L'Attitude Esthétique

qui se rapporte au concept de l'art. Jusqu'au 18e siècle cela correspond à la science du beau et à partir du 19e siècle, on la définit par les émotions provoquées par une œuvre d'art.

Kant explique « Je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la beauté comme si c'était une qualité des choses (…) » et que donc le jugement du beau ne s'effectue par d'après un goût personnel.

Dans ce chapitre, Jerome Stolnitz va donner sa définition de l’attitude esthétique en se posant des questions similaires à celles de Kant et part de l’idée que l’attitude esthétique est avant tout une attention désintéressée ne se limitant pas uniquement aux objets d’art.

I. La perception esthétique et l’attitude pratique

a. La perception esthétique

Il existe différentes perceptions esthétiques. Qu’est-ce que c'est la perception esthétique? Selon l'auteur, elle peut être expliquée en fonction de l'attitude esthétique. C'est l'attitude qui détermine notre façon de percevoir le monde, oriente et règle notre perception. Par exemple, je ne peux pas voir cette robe sans l’avoir discriminée. Il en va de même pour tout ce qui est dans notre environnement. L’auteur dit « nous ne voyons ni n'entendons jamais sans discrimination tout ce qui est dans notre environnement ».

Au contraire, nous prêtons attention à certaines choses tandis que nous n'appréhendons pas les autres, et même si nous les appréhendons, cela reste vague. Quand nous voyons ces robes, il y a peut-être à la fois des personnes qui prêteraient la même attention aux sacs à main ou aux bijoux. L'attention est sélection, elle se concentre sur certains traits de notre entourage et ignore les autres. En ce sens, les êtres humains ne sont pas des récepteurs passifs des éléments qu'ils reçoivent. Ce que nous choisissons de voir est déterminé par nos pensées et objectifs. Nos actions sont dirigées vers un but et on va inconsciemment regarder dans l'univers ce qui fait sens pour nous aider pour atteindre ce but. L’auteur prend l’exemple de l'éclaireur indien qui va accorder une attention étroite à des marques et des indices sur lesquels passera la personne qui flâne simplement dans les bois. Si je vais dans la forêt c'est peut-être pour dessiner la nature, je vais observer les formes des arbres ou les petits animaux qui y vivent et ma perception de la forêt sera complètement différente de celle de l'éclaireur. Ainsi, parce que nous poursuivons des objectifs différents, nous percevrons le monde différemment, certaines personnes accentuant des choses qu'un autre ignorera.

Dans la même mesure, nous cachons des réactions qui font obstacle à nos efforts. Par exemple, si est un homme déterminé à gagner une partie d'échecs, il va se préparer à répondre aux mouvements de son adversaire et anticipe la meilleure façon de le faire. Il va également empêcher son attention de se laisser distraire.

b. L’attitude pratique

L'attitude esthétique n'est pas l'attitude que les gens adoptent habituellement. Et l'attitude que nous prenons de façon coutumière, c'est l'attitude pratique. C’est-à-dire que nous voyons habituellement les choses de notre monde en fonction de leur utilité pour favoriser nos buts ou de leur capacité à y faire obstacle. Nous voyons le stylo comme une chose avec laquelle nous pouvons écrire et la voiture qui s'approche comme quelque chose à éviter. De même, on va regarder le couteau et la fourchette comme des outils pour manger. Donc notre perception d'un objet est habituellement limitée et fragmentaire. Elle est simplement une identification rapide et momentanée des objets qui nous entourent. Ce n’est pas aussi nécessaire pour l'adulte de connaître et apprendre l’utilisation de chaque chose comme l’enfant doit le faire. Par exemple, si je veux écrire, je n'hésite pas à prendre un stylo plutôt qu’un briquet. Et je ne me soucie que de la fonction première du stylo qui est d’écrire mais je ne vais pas regarder ses couleurs ou ses formes. La perception est majoritairement pratique (surtout dans notre culture) mais en esthétique, il va s'agir de considérer les choses qui "se donnent à voir". Regarder un film, lire un livre ou sentir une fleur font partie de l'attitude esthétique.

c. Première définition de l'attitude esthétique

Cette définition représente le point de départ de son étude sur l'esthétique. On pourrait résumer la définition de l'attitude esthétique à « l’attention désintéressée et pleine de sympathie et la contemplation portant sur n’importe quel objet de conscience quel qu’il soit, pour lui-même seul ». L'idée de désintéressement est une notion essentielle dans la philosophie kantienne.

