Socrate
Mémoire : Socrate. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresa structure (voir le plan commenté de l'Apologie, dans une autre page de ce site) révèle un plan rigoureusement élaboré selon les mêmes principes d'organisation que ceux dont je prétends qu'ils structurent l'ensemble des dialogues, ce qui fait qu'il est fort peu vraisemblable qu'il s'agisse d'un compte-rendu de journaliste qui retrace fidèlement ce qui s'est dit au procès. Il y a au contraire fort à parier que Platon a trahi la « vérité historique » pour rester fidèle à l'esprit de Socrate et produire un ouvrage qui s'intègre hamonieusement dans le plan d'ensemble des dialogues tel que je crois le retrouver, à la place qui lui était assignée pour répondre aux objectifs qui étaient les siens.
Le devin sans lendemain et l'ami d'hier
Comme l'une des accusations portées contre Socrate était une accusation d'impiété, en prélude au procès proprement dit, Platon nous fait assister à une discussion sur la piété entre Socrate et un représentant de la religion athénienne, une sorte de devin censé être un expert en matières religieuses, qui a pour nom Euthyphron et qui se trouve avoir une affaire en cours devant les tribunaux (où c'est lui le plaignant) en même temps que Socrate. Et pour nous montrer combien il est ridicule d'accuser Socrate de corrompre la cité, Platon nous montre comment, après son procès, il préfère accepter la mort du fait d'une condamnation obtenu dans les conditions légales, bien qu'injuste, plutôt que de ridiculiser la loi en prenant la fuite avec l'aide de ses amis.
L'Euthyphron se passe devant le portique de l'Archonte-roi, où l'on plubliait les lois, et met Socrate aux prises avec un personnage dont le métier consiste à prédire l'avenir pour influer sur la conduite présente, dont le nom signifie « droit d'esprit ou de cœur », « bienveillant », et qui, dans un premier temps, montre de la sympathie et de la compréhension à l'égard de Socrate (Euthyphron, 3b-c) mais se révèle incapable de lui enseigner quoi que ce soit sur la piété ou d'apprendre à son contact, incapable de contribuer à éviter le mal d'une condamnation injuste et qui, en fin de compte, refuse de l'aider et trouve un quelconque prétexte pour mettre fin à l'entretien et retourner à des affaires plus terre à terre. Le Criton se passe dans la prison de Socrate où la loi est appliquée, et met Socrate aux prises avec un personnage qui est invité à se pencher sur le passé pour y découvrir les fondements de la conduite présente de Socrate, dont le nom évoque le « jugement », et qui, en désaccord au début avec Socrate qu'il veut aider à s'évader, finit par se rendre à ses raisons, parvient à une communauté de vue (koinônein, Criton, 49d) avec lui sur la situation qui le fait parler d'une même voix (homologein, 15 occurrences en 5 pages de l'édition Estienne dans la seconde partie du dialogue) pour éviter le mal d'une évasion injuste, et qui, en fin de compte, accepte de le laisser aller vers ce lieu dont « le dieu montre le chemin » (Criton, 54d, les tous derniers mots du dialogue).
Dieux morts et lois vivantes
L'Euthyphron met en évidence l'incapacité de la religion offcielle à enseigner quoi que ce soit aux hommes sensés. Socrate veut (ou du moins c'est ce qu'il prétend, non sans ironie) devenir l'élève d'Euthyphron pour éviter une condamnation pour impiété, mais Eythyphron se montre incapable de dire ce qu'est la piété et sa prétendue « science » n'est même pas une opinion vraie et ne tient pas plus en place que les statues de Dédale (Euthyphron, 11c-e, une image qui rappelle le Ménon). Le Criton met en évidence le rôle didactique des lois, qui sont le résultat du don divin du logos aux hommes (le verbe didaskein, « enseigner », est utilisé 22 fois dans les 5 pages de l'édition Estienne qui contiennent la prosopopée de Lois, et nulle part ailleurs dans les 7 autres pages du dialogue, où l'on trouve par contre 15 des 16 occurrences de doxa, « opinion », dans le dialogue et 24 des 28 occurrences du verbe dokein, « paraître, sembler, croire, être de telle ou telle opinion », en relation avec 18 mentions de hoi polloi, « le grand nombre », c'est-à-dire « la foule, le peuple », aux « opinions » duquel répondent les Lois personnifiées).
