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Beaudelaire

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forme du temple, lieu de communication privilégié entre notre existence et l’au-delà. Baudelaire renvoie peut-être à la pythie de Delphes dont les propos obscurs pour le commun des mortels étaient compréhensibles seulement pour les prêtres (le poète) qui les traduisaient à destination des fidèles.

Le premier quatrain est bâti sur la double métaphore filée du temple et de la forêt. La constitution de l’univers sensible est rendue par des références à l’enceinte sacrée de l’architecture grecque ou égyptienne. Notre existence terrestre constitue seulement le téménos, sa signification et sa réalité ultime ne peuvent être assumées que dans l’ombre propice et mystérieuse du sanctuaire où trône la divinité. De même la Nature sensible est évoquée par la forêt, lieu impénétrable par excellence, lui aussi marqué par l’ombre et la présence d’une vie secrète. Ce dernier thème invite également à l’élévation vers l’au delà. En effet l’arbre est le trait d’union entre la terre où s’implantent ses racines et le ciel vers lequel s’élancent ses branches. Les deux comparants sont réunis par l’analogie des « vivants piliers » en forme d’oxymoron. Les troncs rectilignes des arbres rappellent les fûts des colonnes. La forêt devient une cathédrale végétale. La Nature se définit par la symbiose des différents domaines antinomiques évoqués : la minéralité de l’architecture, le dynamisme du vivant, la vie secrète du mystère. La Nature est un Tout complexe, non réductible à ses aspects positivistes. Aussi l’artiste nous invite-t-il à entrer dans le lieu sacré en allant au-delà des apparences sensibles. Tout est « symboles », ce qui est renforcé par la rime sémantique « paroles ». Le poète est bien celui dont la mission est d’employer le langage au service du mystère indicible.

Ce nouvel ordre du monde perçu intuitivement, cette continuité entre les états de la Nature sont évoqués par deux enjambements. La fluidité des alexandrins qui se succèdent par paires souligne cet équilibre subtil des deux versants du symbole. Aucun obstacle ne vient déranger l’équilibre de cette unité fondamentale. Les assonances en « I » de la fin du premier vers, les « vivants piliers », confèrent une énergie particulière à l’oxymore et soulignent la personnification du minéral.

Si la nature semble un temple pérenne, l’homme en revanche ne fait que « passer ». L’homme appartient à un règne éphémère. La cadence des deux derniers alexandrins en forme de tétramètres souligne l’harmonie entre cette Nature éternelle et ce voyageur en escale. Les symboles sont curieusement des « regards familiers ». Cette expression mérite qu’on s’y attarde. Pour Baudelaire, la Nature est habitée par une présence intelligente qui parle à l’intelligence humaine. L’initiative n’appartient pas à l’homme, ce n’est pas l’homme qui, le premier, découvre la surréalité par son regard intérieur. Il est « observé », accompagné de manière bienveillante, et ainsi invité à entrer dans le mystère. Baudelaire rompt avec la tradition de l’effroi sacré. La patrie de l’artiste est l’invisible, l’indicible.

Les correspondances verticales

L’artiste est invité à décrypter les signes. Ce langage, comme les hiéroglyphes des temples égyptiens, est difficile à interpréter. La représentation en cache le sens. Ce sont les « confuses paroles ». Cette relation entre l’homme et le mystère de la Nature reste d’abord occasionnelle, ce qu’indique le « parfois ». Elle est de plus souvent opaque et sibylline. L’homme doit donc chercher une voie à l’intérieur du temple, c’est-à-dire une signification, une interprétation spirituelle derrière la réalité prégnante du monde. Les correspondances sont d’abord verticales, elles conduisent l’homme à entrer en relation avec une surréalité qui donne un sens et une forme à l’univers sensible. Finalement il faut inverser notre point de vue commun, remonter vers la source : ce qui est premier n’est pas l’information donnée par nos sens, mais l’Intelligence, l’Idée qui a informé le monde sensible. Baudelaire a découvert cette voie chez Platon et chez Swedenborg1. Cette approche repose sur une philosophie idéaliste : la matière n’est qu’apparence, le spirituel demeure la réalité profonde et cachée. C’est l’Idée qui est à l’origine de l’univers.

