L'imagination Morale Se Résume-T-Elle À La Pitié ?
Dissertation : L'imagination Morale Se Résume-T-Elle À La Pitié ?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresiel contre l’exhaustif, rien de péjoratif (pas « se réduit-elle à la pitié » ?). Résumer, c’est rassembler, vouloir au fond des choses, nommer les choses, les expliciter ; c’est bien le but d’une dissertation. Se résumer : pronom personnel, résumer soi-même, se rassembler, rapport à soi. Sujet qui sollicite notre propre imagination morale. La pitié serait un petit mot qui signifierait moralement beaucoup et serait révélateur de la complexité et de l’ambivalence tant de la morale que de l’imagination morale. Car il existe en réalité deux valeurs morales de la pitié : une faible et une forte, une viciée et une vicieuse, un sens mélioratif et péjoratif si l’on veut, mais je préférerai ici employer les termes pitié faible et pitié forte. Cercle vertueux de la pitié forte contre cercle vicieux de la pitié faible. Je vais justifier cette distinction qui est non pas de degré, mais de nature, et qui forme le problème de ce sujet.
Toute imagination n’est pas morale ; l’imagination est à la fois une instance de moralité et d’immoralité. La pitié suit. La sensibilité est polysémique : la sensiblerie et le tact. C’est en définitive la qualité de son imagination : non pas délirante, mais juste, qui fait la qualité de la morale, cad du comportement d’un être humain.
Il faut de l’imagination tant pour se mettre à distance d’autrui (pudeur, tact, prévenant, tenue), il faut aussi de l’imagination pour se rapprocher d’autrui : fusionnel. L’identification peut être fusionnelle : le héros, l’être tout puissant, réveille le désir de toute puissance narcissique. L’identification exemplaire se révèle donc porteuse de la même alternative que la pitié : il existe une figure faussée du héros chargé de combler le désir narcissique et il existe une figure droite et juste du héros : sensiblerie contre distance.
I – l’imagination morale forte se résume à la pitié forte :
La pitié forte = le ton juste.
La pitié forte est saine : il serait malsain de ne pas éprouver la pitié au sens fort : ce serait être insensible, cruel, inhumain. Les serial killers sont insensibles. C’est parce que nous sommes sensibles et sommes donc capables d’éprouver de la joie comme de la peine que la peine d’autrui nous est accessible et suscite notre imagination. Santé de la morale et de l’imagination : réglées, ordonnées, sens de l’autre, de la situation désespérante dans laquelle il se trouve. Tout converge ici : morale (sens de l’autre), imagination, pitié nobles. Refuser la pitié, c’est être inhumain, cruel, jouir de notre supériorité et du fait que nous n’aiderons pas celui qui souffre.
La pitié, c’est donc la sensibilité réglée, saine. A ce titre, les animaux supérieurs, qui possèdent aussi l’imagination (confère Aristote : la fourmi ne semble pas posséder l’imagination, mais le chien ou le félin si), sont capables de pitié. Et l’homme est davantage capable de pitié à leur égard qu’à l’égard des animaux sans imagination. La pitié, c’est ce par quoi je suis sensible et relié au monde environnant.
a- Je vais par ma pitié forte donner confiance à celui que je secoure envers ses propres forces, envers sa capacité à remonter la pente : cercle vertueux, vertu partagée donc. Par ma pitié vertueuse, je vais susciter en l’autre la vertu de s’en sortir. Le + produit du +. Gain partagé. Je donne pour que l’autre se donne à lui-même des motifs d’espérer. L’homme qui est l’objet de la pitié forte, cad distante, se décentre alors de lui-même : je lui sers de modèle pour dépasser sa difficulté. L’homme charitable mobilise les forces de celui qui souffre, qui se sent alors soutenu dans son épreuve. C’est le soutien que celui-ci attendait pour rebondir.
b- La pitié forte ne prétend pas épargner à autrui sa souffrance. On ne peut pas partir de la souffrance, de l’accès de faiblesse, qui est insondable, incomparable, proprement inimaginable : puits sans fond. Il ne faut pas se mêler de la souffrance d’autrui, qui nous échappe. C’est le mouvement inverse auquel il faut tendre : tirer l’homme souffrant de sa souffrance : cela suppose égard, délicatesse, attention, mais aussi distance. Je ne pourrai par exemple pas épargner à autrui son long travail de deuil. Le meilleur moyen qu’ont trouvé des soignants pour drogués, c’est d’inviter dans leur structure des personnes extérieures en réussite professionnelle, personnelle, etc., pour les hisser vers le haut et leur donner envie de s’en sortir. On en peut donc partir de la souffrance d’autrui pour le secourir : refus de la sensiblerie.
