HHhH, chapitre 131, Laurent Binet

HHhH, chapitre 131, Laurent Binet[pic 1]

Introduction :

      « Quoi de plus vulgaire qu’un personnage inventé ? » assène Laurent Binet dès l’incipit de son roman HHhH, publié en 2010. Son roman ? Non, son traité d’Histoire ou son ouvrage documentaire sur l’assassinat d’Heydrich, et sur le travail de l’historien cherchant à retracer «  cette histoire [qui] dépassait en romanesque et en intensité les plus improbables fictions » (HHhH, chapitre 5).

      Dans cette œuvre, l’auteur conte d’abord ses recherches, ses découvertes progressives, avant de suivre le parcours des deux résistants qui tuèrent le bras droit d’Himmler en 1942 : le slovaque Jozef Gabcik et le tchèque Jan Kubis.

      A l’orée de son récit, soit au chapitre 131, Binet nous met habilement dans la peau des personnages : il force l’identification du lecteur avec ces héros sympathiques et admirables, tout en retraçant promptement leur parcours.

Problématique : Comment cet incipit opère-t-il la métamorphose des hommes en personnages romanesques, voire en héros ?

[Autres exemples de problématiques : Comment ce chapitre traduit-il la métamorphose romanesque de l’homme en héros historique ? ; Qu’est-ce qui fait le potentiel romanesque de certains personnages historiques ?]

I-Des hommes réels, ces personnages sont des personnes

A)Deux hommes réels

-nationalité, déclinée d’emblée « Vous êtes tchèque ou slovaque » : Jan Kubis est tchèque, Jozef Gabcik est slovaque.

-noms

-effet de réel : plaisent aux filles, boivent le thé chez leurs parents (l.41 à 43)

-noms anglais

B)Identification du lecteur

-« vous », pronom personnel de deuxième personne, désignant à la fois le lecteur, et les deux résistants : en tête de phrase et de chapitre ; en anaphore ; en répétition.

-« votre » : le déterminant possessif nous attribue : *un pays (l.4, 34, 48) pour montrer que les résistants se battent pour leur pays, quel qu’il soit, que ce soit la République Tchèque, la Slovaquie ou la France ; *du courage : « votre courage » (l.25) ; *un ami résistant comme nous : « votre ami » (l.30) ; *un manteau militaire sur lequel le président accroche une décoration (l.31).

NB : publié en 1957, le roman La Modification de Michel Butor, est entièrement écrit à la deuxième personne « vous » pour faire entrer le lecteur dans la peau du personnage. C’est une des œuvres fondatrices du mouvement du Nouveau-Roman.

C)Personnes réelles pour un récit engagé

1)Volonté d’historien :

Ne rien trahir de l’Histoire, respecter les faits, et avouer ses lacunes, tels sont les credos de Laurent Binet. La quantité et la précision des références historiques en témoignent.

2)Engagement de l’auteur-narrateur :

-L’auteur-narrateur devient lui-même porteur des valeurs qu’il admire chez Gabcik et Kubis ; tolérance, sens de l’honneur et de la justice…

-tolérance : elle se décèle dès la première ligne, à travers l’alternative : « Vous êtes tchèque ou slovaque ». Cette conjonction de coordination semble mettre ces deux nationalités sur le même plan, alors qu’en 1940, elles n’ont pas du tout la même connotation. Etre slovaque, c’était appartenir à la nation qui avait trahi, qui avait accepté le joug hitlérien, et les tchèques reprochaient à leurs ancien compatriotes (de Tchécoslovaquie) cette soumission. Jan Kubis (tchèque) a eu l’intelligence d’accepter l’amitié de Gabcik (slovaque), car il savait que ce n’était pas le peuple, qui avait accepté d’être intégré au IIIème Reich, mais Monseigneur Tiso, prêtre antisémite et pro-nazi, président de Slovaquie

-admiration : pour le sens de l’honneur, la bravoure, le courage des résistants.

-Il leur rend justice en retraçant leur parcours dans cet ouvrage.

II-Des héros historiques et romanesques

A)Parcours des résistants, inscrits dans l’Histoire

1)Récit chronologique :

-départ de l’ancienne Tchécoslovaquie.

-trajet par la Pologne ou les Balkans, vers la France.

-Afrique du Nord.

-Retour en France : lutte contre l’Allemagne.

-Angleterre + Ecosse : dans la résistance.

2)Elargissement : il suit deux héros à la fois :