Les correspondances horizontales

Dans le second quatrain, Baudelaire expose sa théorie des correspondances horizontales entre les différentes sensations. Ce sont les synesthésies2, la superposition des sens. Baudelaire utilise un sens pour évoquer les perceptions enregistrées par un autre. Ainsi l’odorat sera-t-il suggéré par des sensations tactiles ou visuelles…

Ce quatrain est composé d’une seule phrase dont l’information la plus importante est située à la fin. Le lecteur est invité à parcourir le même chemin que le poète en se mettant à l’écoute des « confuses paroles » dont il était question dans la première strophe. Puis de proche en proche, par des phases floues, il parvient à une évidence énoncée avec force.

Ces « confuses paroles » sont devenues les « longs échos », ces perceptions indistinctes que les allitérations en KDL prolongent de « Comme de longs échos […] » en « qui de loin […] ». L’aspect sec, hésitant et liquide de ces consonnes est amplifié par l’étirement et l’assourdissement des voyelles nasalisées abondantes : « Comme de longs échos qui de loin se confondent […] ».

Le mystère de la vision nocturne est rendu par un recours aux valeurs contrastées du noir et blanc : « ténébreuse », « nuit » et « clarté ». Ce rendu antithétique souligne la « profonde unité » de l’intuition : la vérité de la sensation est complexe, elle se situe à un niveau accessible seulement à celui qui creuse ses perceptions. De toute façon elle reste globale, fugace et indistincte, ce qui est suggéré par les trois comparaisons chargées de donner des équivalences plus que d’expliquer cet état voisin de la transe. Le mystère se laisse seulement approcher et non contempler. Il doit conserver l’aura sacrée du songe nocturne.

Le dernier vers du quatrain est l’axe du sonnet, il est l’évidence qui clôt les lentes préparations précédentes comme des vagues successives. Baudelaire voit au-delà de la diversité de ses sensations l’unité profonde de l’univers. Le début de l’alexandrin, dans un rythme ternaire qui en souligne l’ordre et l’équilibre, énonce la synthèse de l’intuition sensorielle. Trois sujets participent à la même démarche, leur interaction est soulignée par l’emploi de la voix pronominale réciproque. La formule en forme de tétramètre est assenée comme une maxime, elle constitue ainsi dans son énoncé magistral un des fondements du symbolisme ainsi que le troisième vers du sonnet : « L’homme y passe à travers des forêts de symboles ». Remarquons enfin qu’en plaçant les parfums en tête de son énumération, Baudelaire leur confère une prédominance personnelle dans cette connaissance mystique de l’univers, ce qu’il va développer dans les deux tercets.

II. Analyse de la pratique de la synesthésie

Baudelaire se sert des parfums pour explorer cette voie confuse des synesthésies et en tirer tous les enseignements possibles. Il procède par une succession de constats ou d’affirmations. Les deux tercets forment une seule phrase bâtie comme celle du second quatrain : le lecteur est à nouveau invité à suivre le poète dans ses expériences pour progressivement parvenir à une évidence extatique. Nous pouvons noter également le rôle prédominant des comparaisons qui servent de passerelles pour créer ces fameuses équivalences entre l’ordre sensible et l’ordre psychologique ou moral.

Baudelaire part donc d’une expérience sensorielle olfactive peu exploitée par les poètes qui se montrent en général plus séduits par les formes, les couleurs ou les sons. L’exercice de l’odorat ne dispose sans doute pas d’un lexique aussi développé que celui de la vue ou de l’ouïe. Les sensations olfactives sont évanescentes et subtiles, elles sont rendues dans le premier alexandrin, « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants », par des allitérations opposées de D (sonores et instantanées) et de F (sourdes et continues). De même la fin du vers mêle l’intensité d’une voyelle ouverte « chair » qui s’atténue dans la nasalisation d’« enfants ».

Baudelaire va donc exprimer la qualité de la sensation par des équivalences tirées d’autres domaines sensitifs. Pour ce faire, il utilise la comparaison qui unit des réalités différentes et la polysémie des adjectifs introducteurs. Trois qualificatifs expriment l’harmonie des senteurs simples : « frais » renvoie aux sensations tactiles en même temps qu’au repos ou à l’innocence3 morale. « Doux » exprime aussi le toucher en même temps que la paix, le confort et la suavité, le comparant relie à l’ouïe. « Verts » évoque la vue, connote la fraîcheur, la satisfaction chantée par le psalmiste4 et sans doute aussi l’innocence. Toutes ces épithètes renvoient à l’enfance, à la nostalgie de la pureté. La fin du premier tercet est marquée par un tiret qui souligne la rupture et le passage à l’antithèse.

À l’enfance succède l’âge adulte ; à l’innocence, le péché ; à la fusion, l’exclusion ; à la paix, l’inquiétude ; à la simplicité et à l’évidence, la complexité et la remise

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