Asymétries d'information, coûts de mandat et financement des entreprises françaises, 1890-1936
Documents Gratuits : Asymétries d'information, coûts de mandat et financement des entreprises françaises, 1890-1936. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiressues. This paper presents this paradox and examines the influence of agency costs on individual firms finance using a new database containing all financial operations by a thousand listed firms during 50 years. We show that the influence of agency costs cannot be neglected since firms presenting signs of a higher risk for savers are not able to issue as easily as the others, but also that this feature was not sufficient to prevent the development of the market. Mots clefs : asymétries d’ information, coûts de mandat, financement, marché financier, coûts de transaction, droit des société, entre-deux-guerres, Belle époque, 1914. Codes J.E.L. : G 3, K 2, N 2.
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Asymétries d'information, coûts de mandat et financement des entreprises françaises, 1890-1936
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La théorie économique récente donne une importance considérable aux problèmes d'information. En particulier, la théorie financière met depuis Jensen et Meckling (1976) les asymétries d'information entre catégories d'agents au cœ ur de l'explication des structures financières des entreprises : alors que depuis le théorème de Modigliani et Miller, les raisons traditionnellement invoquées en faveur de l'existence de structures de financement préférées, voire optimales, étaient abandonnées (sauf les raisons fiscales), les asymétries d'information et les coûts de mandat qui y sont associés sont désormais acceptés comme leur explication la plus profonde (cf. par exemple Stiglitz, 1992). Mieux encore, cette théorie permet de rendre compte du crédit de nombre des explications hétérogènes des structures de financement qui prévalaient antérieurement1. La diffusion de l'information entre les différents agents dépend fortement de la structure institutionnelle du marché, en particulier de l’ attention que le système juridique y porte et des formes de contrôle qu'il prévoit. De ce fait, on ne peut éviter l'examen des structures institutionnelles qu'en postulant que le marché est contraint à donner satisfaction à tous ses participants sous peine de disparaître (une variante de l'hypothèse de la sélection naturelle habituelle dans la défense de la concurrence parfaite). Une partie importante de la théorie financière refuse une telle simplification, et montre que des asymétries d'information peuvent modifier l'équilibre du marché, transformer les rôles relatifs des différents modes de financement et le montant total des capitaux alloués à l'investissement, sans que le marché disparaisse pour autant. Du fait que l’ effet des asymétries d’ information sur le comportement
* Cet article constitue une version fortement remaniée du chapitre 5 de ma thèse de doctorat (Hautcœ ur, 1994), dans laquelle on pourra trouver plus de détails sur les données, la législation et la jurisprudence, ainsi que des tests statistiques supplémentaires. Je remercie A. Babeau, Ch. de Boissieu, V. Lévy-Garboua, M. Lévy-Leboyer, J. Métais et E. White, ainsi que les participants aux séminaires du National Bureau of Economic Research, du DELTA, du Département Économie et Finance du groupe HEC, du California Institute of Technology, de Stanford University, aux Journées de l'AFSE 1996, à la Canadian conference in economic history (1997) et au 3e World congress of cliometrics (1997) pour leurs remarques et suggestions au cours de l'élaboration de ce travail. Les remarques convergentes d'un raporteur anonyme et de P. Sicsic ont particulièrement contribué à améliorer certaines parties. 1 Ainsi, si la taille, l'âge ou l'activité des entreprises sont souvent considérées par les études empiriques comme des explications des formes de financement, la plupart de ces déterminants ne sont justifiables dans une perspective théorique rigoureuse que par le recours à une information imparfaite et par l'hypothèse que les comportements des dirigeants des entreprises diffèrent de la simple maximisation de la valeur des actions. Par exemple, une taille ou un âge plus élevés indiquent moins un risque inférieur qu'un risque moins inégalement connu, ce qui diminue les gains potentiels des agents les mieux informés. De même, on peut montrer que les différences de coût (sauf en ce qui concerne la fiscalité) entre moyens de financement peuvent se ramener à des différences de coûts de mandat.
