Marivaux, les Fausses Confidences

Introduction/Problématique:

Marivaux est l'un des dramaturges français les plus reconnus qui excella dans la comédie bourgeoise et psychologique. Ses intrigues complexes et virtuoses reposent souvent sur des procédés d'intervertion où les maîtres et les valets échangent leurs rôles. Le thème de la surprise de l'amour, central chez Marivaux, permet le rire mais véhicule aussi la critique sociale d'une société fondée sur le rang et l'apparence. C'est le cas dans Les Fausses Confidences, comédie en prose et en trois actes jouée pour la première fois en 1737. Dorante, honnête petit bourgeois ruiné, aime en secret Araminte, la haute et riche bourgeoise qui l'emploie. Malgré leur écart de fortune, leur amour triomphera grâce aux stratagèmes habiles du valet Dubois. Dans la scène 13 de l'acte 2, Araminte se joue de Dorante et lui fait croire qu’elle a décidé d’épouser le Comte Dorimont alors qu’elle s’y refusait jusque-là. Elle veut par ce moyen que Dorante lui avoue ses sentiments ce qui lui permettra, a-t-elle dit à Dubois, de le renvoyer. Elle demande donc à ce dernier d’écrire pour elle et sous sa dictée une lettre dans laquelle elle annonce ses projets au Comte. Pendant que Dorante s'exécute, elle peut observer et analyser ses réactions. Dorante, quant à lui, est pris au piège car Dubois ne l’a prévenu de rien. Il pense donc que cette lettre est réelle et qu’Araminte est vraiment disposée à se marier avec un autre que lui. La trompée devient trompeuse, celle qui n’était qu’un rouage dans la mécanique du plan de Dubois et Dorante mène à son tour le jeu.

Projet de lecture : Araminte reprend le contrôle de la situation et utilise les armes de Dubois contre Dorante en le manipulant au moyen d’une fausse confidence

Mouvements:

Mouvement 1→Annonce de la décision d’Araminte d’épouser le Comte (l.1-5)

Mouvement 2→Demande d’Araminte d’écrire la lettre au Comte => trouble de Dorante (l.1-18)

 Mouvement 3→Rédaction de la lettre (l.19-34)

Mouvement 1 (l.1-5)

Annonce directe et catégorique d’Araminte→elle révèle sans détour, sans précautions préalables qu’elle a changé d’avis :

• « toute réflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte » : CCTemps avec dimension hyperbolique « toute réflexion faite » + verbe « être » associé à l’adjectif impérieux, définitif « déterminée » => décision ferme, qui semble irrévocable assénée sur un ton péremptoire

• « oui, tout à fait résolue » : Araminte appuie sa décision, la réaffirme dans phrase non verbale avec adverbe « oui », la locution adverbiale hyperbolique « tout à fait » et l’adjectif « résolue » qui montre qu’elle a fait un choix et qu’elle est prête à exercer sa volonté de manière absolue

2 attitudes opposées :

• Dorante est bouleversé par l’annonce d’Araminte :

-« déterminée, Madame ! »→il reprend ses mots comme s’il était incapable d’en formuler d’autres + apostrophe « Madame » + ponctuation expressive (exclamation)

-« Quelle différence pour moi, Madame ! »→phrase non verbale + ponctuation expressive (exclamation avec adjectif exclamatif « quelle ») + apostrophe « Madame »

=> Impression que Dorante a perdu l’usage de la parole, n’arrive plus à construire de phrases cohérentes

-« qui est sorti d’ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement » : antithèse avec adverbes et rythme binaire de par et d’autre de la conjonction de coordination « et »→Araminte évoque les émotions du Comte mais elles font directement écho à celles de Dorante qui va sortir inquiet et qu’elle rassurera plus tard

Araminte reste impassible, indifférente, elle énonce la suite de ses projets en ignorant les réactions de Dorante→ « Le Comte croira que vous y avez contribué ; je le lui dirai même, et je vous garantis que vous resterez ici ; je vous le promets » :

-Phrase complexe avec propositions juxtaposées et subordonnées conjonctives complétives

-Aucune expressivité : phrase déclarative

-Phrase structurée autour de rythmes ternaires : 3 propositions juxtaposées par points-virgules + 3 propositions qui commencent par « je » avec gradation (« je [...] dirai », « je [...] garantis », « je [...] promets »)

