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Commentaire Kean acte 3 scene 2

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outai … On jouait Roméo.

KEAN. – Et qui jouait Roméo ?

ANNA. – La soirée passa comme une seconde, je n’avais point respiré, je n’avais

point parlé, je n’avais point applaudi … Je rentrai à l’hôtel de mon tuteur, toujours

froide et silencieuse pour tous, mais déjà ranimée et vivante au cœur. Le surlendemain,

25 on me conduisit au More de Venise … j’y vins avec tous mes souvenirs de Roméo …

Oh ! mais, cette fois, ce n’était plus la même voix, ce n’était plus le même amour, ce

n’était plus le même homme ; mais ce fut toujours le même ravissement … le même

bonheur … la même extase … Cependant, je pouvais parler déjà, je pouvais dire :

« C’est beau ! … c’est grand ! … c’est sublime ! »

30 KEAN. – Et qui jouait Othello ?

ANNA. – Le lendemain, ce fut moi qui demandai si nous n’irions point à Drury-

Lane. C’était la première fois, depuis un an peut-être, que je manifestais un désir ; vous

devinez facilement qu’il fut accompli. Je retournai dans ce palais de féeries et

d’enchantements : j’allais y chercher la figure mélancolique et douce de Roméo … le

35 front brûlant et basané de More … j’y trouvai la tête sombre et pâle d’Hamlet … Oh !

cette fois, toutes les sensations amassées depuis trois jours jaillirent à la fois de mon

cœur trop plein pour les renfermer … mes mains battirent, ma bouche applaudit … mes

larmes coulèrent.

KEAN. – Et qui jouait Hamlet, Anna ?

40 ANNA. – Roméo m’avait fait connaître l’amour, Othello la jalousie, Hamlet le

désespoir … Cette triple initiation compléta mon être … Je languissais sans force, sans

désir, sans espoir ; mon sein était vide, mon âme en avait déjà fui, ou n’y était pas

encore descendue, l’âme de l’acteur passa dans ma poitrine : je compris que je

commençais seulement de ce jour à respirer, à sentir, à vivre !

Alexandre Dumas, Kean, acte III, scène 12, 1836.

(1). Théâtre de Londres.

Vous commenterez le texte d’Alexandre Dumas (ligne 11 : « J’entrai … », à ligne 44) en vous aidant du parcours de lecture suivant :

a) Comment se traduit l’émotion d’Anna ?

b) Quels pouvoirs du théâtre cet extrait met-il en valeur ?

Comme dans tout commentaire, les numérotations de paragraphes (indications en couleurs) ne doivent figurer, pas plus que les mots « introduction » et « conclusion ». Ces indications ne sont là que pour faciliter la lecture du commentaire.

Introduction

À partir du XIXe siècle, notamment avec les Romantiques (qui s’étaient affranchis des règles de pensée, de composition et de style établis par les auteurs classiques), le personnage de l’acteur, souvent marginal et fantasque, intrigue et passionne. La littérature se fait écho de cet intérêt, réhabilitant les droits de la sensibilité, de l’imagination et l’expression lyrique des grands sentiments. Elle met au centre de ses préoccupations l’individu, ses passions et ses contradictions. Dans cette perspective, l’artiste, et plus particulièrement l’acteur, capable d’exprimer les émotions et les passions extrêmes pour qu’elles « passent la rampe », jouit d’un grand prestige et devient un personnage littéraire.

Dans son drame romantique Kean ou Désordre et génie, écrit en 1836, Dumas s’inspire de la vie tumultueuse et extravagante du tragédien anglais Edmund Kean, interprète de Shakespeare. Dans cette scène, une jeune femme, Anna Damby, décrit à Kean comment sa découverte du théâtre et le jeu prodigieux d’un acteur l’a guérie de sa neurasthénie et l’a rendue au monde des émotions.

Dans un dialogue dramatique, elle révèle, face à un Kean plus réservé, et même lapidaire, sa personnalité passionnée d’héroïne romantique et fait l’éloge du théâtre et de ses vertus.