Ici, Stolnitz commence cette définition par l'adjectif « désintéressé ». Il s'agit de ne pas considérer un objet ou une œuvre d'art comme un objet utile et de ne pas vouloir le manipuler. On va adopter une attitude différente lorsqu'on entre dans une logique contemplative, indifférente à la fonction de l'objet. On ne va pas se soucier de son but, son apparence ou même ce qu'il représente dans le monde. L'attention du spectateur va être dirigée vers l'objet seul et pour lui-même.

II. L'expérience dans l'attitude esthétique

a. L'intérêt esthétique

Le mot « désintéressée » est d'une importance cruciale. Il signifie que nous ne regardons pas l'objet avec le souci d'un objectif ultérieur. Nous n'essayons pas d'utiliser l'objet, notre intérêt réside seulement dans l'objet pour lui-même. Dans l’attitude esthétique, je pourrais regarder la télévision comme un objet noir et plat, mais pas regarder un programme qui serait diffusé.

D’autres intérêts sont exclus également de l'attitude esthétique, comme par exemple l'intérêt à posséder une œuvre d'art par orgueil ou prestige. Par exemple quand un bibliophile voit un vieux manuscrit, il n'est souvent intéressé que par sa rareté et son prix d'achat, mais pas par sa valeur en tant qu'œuvre littéraire. Il y a même des bibliophiles qui n'ont jamais lu les œuvres qu'ils possèdent.

L'intérêt cognitif en est exclu aussi. Il s'agit de l'intérêt à vouloir acquérir des connaissances à propos d'un objet. Un météorologiste se soucie non pas de l'apparence visuelle d'une formation de nuages, mais des causes qui l'ont amenée. De plus, si on a l'intention de prononcer un jugement sur l'objet, l'attitude n'est plus esthétique (le critique d'art n'a pas une attitude esthétique).

« L'attitude esthétique isole l'objet et se concentre sur lui ». L'objet n'est pas vu comme un morceau ou une partie mais comme un tout. On insiste sur toute sa nature et tout son caractère. Nous pouvons apprécier La Joconde comme une heureuse configuration de couleurs et de formes, mais pas comme la plupart des touristes qui prennent simplement une photo souvenir avec.

Pour l'attitude esthétique, les choses n'ont pas à être classées, étudiées ou jugées. Elles sont en elles-mêmes plaisantes ou passionnantes à regarder. Il est clair qu'être « désintéressé » ne ressemble en rien à être «in-intéressé ». Au contraire, comme nous le savons tous, nous pouvons nous absorber intensément dans un livre ou un film, de sorte que nous devenons beaucoup plus intéressés que nous ne le sommes habituellement au cours d’une activité pratique quelconque.

Edward Bullough appelle cette attention désintéressée une attitude distancée. Elle fait partie d’une des nombreuses attitudes qu'on peut appliquer aux œuvres d'art. Le spectre des attitudes va des personnes sur-distancées à celles sous-distancées. Les personnes sur-distancées sont par exemple des critiques qui regardent à peine le côté technique d'une production et font preuve d’aucune implication émotionnelle. Bullough contraste cette attitude avec ce qu'il appelle le manque de distance, où le spectateur est trop pris par le contenu (il aurait tendance à oublier que le roman où la pièce n'est qu'œuvre de fiction). Il pense toutefois qu'il existe un milieu idéal entre ces deux extrêmes et qu’il s’agit de l’appliquer pour saisir au mieux l’attitude esthétique.

b. La sympathie

Dans la définition que Stolnitz donne de l'attitude esthétique, l'expression "pleine de sympathie" renvoie à la manière dont nous nous préparons à interagir avec l'objet. L'auteur explique que pour apprécier l'esthétique d'un objet, nous devons l'accepter tel qu'il est et que « nous devons nous rendre réceptifs à l'objet et nous disposer à accepter tout ce qu'il peut offrir à la perception ». Par la même occasion, il va s'agir de faire abstraction de tout ce qui n'aurait pas de sympathie pour l'objet. Par exemple, si l'on refuse de lire un roman parce qu'il ne correspond pas à nos croyances et nos valeurs, cela rompt l'attitude esthétique. A ce moment, nous ne pouvons plus le juger