-jeu sur les sujets et les compléments : le Comte d’abord sujet puis COI avec « lui » et il disparaît/Dorante prend peu à peu sa place en étant omniprésent dans les paroles d’Araminte avec pronom « vous » X4 sujet et COI

-Néanmoins, aparté qui montre qu’Araminte a vu le trouble de Dorante (« Il change de couleur ») + didascalie « d’un air délibéré » qui rappelle qu’il ne s’agit que d’une apparence d’indifférence

Mouvement 2 (l.6-18)

Jeux de scène→déplacements et paroles :

• Apartés nombreuses (« à part ») qui permettent au lecteur/spectateur d’être complices du double jeu de chacun des personnages (double énonciation→le personnages s‘adressent à la fois aux autres personnages en dissimulant et manipulant et à eux-mêmes c’est-à-dire à nous en même temps de manière sincère:

-« Il ne sait ce qu’il fait ; voyons si cela continuera » : Araminte constate et veut tirer des conclusions de ses observations => elle cherche des preuves (dimension scientifique, expérimentation)→importance du verbe « voir » + première personne du pluriel => elle semble inclure le lecteur/spectateur dans son attente => elle l’invite à observer avec elle + fonction incitative du langage : Araminte cherche à provoquer une réaction sur le destinataire, elle le teste (rôle de « je suis déterminée à épouser le Comte »)

-Araminte met Dorante à l’épreuve et son indifférence va jusqu’à la cruauté : « le petit mot que vous allez lui écrire en mon nom »→litote « le petit mot » puisqu’il s’agit d’une véritable épreuve pour Dorante + elle le charge de la mission d’écrire la lettre en se mettant à sa place

-« Ah ! Dubois m’a trompé ! » : Dorante et Dubois ne se sont plus retrouvés seuls depuis la fin de l’acte I, les derniers mots qu’ils ont échangés étaient en faveur de Dorante puisqu’Araminte voulait le garder pour le guérir de l’aimer => Dorante pense que son valet lui a caché la vérité ce qui provoque chez lui étonnement et indignation (ponctuation expressive : interjection « Ah ! » et phrase exclamative)

• Didascalies montrent déplacements d’Araminte et Dubois : « Dorante reste rêveur, et par distraction ne va point à la table », « pendant qu’il se place », « cherchant du papier », « allant elle-même » => agitation qui traduit confusion de Dorante + intensité dramatique et émotionnelle de la scène + mouvements désordonnés, contrastés puisque Dorante reste d’abord immobile puis gesticule => impression que de la même manière qu’il ne contrôlait plus ses paroles, il n’arrive pas à maîtriser ses gestes, il n’est plus en pleine possession de ses moyens => comique de geste

Araminte a repris son rôle de maîtresse (elle l’a d’ailleurs réassuré au début de son échange avec Dorante : « je suis la maîtresse »), c’est elle qui mène le dialogue :

-« ne vous embarrassez pas, et écrivez le billet que je vais vous dicter » : impératif => Araminte donne les ordres, Dorante obéit

-« Et pour qui, Madame ? » : question => Dorante est perdu, ne comprend pas ce qu’il se passe (// « rêveur », « par distraction » et « toujours distrait » didascalies qui décrivent état d’esprit de Dorante)

-« Madame » X8 (à chacune de ses prises de parole, quand il ‘adresse à Araminte) : marque de respect et rappel de la hiérarchie sociale => il est inférieur à elle

-« d’un air délibéré », « poursuivant » : didascalies qui montrent maîtrise de ses mots et expressions + c’est elle qui relance le dialogue, permet de faire progresser la situation

-« Eh ! Vous n’allez pas à la table ? A quoi rêvez-vous ? », « Êtes-vous prêts à écrire ? » : questions (rhétoriques pour les deux premières, presque des reproches) qui permettent à Araminte de rappeler Dorante à l’ordre, de le ramener à la réalité => elle l’interpelle, impose son rythme

-« Madame, je ne trouve point de papier » / « Vous n’en trouvez point ! En voilà devant vous » / « Il est vrai » : dialogue sans contenu, échange qui piétine => seul intérêt est de montrer que Dorante est confus, n’arrive plus à réfléchir et agir (// « Oui, Madame » : Dorante répond par un adverbe comme si la question posée par Araminte était fermée => perte de ses mots => il n’arrive plus à parler => comique de mots)

Mouvement 3 (l.19-34)

Jeu entre ce qui est dit et ce qui est caché→contraste entre l’image qu’Araminte renvoie d’elle et ce qu’elle pense et ressent :