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Un plaisir peut-il être mauvais ?

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Par   •  23 Novembre 2023  •  Dissertation  •  2 976 Mots (12 Pages)  •  224 Vues

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Un plaisir peut-il être mauvais ?

Introduction 

« Y a pas de mal à se faire du bien », proclame le dicton populaire. Demander si un plaisir peut être mauvais semble à première vue aussi absurde que de demander si un cercle peut être carré ou si un chat peut ne pas être un félin. Un plaisir est une sensation qui nous fait du bien ; au contraire, l’adjectif mauvais désigne ce qui fait du mal. L’expression « mauvais plaisir » ne serait-elle pas un oxymore ?

Et pourtant, qu’est-ce qui me retient de me jeter sur celui ou celle qui m’attire sans lui demander son consentement ou de me nourrir exclusivement de pâtisseries, alors que ce serait tellement plaisant ? Il y a des plaisirs interdits, par les lois ou par la morale ; il y a des plaisirs déconseillés par les médecins. N’est-ce pas parce qu’ils entraînent des nuisances, et qu’en ce sens ils sont mauvais ?  

Nous montrerons dans un premier temps que le propre d’un plaisir est de nous faire du bien. Mais nous montrerons dans un deuxième temps qu’il est possible que des plaisirs soient nuisibles. Finalement, nous nous demanderons dans un troisième temps ce qui donne de la valeur au plaisir.

I/ Un plaisir ne peut pas être mauvais : un plaisir, par définition, fait du bien

1/ le plaisir est un bien à travers lequel nous visons le bonheur

a/ le plaisir est un bien que nous visons par nos désirs 

Le plaisir est une sensation agréable, une satisfaction : il me fait « du bien ». Si manger du chocolat me plaît, si « c’est un plaisir » de fréquenter telle personne, si je trouve plaisant de nager dans la mer, c’est parce que la dégustation du chocolat, mes conversations avec cette personne ou la sensation d’être dans l’eau marine me font du bien. Dire que cela me fait du bien, c’est dire que cela me convient : c’est cela qu’il me faut, je me sens mieux auprès de cette chose plaisante que loin d’elle. Elle me contente, me satisfait. Si les hommes recherchent la satisfaction et non l’insatisfaction, on peut dire que tous recherchent le plaisir. C’est ce qu’ils visent à travers leurs désirs. « L’inquiétude qu’un homme ressent, par l’absence d’une chose qui lui donnerait du plaisir si elle était présente, c’est ce qu’on nomme le désir », écrit Leibniz. Ce sentiment est avant tout un manque, une tension insatisfaite vers l’objet dont on anticipe qu’une fois obtenu, il nous plaira, il nous fera du bien : on sera satisfait.

b/ et ce que nous cherchons avec les plaisirs, c’est le bonheur 

Éprouver le plus de plaisir possible, c’est-à-dire se sentir le plus satisfait possible, tel est le but de tout être humain. Or que visons-nous finalement, à travers nos désirs, sinon un bien parfait, qui nous mettrait dans un état d’accomplissement total ? Que visons-nous à travers les plaisirs, sinon ce bien suprême appelé bonheur ? C’est ce que souligne Aristote dans l’Ethique à Nicomaque lorsqu’il affirme que le bonheur est « au suprême degré » une fin parfaite. Un bien est ce qui aimante notre désir. Mais tous les biens ne se valent pas. Si le propre du bien est d’être recherché, le bien parfait est celui qui n’est recherché que pour lui-même, et pas comme moyen pour autre chose. Le bonheur est une fin ultime, le bien suprême, que nous recherchons par le moyen de tous les autres, et qui n’est lui-même pas un moyen en vue d’autre chose. « On peut dire de toutes les choses du monde qu'on ne les désire jamais que pour une autre chose, excepté toutefois le bonheur ; car c'est lui qui est le but. » C’est en vue de lui que nous recherchons chaque bien ; mais il serait absurde de demander en vue de quoi nous le cherchons : il désigne l’état où nous nous sentons totalement et durablement bien. Dès lors, le plaisir est un bien, à travers lequel on vise ce bien suprême qu’est le bonheur.

