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Les Sept vieillards, Baudelaire

Commentaire de texte : Les Sept vieillards, Baudelaire. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  6 Janvier 2020  •  Commentaire de texte  •  3 223 Mots (13 Pages)  •  7 479 Vues

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 Extrait du poème « LES SEPT VIEILLARDS ». Lecture linéaire

Interprétation

À VICTOR HUGO

Dédicace à Victor Hugo : par cette inscription  en tête du poème, Baudelaire fait un hommage  de son œuvre à Hugo, poète, dramaturge et romancier dont il admire la sensibilité

Victor Hugo est sensible à la vie de misère des pauvres   qu’il a évoqué par exemple dans son roman Les Misérables ou encore qu’il traite dans son Discours sur la misère(1849) . Il s’intéresse aussi à Paris par exemple dans son roman Notre-Dame-de-Paris.

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant !

→ Rép. Du mot « cité» ⇒ anadiplose

→ Adj ; « fourmillante » qualifiant la cité

→ expression à valeur d’adverbe « plein de » (rêves)

→ « spectre » : lexique

→ « en plein jour »+ point d’exclamation+ répétition de “plein”

→ Enjambement du 2è vers

→ « le » passant : déterminant défini

Le poète déambule dans la ville:

  • Phrase elliptique nominale qui débute le poème v.1-2 dont le noyau est le mot « cité »  désignant une ville qu’il ne nomme pas, mais qui lui semble familière, le poète plaçant  la ville au centre de ses préoccupations dès les premiers vers du poème  .  Reprise (anadiplose, fig. de style qui consiste en la reprise d'une proposition à l'identique à la suite de la première proposition et  forme un enchaînement qui permet d'accentuer l'idée ou le mot  ) du mot « cité» qui crée un effet d’insistance  incantatoire, presque hypnotique: le poète semble envoûté par cette ville.
  •  Adjectif « fourmillante » qui qualifie la ville comparée à une fourmilière. Forme de déshumanisation de la ville et de ses habitants qui semblent grouiller comme des insectes  s'agitant en grand nombre comme le font les fourmis . Impression de dégoût    créée dès le premier vers qui surprend le lecteur. Vision de laideur . Sentiment d’effroi.
  • Vision onirique ( = qui se rapporte au rêve) ou cauchemardesque :   les rêves sont impalpables, insaisissables, ils appartiennent à l’irréel et à l’étrange comme les spectres : Le regard du poète transfigure la ville et lui donne une dimension fantastique
  • Référence à la mort : « spectre »: vision lugubre qui traduit l’état d’âme du poète : il souffre de spleen, d’une forme de mélancolie sans cause apparente, caractérisée par le dégoût de toute chose. Les sentiments du poète sont intensifiés par la présence du point d'exclamation.
  • Enjambement du 2è vers qui permet de mettre en valeur le lien qu'il y a entre la ville décrite et un monde surnaturel , mais aussi un lien établi entre  la ville à la mort.
  • Dans cette ville circule « le passant » : déterminant défini  ambigu :s’agit-il de n’importe quel passant ou peut-être du poète lui-même. Pourquoi ce singulier ? Traduit la solitude de chaque homme happé « raccroché » par ce « spectre ». Ce spectre symbolise-t-il l’ennui invisible qui ronge, grand ennemi de Baudelaire (Baudelaire a écrit un poème intitulé « L'ennemi » qui désigne l'ennui), un ennui qui « tue »métaphoriquement le poète à petits feux? Ou encore le spleen ?

Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.

  • Le poète poursuit la description fantastique de la ville par la référence faite à des « mystères », terme qui renforce l’impression d’étrangeté suscitée par cette description.
  •  L’adverbe « partout »placé à la césure du vers (= la césure est la coupe médiane d'un vers. Le mot qui se trouve à la césure du vers est souvent très riche de sens et est une des clés du texte)évoque une forme d’invasion oppressante : ces « mystères » semblent enfermer, emprisonner le passant-poète dans une sorte de réseau formé de « canaux » dans lesquels ils semblent « couler », circuler. Ces canaux sont les canaux de Paris  comme la ville emprisonne le poète; on a l’impression qu’ils  envahissent la ville, et par osmose (l'osmose= le principe des vases communicants) le poète lui-même. L’image liquide de ces réseaux traduite par  le verbe « coulent » est associée à la comparaison faite avec des « sèves », liquide vital qui alimentent la ville :il s'agit d'une métaphore filée : la ville est ici comparée métaphoriquement à un végétal monstrueux et vivant, tentaculaire,  qui étend ses racines envahissantes partout.
  • La ville est monstrueuse et gigantesque, par contraste avec le passant qui proportionnellement est insignifiant. Le mot « colosse » désigne un homme de taille et de force exceptionnelles . Le poète ici personnifie la ville pour mieux traduire la fragilité du passant évoqué plus haut.