Nietzsche Le gai savoir, § 338 : accepter la souffrance de l’autre, d’une part parce qu’elle dépasse notre imagination, nous échappe, nous est inconnue, ensuite parce que la souffrance est nécessaire à la construction de soi. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». « Une grande âme aura forcément beaucoup souffert, une petite le moins possible. »
c- Celui qui éprouve la pitié forte s’aime assez lui-même pour ne pas avoir besoin de prouver qu’il est un type bien ; du coup, il éveille en celui qui souffre l’amour de soi-même, la fierté, qui consiste chez lui à relever la tête. Il faut s’aimer soi-même pour être capable d’aimer les autres de façon désintéressée, comme l’exige la pitié forte. La pitié forte consiste à ne pas attendre d’abord la reconnaissance de celui qu’on secoure, pour ne tomber soi-même dans la dépendance envers son regard sur nous. Sinon, un chantage affectif à court, moyen, et long terme risque de se nouer.
La pitié est une forme d’amour chaste : on l’appelle dans les trois religions monothéistes « la charité », être charitable.
Transition : Affaibli ou en état de faiblesse ne signifie pas faible tout court. De même que renforcé et situation de force (fortune au sens classique) ne signifie pas fort tout court. Affaibli suppose que l’on a été fort, que l’on est fort, que l’on a des ressources et que l’affaiblissement est temporaire, qu’on veut s’en relever, s’en sortir. Il y a une pitié de l’élévation, et une pitié de l’abaissement, du rabaissement.
II – L’imagination morale faible se résume à la pitié faible :
Mais la pitié faible existe aussi, même si elle est plus difficile à cerner. La pitié vicieuse est non distante, fusionnelle. On en fait trop, des deux côtés : impudeur, manque de recul, de retenue : pleurs de celui qui souffre, apitoiement excessif de celui qui éprouve la pitié. On compense une déficience par du spectaculaire. Lors d’un enterrement, surprise de voir des gens qui connaissaient à peine la personne décédée pleurer de toutes leurs larmes. C’est qu’on en rajoute.
a- Nous disions à l’instant que la pitié, manifestation de l’imagination morale, consistait à se mettre à la place de l’autre, car autrui est un autre soi-même et nous voudrions bien qu’autrui puisse se mettre à notre place si nous étions en grande difficulté. Mais justement, la question devient : voudrions-nous nous-même inspirer la pitié ? Surtout pas : quelle horreur. « Nul n’aime inspirer la pitié » Alain Propos sur le bonheur, p. 137. Nous avons envie de dire à ceux qui font mine de se pencher sur notre sort en disant des banalités du type « t’en fais pas, cela passera, etc. » : « garde ton imagination pour autre chose, ne te projette pas en moi, ne t’identifie pas à moi, tu n’y comprendrais rien, etc. »
Nous voudrions à froid, par anticipation, qu’autrui sache se mette à notre place, mais en fait ce n’est peut-être ni possible, ni souhaitable. Et nous ne le souhaitons au final pas tant que ça à chaud, sur le fait, que cela se produise.
b- Autre difficulté : la détresse d’autrui suscite notre imagination, mais peut même exciter notre imagination : curiosité déplacée sur les circonstances qui lui ont valu cette situation de détresse, indiscrétion, intérêt douteux, voire jubilation. Cela, nous le ressentons pleinement quand nous sommes nous même en difficulté : « ma détresse les intéresse au plus au point, ces salauds ». Nous ne parlons plus ici d’une imagination désintéressée (dé-intéressée de soi-même pour être intéressée par l’autre : décentrement), mais au contraire d’une imagination intéressée, « pour savoir ». Un médecin hospitalier qui travaillait dans les services de TS m’avait dit être étonné de la question récurrente des personnels supposés soignants : « il ou elle t’a dit pourquoi elle avait voulu se suicider ? ». Imagination déréglée, désordonnée, chaotique, versatile aussi (ta détresse m’intéresse maintenant parce que je n’en sais pas encore la cause, mais ne m’intéressera plus ce soir lorsque je le saurai) de la pitié malsaine, faible, contre l’imagination réglée, ordonnée, stable, équilibrée exercée dans la pitié vertueuse, forte, saine. Ton faussé contre ton juste.
Pitié vicieuse = sensiblerie, mauvaise morale également, de la culpabilisation pour l’autre (chantage affectif inversé : « quand je pense à tout ce que je fais pour toi, tu pourrais quand même… ») et de la culpabilisation pour soi-même, source de notre acte de pitié.
c- Il y a pire : la pitié faible existe aussi et surtout chez celui qui suscite la pitié, chez le pitoyable, le misérable. Faible = l’art de se plaindre, d’inspirer
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