I- La progression dramatique du récit

1- La structure de la scène

La scène se déroule au rythme du récit d’une guérison presque miraculeuse, puisque trois jours ont suffi (ligne 36), marquée par des repères temporels précis : commencée « le jour même » (ligne 7) dans la « soirée » (ligne 8), elle se poursuit « Le surlendemain » (ligne 24), puis « Le lendemain » (ligne 31).

Ce long récit progresse en quatre temps, sensibles dans la mise en page même : quatre longues répliques d’Anna sont à peine interrompues par trois questions laconiques de Kean, construites symétriquement, qui donnent au récit sa régularité mais aussi l’accélèrent.

2- Une guérison miraculeuse

Anna, dans les lignes qui précédent l’extrait, décrit les symptômes de sa maladie : une « maladie de nos climats contre laquelle toute science échoue » (lignes 3-4) (on parlait alors de neurasthénie), qui la rendait indifférente à tout comme le souligne la triple négation du vers inaugural : « Je ne désirais rien, je n’espérais rien, je n’aimais rien ». À la fin de la scène, elle rappelle cette pathologie, sous le signe de la négation, dans un groupe ternaire poignant d’émotion : « Je languissais sans force, sans désir, sans espoir » (lignes 41-42), ou bien sous le signe du manque : « mon sein était vide, mon âme en avait fui, ou n’y était pas encore descendue » (lignes 42-43).

Son récit est presque une description médicale de son état physique. Le champ lexical du corps est très présent : « sang, cœur (quatre occurrences), yeux, oreilles, mains, bouche, larmes, sein », ainsi que celui des fonctions vitales : « éblouirent, étouffa, défaillir, respirer, muette, ranimée et vivante au cœur, parler, dire, … », « toutes les sensations amassées » (ligne 36). Anna énumère les symptômes cliniques qui marquent le début de sa guérison : elle éprouve un premier sentiment « presque douloureux » (ligne 12), puis un éblouissement (« m’éblouirent », ligne 12) et une sensation d’étouffement (« m’étouffa », ligne 13). Elle est encore « muette et immobile » (ligne 19), « froide et silencieuse » (ligne 24) mais « déjà ranimée et vivante au cœur » (ligne 24). La deuxième fois, la récupération clinique s’améliore puisqu’elle pouvait « parler déjà », « dire » (ligne 28). Enfin, la troisième voit l’amélioration s’affiner : « mes mains battirent, ma bouche applaudit … mes larmes coulèrent » (lignes 37-38). La guérison est alors finalisée dans un groupe ternaire conclusif saisissant qui rend compte du retour progressif à la vie : « je commençais (…) à respirer, à sentir, à vivre ! ».

Dans son récit, le changement des temps verbaux est significatif. Anna Damby fait alterner le passé simple et l’imparfait pour mieux rendre sensibles les différentes étapes des « remèdes ». Le passé simple rend compte des circonstances spation-temporelles du « remède » : « J’entrai dans la salle » (ligne 11), « Je rentrai à l’hôtel » (ligne 23), « on me conduisit » et « j’y vins » (ligne 25), « demandai » (ligne 31), « Je retournai » (ligne 33), mais indique aussi l’élément qui induit cette récupération : « toutes ces lumières m’éblouirent » (ligne 12), « j’entendis une voix » (ligne 16), « on me conduisit au More de Venise » (ligne 25), « j’y trouvai la tête sombre et pâle d’Hamlet » (ligne 35). Enfin, il traduit les manifestations extérieures et concomitantes de cette guérison : « je fus près de défaillir » (ligne 14), « Je restai muette et immobile » (ligne 19), « ce fut toujours le même ravissement » (ligne 27), « mes mains battirent, ma bouche applaudit … mes larmes coulèrent » (lignes 37-38).

L’imparfait, quant à lui, souligne les impressions intimes. Anna Damby revit ses moments dans leur intensité et essaie d’analyser avec justesse les sensations qui l’envahissent : « Cette voix disait des vers mélodieux » (ligne 17), « ce n’était plus la même voix, ce n’était plus le même amour, ce n’était plus le même homme » (groupe ternaire édifiant des lignes 26-27).

Cette alternance de temps verbaux donne au récit une diversité de tons et de rythmes.

3- Une scène à deux voix

La

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