Un matin, cependant que dans la triste rue

  • Suspension de la pause descriptive et introduction du récit : poème qui semble prendre l'allure d'un poème narratif. Passage de la description au récit exprimé par le complément circonstanciel de temps « un matin » et redoublée par la conjonction de subordination  « cependant que  » qui introduit une proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de temps.
  • Mais illusion : la description de la ville reprend, toujours plus invasive.Caractère lugubre de la rue qualifiée de « triste » : elle semble refléter l'état d'âme du poète.

Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d’une rivière accrue,

  • Présence de la brume qui renforce le caractère onirique de ce tableau. Déformation fantastique hyperbolique et grotesque des lignes des bâtiment qui crée un sentiment de confusion : les repères réels se perdent : hallucination.
  • Rejet du verbe « simulaient » mis en valeur :  « Simuler » signifie «  tromper en imitant l'apparence de quelque chose de réel » : on retrouve l'idée d'illusion et de confusion :la réalité perd de sa netteté. Le lecteur lui peu à peu perd ses repères.Ici, les deux côtés parallèles de la rue sur lesquels sont bâties des rangées de maisons qui se font face  sont comparés aux deux rives, aux deux allées bétonnées qui bordent une rivière. Abondance de termes appartenant au champ lexical de l'eau :l'image inquiétante du liquide est reprise avec l'adjectif « accrue »: la rivière s'est gonflée d'eau, cette image  renvoie à l'idée d'inondation angoissante, mais aussi à celle d'hallucination...Le poète serait-il victime des effets hallucinogènes de l'opium qu'il consommait ?

Et que, décor semblable à l’âme de l’acteur,

  • L'on comprend dès le vers suivant que cette tristesse ambiante de la ville est en réalité celle du poète lui-même. Son regard teinte tout ce qu'il regarde de la profonde mélancolie désespérante qui l'habite :c'est le mot « acteur » qui traduit le fait que c'est le poète lui-même qui crée cette vision hallucinatoire, fruit de son imagination. La comparaison est explicitement établie entre la ville, « le décor », terme qui renforce l'idée d'illusion, d'irréalité de cette ville cauchemardesque angoissante et l'état d'âme du poète, ce qu'il ressent, ce qu'il éprouve.

Un brouillard sale et jaune inondait tout l’espace,

  • Le terme « brouillard » renvoie au mot « brume », mais il y a un lente invasion de cette brume qui maintenant s'épaissit : un brouillard est une brume qui s'épaissit : cela traduit la confusion de plus en plus troublante du  poète, son trouble accroît graduellement →  gradation
  • On remarque que l'idée de dégoût et de laideur revient à travers l'emploi des adjectifs «  sale et jaune », de même que l'idée d'inondation. Cette idée d'inondation perceptible au début du poème est maintenant totalement explicite → gradation. La mélancolie inonde le poète. Le complément C.O.D « tout l'espace » fait écho (= renvoie) à l'adverbe « partout » que l'on avait repéré au début du poème.

Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.

  • Si jusqu'ici le lecteur était dans une certaine confusion en ce et qu'il ne savait pas avec certitude qui était le « passant » évoqué dans les premiers vers, le doute tombe ici : le pronom personnel  de la 1ère personne du singulier « je »renvoie explicitement au poète lui-même . Le verbe « suivre » suivi du complément « le faubourg » rejeté deux vers plus loin en fin de phrase pour maintenir encore une forme de confusion chez le lecteur, nous permet de comprendre cependant que le poète déambule seul au petit matin dans les rues de Paris.
  • Ce faubourg est lui-même « secoué de lourds tombereaux » : l'idée de poids, d'effort, de difficultés difficiles à surmonter est toute entière contenue dans l'image des « lourds tombereaux », de ces charrettes  tirée par des bœufs ou des chevaux qui étaient en particulier  utilisées pour le transport des condamnés à mort sur le lieu de leur exécution. Le poète a le sentiment d'être  un être damné, maudit , condamné par avance à un sort mortel, très pénible.
  • La solitude du poète est traduite par ce débat intérieur qui l'anime comme le montre le verbe « discuter » : on comprend qu'il est très troublé, agité, qu'il souffre et que cette souffrance l'épuise : l'adjectif « lasse » qualifiant son âme traduit sa lassitude, son abattement, cet état de mal-être profond qui l'habite, ce spleen qui le ronge.
  • L'oppression qu'il ressent, ce poids intérieur qui l'écrase est encore perceptible à travers l'image qu'il a de lui-même, celle d'un « héros » qui fait des efforts surhumains pour continuer à avancer sur le chemin métaphorique de la vie, sur la rue , le « faubourg » ici qui traverse son quartier.

