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Guillaume Apollinaire Choix de poèmes

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fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne Les enfants de l’école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

Annie

POÉSIE

Sur la côte du Texas Entre Mobile et Galveston il y a Un grand jardin tout plein de roses Il contient aussi une villa Qui est une grande rose Une femme se promène souvent Dans le jardin toute seule Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls Nous nous regardons Comme cette femme est mennonite Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas de boutons Il en manque deux à mon veston La dame et moi suivons presque le même rite

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

Marizibill

POÉSIE

Dans la Haute-Rue à Cologne Elle allait et venait le soir Offerte à tous en tout mignonne Puis buvait lasse des trottoirs Très tard dans les brasseries borgnes Elle se mettait sur la paille Pour un maquereau roux et rose C’était un juif il sentait l’ail Et l’avait venant de Formose Tirée d’un bordel de Changaï Je connais gens de toutes sortes Ils n’égalent pas leurs destins Indécis comme feuilles mortes Leurs yeux sont des feux mal éteints Leurs coeurs bougent comme leurs portes

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

L’émigrant de Landor Road

À André Billy

POÉSIE

Le chapeau à la main il entra du pied droit Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi Ce commerçant venait de couper quelques têtes De mannequins vêtus comme il faut qu’on se vête La foule en tous les sens remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs Mon bateau partira demain pour l’Amérique Et je ne reviendrai jamais Avec l’argent gagné dans les prairies lyriques Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais Car revenir c’est bon pour un soldat des Indes Les boursiers ont vendu tous mes crachats d’or fin Mais habillé de neuf je veux dormir enfin Sous des arbres pleins d’oiseaux muets et de singes Les mannequins pour lui s’étant déshabillés Battirent leurs habits puis les lui essayèrent Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé Au rabais l’habilla comme un millionnaire Au-dehors les années Regardaient la vitrine Les mannequins victimes Et passaient enchaînées Intercalées dans l’an c’étaient les journées veuves Les vendredis sanglants et lents d’enterrements De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent Quand la femme du diable a battu son amant

Puis dans un port d’automne aux feuilles indécises Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi Sur le pont du vaisseau il posa sa valise Et s’assit Les vents de l’Océan en soufflant leurs menaces Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses Et d’autres en pleurant s’étaient agenouillés Il regarda longtemps les rives qui moururent Seuls des bateaux d’enfant tremblaient à l’horizon Un tout petit bouquet flottant à l’aventure Couvrit l’Océan d’une immense floraison Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins Et l’on tissait dans sa mémoire Une tapisserie sans fin Qui figurait son histoire Mais pour noyer changées en poux Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent Il se maria comme un doge Aux cris d’une sirène moderne sans époux Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales Jusqu’à l’aube ont guetté de loin avidement Des cadavres de jours rongés par les étoiles Parmi le bruit des flots et les derniers serments

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

Cors de chasse

POÉSIE

Notre histoire est noble et tragique Comme le masque d’un tyran Nul drame hasardeux ou magique Aucun détail indifférent Ne rend notre amour pathétique Et Thomas de Quincey buvant L’opium poison doux et chaste À sa pauvre Anne allait rêvant Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent Les souvenirs sont cors de chasse Dont meurt le bruit parmi le vent

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

L’écrevisse

POÉSIE

Incertitude, ô mes délices Vous et moi nous nous en allons Comme s’en vont les écrevisses, À reculons, à reculons.

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

La carpe

POÉSIE

Dans vos viviers, dans vos étangs, Carpes, que vous vivez longtemps ! Est-ce que la mort vous oublie, Poissons de la mélancolie.

Guillaume Apollinaire

Alcools

Cycle 3 Littérature

Les saisons

C’était un temps béni nous étions sur les plages Va-t’en de bon matin pieds nus et sans chapeau Et vite comme va la langue d’un crapaud L’amour blessait au coeur les fous comme les sages As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était artiflot À la guerre C’était un temps béni Le temps du vaguemestre On est bien plus serré que dans les autobus Et des astres passaient que singeaient les obus Quand dans la nuit survint la batterie équestre As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était artiflot À la guerre C’était un temps béni Jours vagues et nuits vagues Les marmites donnaient aux rondins des cagnats Quelque aluminium où tu t’ingénias À limer jusqu’au soir d’invraisemblables bagues As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était artiflot À la guerre C’était un temps béni La guerre continue Les Servants ont limé la bague au long des mois Le Conducteur écoute abrité dans les bois La chanson que répète une étoile inconnue As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était militaire As-tu connu Guy au galop Du temps qu’il était artiflot À la guerre

POÉSIE

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