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des agents passe uniquement par leur anticipation de risques possibles, cet effet peut être substantiel même si aucun agent ne tente effectivement de tirer profit de ces asymétries d’ information ou des possibilités d’ abus qui lui sont ouvertes. Dès lors, l'examen détaillé des asymétries d'information existantes, des mécanismes qui permettent d'en tirer profit et des réglementations (explicites ou implicites, d’ origine étatique ou créées par le marché lui même) qui tentent d'éviter les abus est nécessaire à une mesure de l'efficacité du marché financier. Malheureusement, il est difficile de mesurer les asymétries d’ information ou de quantifier l'impact des différentes caractéristiques du système juridique et institutionnel qui leur donnent une importance. De ce fait, une disproportion frappante demeure entre l'importance considérable accordée aux asymétries d'information dans la théorie économique ou financière depuis une vingtaine d'années et la rareté des tentatives faites pour en mesurer directement la portée2. L'examen du financement des entreprises françaises entre la fin du XIXe siècle et la seconde guerre mondiale permet de tenter de remédier à cette lacune. En effet, cette période connaît un marché financier développé et nombre des problèmes de contrôle des entreprises envisagés par la théorie des coûts de mandat, souvent même à un degré plus aigu qu'actuellement. Ces problèmes sont encore rares avant les années 1890, car la plupart des entreprises sont encore familiales et n'ouvrent pas leur actionnariat, les principales exceptions étant les grandes compagnies de chemins de fer, qui ont recours massivement au marché financier dès les années 1840, mais que la surveillance fortement croissante de l'État dès le milieu du siècle rend peu adaptées à notre étude3. Les choses changent avec la seconde révolution industrielle (technologiquement celle de l'acier, de la chimie minérale, de l'automobile, organisationnellement celle des entreprises intégrant des produits variés, leur distribution et leur marketing, et organisant des technostructures complexes de cadres salariés, comme la décrit Chandler, 1966) ; celle-ci entraîne un accroissement de la taille optimale des entreprises dans de nombreux secteurs, ce qui augmente les besoins financiers et provoque un recours plus fréquent à l’ émission de titres sur le marché. Cependant, si l'on comprend ainsi pourquoi la demande de capitaux des entreprises a augmenté, on peut se demander si la présence de coûts de mandat importants n'a pas freiné l’ offre de capitaux des épargnants. En effet, peut-être du fait de l'absence de besoins comparables antérieurement4, la législation des sociétés est loin de fournir une protection des
2 Un des rares exemples est l’ application de ces théories à l’ histoire du financement des entreprises en Nouvelle Angleterre par N. Lamoreaux (1994). 3 Cf. Lévy-Leboyer (1974 & 1980) ; pour une présentation d'ensemble de l'évolution du marché financier parisien au XIXe siècle, cf. Gallais-Hamono & Hautcœ ur (à paraître). 4 Les chemins de fer étaient non seulement surveillés par l’ Etat, mais obligés par celui-ci de publier une information substantielle sur leurs opérations. En outre, les actifs (kilomètres de voies, machines) étaient plus aisés à évaluer que pour de nombreuses activités industrielles, et fournissaient une bonne garantie aux emprunts (les réseaux en particulier, du fait de leur caractère de monopole quasi-naturel et de leur absence
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actionnaires comparable à celle que nous connaissons aujourd'hui. Cette période présente donc un cas particulièrement intéressant pour l’ étude des coûts de mandat, dans la mesure où leur importance pourrait bloquer le développement du financement de marché. Nous fournirons d’ abord quelques indications sur l’ évolution du financement de marché des sociétés cotées durant notre période, qui s’ avère dynamique. Nous chercherons ensuite à mesurer l'importance des coûts de mandat en étudiant les lacunes de la législation sur les sociétés et leur évolution, ce que la longueur de la période étudiée rend envisageable. Du fait que les coûts de mandat résultent de l’ anticipation par les épargnants de comportements dangereux de la part des dirigeants, il est nécessaire de se reporter non aux dangers objectivement présents à l’ époque mais à ceux que les contemporains remarquaient. Nous utiliserons donc les écrits des analystes financiers et des juristes contemporains pour déterminer quels étaient précisément les risques les plus importants anticipés par les actionnaires ou les obligataires, et quels indicateurs doivent être utilisés pour les mesurer. Nous sélectionnerons ainsi quelques indicateurs des coûts de mandat beaucoup plus directement utilisables que ceux utilisés habituellement pour approcher ces coûts. À partir de là, deux tests empiriques de l'effet des asymétries d'information sur
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