : chiasme qui crée la confusion  « démentir... que la rumeur s'affirme, affirmer … que personne ne croie » : affirmer = tenir pour vrai mais ici entouré par le mensonge
• Choisir les informations : énumération avec « pour » qui montre que le « flair » sert bien à « découvrir la fausse nouvelle » mais les autres infinitifs montrent que ce savoir est utilisé « bon à dire ou à celer » uniquement en fonction de l'effet voulu sur le public.

1. Et séduire tous les publics... (Démagogie pour toucher tout le monde)

• France entière « à Paris et à la Province »
• Hyperbole pour décrire le public «tout le monde » + répétition de tout tantôt pronom indéfini « penser à tout et à tous » tantôt déterminant indéfini « tous les mondes, à toutes les professions » : insistance pour décrire l'ambition du journal.
• Liste des professions qui rapprochent les univers en antithèses comme pour montrer le cynisme du directeur « Armée » VS « Peintres », « Clergé » VS « Université », « Magistrats » VS « Courtisanes »

1. Pour manipuler l'opinion

• Le choix de l'information « qui portera sur le public » et le talent journalistique doit « le présenter ...que l'effet en soit multiplié » : le journalisme influence l'opinion au lieu de servir la vérité.
• Le but de ces mensonges « qu'on agit sur le public et sur la rente ». Lien entre ce que doit croire le public et l'influence sur l'argent + « les spéculations que lançait ou soutenait le directeur ».

III - Un outil obéissant au service des puissants

1. Un journal à l'image de son directeur

• qui lui-même porte « un masque souriant de brave homme » alors qu'il est avant tout « un homme d'argent ».
• Place du politique via les Echos qui est « la moelle du journal » métaphore pour dire qu'il est l'essentiel, le but alors que tout le reste du journal ne sert qu'à donner une façade respectable (« donner au journal une allure littéraire »)
• Il renie l'intégrité de Boisrenard (« honnête, loyale et correcte ») au profit d'un arriviste comme Duroy doté d'une « rouerie native ».

1. Pour faire de l'argent (absence de morale à la source du journal)

• Les « véritables rédacteurs » sont des « députés intéressés  dans toutes les spéculations » : ce sont eux qui « manoeuvr[ent] » le journal et les journalistes.
• Présentés comme des escrocs ou la mafia « bande Walter » + importance de son rôle avec répétition égocentrique «gagner de l'argent avec lui et par lui » + qui se cachent derrière d'autres personnes Forestier « homme de paille ».

• Présence de l'argent avec jeu sur le double sens du mot « fonds de l'Etat et sur les bas-fonds de la politique » (fond = argent + profondeur) bas-fonds = immoralité.

1. Grâce à une armée obéissante

• Métaphore filée guerrière « de la bonhomie une arme » « commande au bataillon » « en garde »  « armé » « mercenaire » « manœuvrée » : comme les manœuvres d'une troupe (+ manœuvre = manigances politiques). Walter est le vrai commandant et le reste du journal n'est qu'une arme (un outil) qui sert à mettre en place les opérations qu'on lui ordonne.
• Métaphore du bateau qui « naviguait sur les fonds et bas-fonds » : idem le journal est un outil qui ne fait qu'obéir.
• Métaphore des journalistes qui sont comme un chien « en garde, méfiant […] rusé, alerte, souple » « doué d'un flair » « on y avait attaché deux écrivains » : un chien attaché, obéissant à son maître (qui le nourrit puisqu'il le paie)

        Nous avons donc bien vu que la série de portraits critiques et la mise en lumière des pratiques journalistiques immorales dressées dans cette description servent essentiellement à construire une véritable attaque contre l'immoralité de la presse et à dénoncer la collusion entre le journalisme et les puissances politiques.[...]