2/ or l’adjectif « mauvais » désigne ce qui fait du mal

Or l’adjectif « mauvais » désigne ce qui fait du mal, et qu’on préfère donc éviter : je trouve que ce médicament a mauvais goût, on dit d’une personne qu’elle a un mauvais fond, on dénonce les parents qui font subir à leurs enfants de mauvais traitements. « Mauvais » désigne le mal, c’est-à-dire ce qui ne convient pas : le goût du médicament ne convient pas à la sensibilité de mes papilles, cette personne a une personnalité et une façon d’être qui lui font faire des choses que les autres jugent « pas convenables », pas adaptées à la vie en société et maltraiter un enfant, c’est adopter une attitude qui ne lui convient pas, en lui infligeant des blessures psychologiques ou physiques. Le mal est ce qui nuit, ce qui provoque un malaise : il nous mécontente, il est douloureux, insatisfaisant. C’est pourquoi tous les hommes fuient ce qui est mauvais.

3/ donc un plaisir ne peut pas être mauvais

Ainsi, l’expression « mauvais plaisir » est une contradiction dans les termes, un oxymore. Si les plaisirs étaient mauvais, ils nous feraient du mal et non du bien, et il ne s’agirait donc plus de plaisirs mais de déplaisirs, de souffrances. L’existence de chaque homme est orientée selon ce qui lui plaît ou lui déplaît. S’il me plaît de me baigner dans la mer et que cela déplaît à Marcel, qui se sent mieux dans l’eau d’une piscine, on ne pourra pas dire que mon plaisir est un mauvais plaisir pour Marcel : on dira que ce qui me plaît lui déplaît. C’est un plaisir pour moi parce que cela me fait du bien ; c’est un déplaisir pour lui parce que cela lui fait du mal. Il n’y a donc pas là une seule sensation qui serait un mauvais plaisir mais deux sensations contraires : mon plaisir et le déplaisir de Marcel. Cela tient au caractère subjectif du plaisir : un plaisir ne l’est que relativement à celui qui l’éprouve. Ainsi, le plaisir en lui-même ne peut pas être mauvais.

transition Mais alors, pourquoi se retient-on parfois de « casser la figure » à celui que pourtant « on se ferait un plaisir » de corriger ? S’il n’y a rien de mauvais dans le plaisir, pourquoi se méfie-t-on de certains au point de les interdire ou de se les refuser ?

II/ Un plaisir peut être mauvais : un plaisir peut faire du mal

1/ Un plaisir peut être nuisible

a/ mon plaisir peut nuire à autrui

Le code de la route interdit de s’adonner sans limite au plaisir de la vitesse, on parle d’un enfant qui « prend un malin plaisir à » maltraiter sa petite sœur. Il s’agit là de plaisirs qui nuisent aux autres : le plaisir des uns a des répercussions nuisibles sur les autres. Comment est-ce possible ? Parce que le plaisir est une sensation subjective, donc relative à celui ou celle qui l’éprouve. C’est une sensation agréable que je ressens au contact de ce qui me fait du bien ; il n’est donc pas exclu qu’indirectement, ce qui me fait du bien cause du tort à d’autres, que je prenne plaisir à ce qui fait souffrir autrui.