Tout à coup,

  • L'adverbe « Tout à coup » annonce brutalement une rupture surprenante parce qu'elle introduit un événement dans un monde surnaturel presque immobile, irréel fait de brumes et de mystères dans lequel jusqu'ici le poète déambulait (= errait) seul. Cette lente description angoissante de la ville a créé unetensionqui touche le poète puisqu'il évoque plus haut cette tension qui « roidissait », « raidissait » ses nerfs. Le verbe « roidir » vient du Moyen Âge, sombre période du passé faite de violence, de superstitions terrifiantes et de mystères peuplés de monstres gothiques qui frappe l'imaginaire des  Romantiques (dont Baudelaire), période d'angoisse et de terreur.
  • La peur jusqu'ici était latente, indéfinie : elle couvait, elle n'était qu'inquiétude. L'adverbe « tout à coup » crée une gradation dans cette tension vers la terreur, paroxysme(= point culminant) de la peur.
  • Cet adverbe introduit aussi l'idée d'un surgissement, d'une apparition inattendue et brutale qui sera confirmée plus loin par le rejet du verbe « m'apparut ».

 un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,

  • Cet élément troublant qui vient déstabiliser le poète comme il surprend le lecteur prend la forme d 'un « vieillard ». Ce vieillard est une figure peu rassurante de la misère et de  la laideur , de la vieillesse qui nous emmène inexorablement vers la mort terrifiante, du Mal . Le regard du poète le transfigure.
  • Le poète choisit de décrire ce vieillard par son vêtement, un vêtement misérable, déchiré, sale :  détail physique qui évoque la misère du personnage. L’adjectif de couleur jaune  connote ici la saleté et le lecteur ne peut que ressentir le dégoût du poète.
  • On retrouve cette teinte jaunâtre, jaune vieilli dans la « couleur du ciel » comme le montre l’emploi du verbe « imitaient » : le ciel , comme personnifié, est jaune comme le vêtement du misérable. Il est aussi fait mention de la couleur jaune v. lorsque le poète évoque la brume « jaune ». Il faut aussi préciser que le jaune représente symboliquement la tromperie, l'illusion, la sournoiserie : c’est une couleur lugubre et par analogie, c’est la couleur de la misère, un mal d’origine sociale qui ronge la ville au XIXè siècle. Le ciel reflète aussi la misère humaine, mais aussi la misère intérieure du poète qui souffre de spleen.
  • C’est encore une fois une vision subjective que le poète a de ce qui l’entoure, une vision qui reflète son état d’âme tourmenté, mélancolique. La pluie vient compléter ce tableau sinistre parce qu 'elle connote la mélancolie.

Et dont l’aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,

  • Champ lexical troublant de l'élément liquide

  • Mode conditionnel du groupe verbal “aurait fait”
  • Terme “méchanceté”
  • Réseau lexical du regard : « yeux, regard, termes repris trois fois,  prunelle, etc. »

 .     On retrouve dans le verbe « pleuvoir » un terme qui  appartient comme le mot « pluie » au champ lexical de l'élément liquide perçu comme un élément troublant dans ce poème. Ce verbe est employé de manière hyperbolique pour traduire encore une fois l'idée d' abondance excessive, déréglée et donc inquiétante,  comme tous les mots qui appartiennent à ce champ lexical tels que le verbe  "inondait" mentionné au vers 8 ou l'adjectif "accrue", vers 6.

.     Le poète ici ensuite  reprend le portrait physique du vieillard pour suggérer que les vêtements  du vieillard sont  misérables au point qu'il aurait pu susciter la compassion du passant qui alors pourrait lui faire don d'une pièce d'argent, d'une aumône.

.     L'emploi du verbe « aurait fait » conjugué au mode conditionnel pose une condition restrictive à ces aumônes et le lecteur comprend alors que le poète  condamne le vieillard sans pitié. Le mode conditionnel exprime en effet un fait dont l’accomplissement est soumis à une condition irréelle ici, parce que contraire à  la réalité.