L'Euthyphron est plein de dieux, ou du moins du mot « dieux » (58 occurrences, toujours au pluriel, dans les 14 pages qu'occupe le dialogue dans l'édition Estienne, plus 17 occurrences de theophilès, « ami/aimé des dieux », et en mentionne un certain nombre par leur nom (Zeus, Hestia, Kronos, Ouranos, Héphaïstos, Héra, ainsi que Tantale, Protée et Héraclès), mais l'unique mention de ho theos, « le dieu », au singulier, dont Socrate dit qu'il est prêt à suivre le chemin qu'il indique, dans les derniers mots du Criton, confirmant sa déclaration au début du dialogue : « si c'est là ce qui plait aux dieux--ei tautè tois theois philon (une réponse à la theophilia si souvent invoquée par Euthyphron)--, qu'il en soit ainsi » (Criton, 43d), nous en dit plus long sur la « piété » que tous les discours d'Euthyphron mis bout à bout (et, comme pour nous montrer que ce n'est pas aveuglement de la part de Socrate et qu'il n'est pas effrayé par les dieux, le seul nom de dieu prononcé dans le dialogue, en dehors de deux ou trois « par Zeus ! » dans la bouche de Criton, est celui d'Hadès, le dieu des enfers, mis par Socrate dans la bouche des Lois, vers la fin du dialogue, en Criton, 54c) !
Mais la conception qu'Euthyphron se fait des dieux est tout aussi « matérialiste » que sa conception des lois est « littérale » et elle contraste avec la compréhension « spirituelle » qu'a Socrate des deux, malgré sa personnification des Lois dans le Criton. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'examiner la plainte que vient déposer Euthyphron : il porte plainte contre son propre père pour avoir laissé mourir enchaîné un journalier qui était lui-même un meutrier, ayant tué un esclave alors qu'il était ivre, pendant qu'il était allé demander aux interprètes officiels de la loi que faire à son sujet (mais après tout, Mélétos porte plainte contre Socrate, qui aurait pu être son père spirituel, pour avoir essayé de guérir des hommes libres de la cité qui étainet rien moins que « morts » au niveau de leurs âmes pour avoir été livrés à eux-mêmes par des parents occupés à s'enrichir, en restant à son poste par respect de la mission que lui avait confiée le dieu).
En quête d'idées
De cette incapacité d'Euthyphron à penser autrement qu'au ras des pâquerettes, une autre preuve nous est donnée par sa totale incompréhension du vocabulaire des « idées » employé par Socrate. Ce vocabulaire est introduit pour la première fois en Euthyphron, 5d où Socrate parle de l' « idée (idean) » d'impiété, comme pour mieux tester Euthyphron en lui donnant l'exemple d'une manière « impie » de parler des « idées » en les associant à des concepts « négatifs ». On le retrouve ensuite, à bon escient cette fois, à propos du « pieux », trois fois en quatre lignes, en Euthyphron, 6d-e (d'abord eidos, puis deux fois idea). Mais, pas plus que Ménon, Euthyphron n'est capable de comprendre de quoi il s'agit.
En fait, tout le dialogue avec Euthyphron ets un test fait sur lui par Socrate des deux parties de la méthode dialectique décrite en Phèdre, 265d-266b, qui divise le dialogue en deux parties à peu près égales. Dans la première partie (2a-9c), Socrate essaye la méthode « ascendante » qui consiste à tenter de remonter de cas particuliers « vers une unique idée (eis mian te idea) » (Phèdre, 265d). Il part de l'affaire pour laquelle Euthyphron vient déposer plainte contre son père en la prenant comme un exemple d'action pieuse et tente de s'élever jusqu'à « l'idée du pieux » pour se voir ramené à cette affaire en 8b. La seconde partie (9c-16a) tente d'utiliser la voie « descendante » en partant d'un concept plus large et en essayant de le « découper selon les formes (kat' eidè diatemnein) » (Phèdre, 265e). Socrate y essaye de définir la piété comme une « partie » de la justice (la théorie du tout et de la partie est exposée par Socrate en Euthyphron, 11e-12e), mis n'arrive à rien parce que, bien qu'Euthyphron ait lui-même admis dans la première partie que la justice est l'une de ces choses sur lesquelles dieux et hommes sont le plus souvent en désaccord (Euthyphron, 7c-d), il ne prend pas la peine de chercher à définir la justice, le « tout » dont il cherche à découvrir une partie, et à s'assurer qu'il met derrière ce mot la même chose que Socrate.
Si l'Euthyphron, qui, en tant que premier dialogue de la trilogie, se situe au niveau de la partie inférieure de l'âme, met en évidence le caractère matérialiste
...