b/ de plus, mon plaisir peut me nuire

De plus, il y a des plaisirs nuisibles pour celui ou celle qui les éprouve. N’arrive-t-il pas souvent que l’on dise : « Ce serait un plaisir, mais… ». Mais quoi ? Pourquoi se refuser un plaisir, s’il ne concerne que moi ? Par exemple, manger un litre de glace est plaisant mais cela peut déclencher une douloureuse crise de foie ; l’alcoolique se fait du bien à chaque gorgée d’alcool mais il met également en péril sa santé. Ma recherche du plaisir me pousse parfois à faire des choses qui sont finalement déplaisantes, douloureuses pour moi. Comment est-ce possible ? C’est que le bien procuré par le plaisir est limité. D’une part il est éphémère : il ne dure que tant que je suis en contact avec la chose qui me plaît. D’autre part il est partiel : il ne me satisfait pas totalement, il ne supprime pas les déplaisirs que j’éprouve par ailleurs à cause d’autres choses. Le bien procuré par un seul plaisir est donc trop limité pour assurer à lui tout seul mon bien-être général et il peut même le compromettre. Tout en me faisant du bien ponctuellement, il peut, par ses conséquences, me nuire.

2/ Donc un plaisir peut être mauvais et être ainsi rejeté au lieu d’être recherché

Donc un plaisir peut, tout en restant un plaisir, être mauvais, car il fait certes du bien mais il est en même temps nuisible, pour autrui ou pour moi-même.

a/ pour que la vie avec autrui soit possible, certains plaisirs sont interdits

Pour que la vie en société soit possible, les hommes tentent de s’interdire mutuellement les mauvais plaisirs par lesquelles certaines personnes nuisent aux autres personnes. Les lois, règles d’actions imposées par une autorité souveraine sur une société, régissent nos actions de telle sorte que ceux dont le plaisir nuit aux autres soient sanctionnés par une punition. La morale, qui indique à chaque individu ce qui est bien pour tous, et l’oblige à placer ce bien au-dessus de son bien être personnel, conditionne nos comportements de telle sorte que si mon plaisir fait souffrir autrui, je me sanctionne moi-même en éprouvant du remords.

b/ de plus, dans ma recherche du bonheur, je dois éviter certains plaisirs

De plus, pour atteindre le bonheur, c’est-à-dire un état de bien être parfait, je dois éviter certains plaisirs. C’est ce qui fait dire à Epicure, dans la Lettre à Ménécée, que « tout plaisir est en tant que tel un bien, et cependant il ne faut pas rechercher tout plaisir ».  Si l’on recherche tous les plaisirs, on risque finalement de se faire plus de mal que de bien, car certains plaisirs ne sont finalement pas bénéfiques. Ce qui m’est vraiment bénéfique, c’est ce qui assure mon bien-être général, supérieur à chaque plaisir. Comment savoir alors si un plaisir est mauvais ? Comment l’éviter, malgré l’attirance qu’il suscite ? On ne peut être sûr qu’un plaisir est bon ou mauvais qu’en comparant et en examinant attentivement ce qui est bénéfique et ce qui est nuisible. Lorsqu’un plaisir me tente il faut, avant de le rechercher, m’assurer qu’il ne me fera vraiment que du bien, en m’appuyant sur mes expériences passées, en comprenant les effets que les choses produisent sur moi. Celui ou celle qui y parvient se montre raisonnable : il ou elle est capable de se priver d’un plaisir dont il ou elle sait qu’il lui serait finalement nuisible. C’est le cas par exemple de la personne qui s’abstient de boire du vin avant de conduire sa voiture, alors qu’elle adore cette boisson. Inversement, c’est aussi le cas de celui ou celle qui s’inflige la souffrance d’une séance chez le dentiste : il ou elle s’impose une « bonne souffrance », un déplaisir qui s’avère finalement bénéfique. C’est la raison, cette faculté de raisonner sur les choses, de les comprendre, d’en saisir les rapports de cause à effet, qui nous permet d’y voir clair dans nos plaisirs et de fuir les mauvais. « En tout cas, chaque plaisir et chaque douleur doit être apprécié par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre », dit Épicure. Être « raisonnable », c’est effectuer correctement cette comparaison, calculer (raison vient du latin ratio qui signifie d’abord « calcul ») quels choix nous feront réellement du bien.

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