.       La raison pour laquelle il est impossible qu'il reçoive ces aumônes tient dans ce qu'exprime son regard. Le terme « méchanceté » désigne une forme de malveillance, voire de cruauté: cela signifie que ce vieillard n'hésitera pas à faire du mal à autrui.   Son regard exprime donc le Mal, « ses yeux » brillent, « luisent » de « méchanceté » et non de cette bonté humble qui aurait fait de lui un personnage pathétique ( = suscitant la pitié).  Le vieillard incarne donc le Mal, il est perçu par le poète comme un personnage démoniaque, diabolique.  Ce personnage suscite l'effroi.

.      Les vers suivants mettent en valeur un jeu de regards entre le poète et le vieillard comme le montre le réseau lexical du regard qui se poursuit. En effet  le poète regarde le vieillard et reste fasciné par le regard du vieillard, comme irrésistiblement attiré.

M’apparut.

.      Ensuite, le rejet en début de  strophe suivante du groupe verbal             « m’apparut » surprend particulièrement le lecteur par sa modernité. Il traduit la soudaineté de la vision du poète.

.      Le poète joue ici sur les deux sens du verbe « apparaître »: il  signifie d'abord « être vu de façon inattendue ».  Mais il renvoie aussi au terme « apparition », manifestation surnaturelle. C'est un verbe dont il faut comprendre le sens surnaturel ici sans doute.

.      Ce vieillard semble venir d'un au-delà.

.      Le poète  a  une perception hallucinatoire de ce personnage qu'il croise dans la rue : le pronom personnel « me » complément du verbe  « apparut » montre bien que cette vision est créée par l'imagination-même du poète.

On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.

Mode subjonctif passé (ou conditionnel passé à valeur d'irréel)

→ Métonymie de la barbe du vieillard

.   Le vers suivant revient sur le regard du vieillard. Le poète, sous l'emprise de ce regard, est subjugué par (fixe) la « prunelle » de ces yeux et montre tout son dégoût    en osant une métaphore chargée de venin. Il traduit les effets produits par le regard du vieillard en établissant une comparaison à l’aide du groupe verbal « on eût dit »; le mode subjonctif de ce verbe renforce le caractère illusoire, irréel de cette vision. Il suggère en effet par cette comparaison que cet œil est imprégné de “fiel”. Le fiel, liquide animal plein d’amertume est ici synonyme de poison et connote  à la fois la méchanceté, l’aigreur, le Mal.

  • Le poète poursuit par une nouvelle métaphore qui dit combien le regard du vieillard est perçant au point « d’aiguiser les frimas ». On aiguise une lame pour la rendre acérée, très pointue, prête à trancher, on la rend dangereuse. Ici le regard du vieillard paraît très pénétrant et suscite de l’effroi chez le poète.Et pour insister encore sur le caractère pénétrant de ce regard, le poète précise qu’il peut transpercer « les frimas », c’est-à-dire un brouillard froid et épais qui se cristallise en tombant et forme du givre. Le lecteur  est plongé dans un univers glacial létal (= qui provoque la mort) par l'emploi d'un  terme connotant le froid glacial: « frimas » .
  •     Notons que ce qui au début n'était qu'une brume, puis un brouillard et enfin des frimas: le brouillard s'épaissit peu à peu comme le montre la gradation des termes de ce champ lexical de la brume. La tension dramatique augmente, et avec elle augmente la peur pour tendre jusqu'à la terreur.
  • La comparaison de la barbe du vieillard et de la raideur de ses poils avec une “épée” renvoie là encore à une arme tranchante et effrayante: le danger couve, n'est pas loin. Cette vision menaçante là encore est très inquiétante.
  • Enfin le dernier vers évoque la silhouette qui se profile comme sur un écran fait de brouillard : cela renforce le caractère  confus, irréel et désarçonnant de cette vision faite de laideur. 
  • Mais le plus inquiétant est la comparaison du vieillard à Judas par métonymie (la barbe désigne le vieillard par substitution): Judas un personnage biblique qui symbolise la trahison, la tromperie et qui dans les croyances catholiques   a trahi Jésus et l'a ainsi condamné à la crucifixion et à la mort. Dans la tradition chrétienne, , il est décrit comme un être cupide et veule, qui trahit son maître pour de l’argent et est souvent représenté comme très laid physiquement et étant vêtu de jaune dans l'iconographie. Il est donc l'incarnation du Mal et est d'une laideur d'âme sans pareil.

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