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Le Pain Ponge

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dinaire devient étonnant, prodigieux. Le pain devient alors une sorte d’objet artistique par la transformation que l’artiste (le poète) lui fait subir. On passe d’un objet à une vision de cet objet, celle de l’artiste. Il faut, dans les textes de Ponge, toujours penser aux différents sens des mots : il travaillait presque systématiquement avec un Littré. Ici, le terme « impression » par exemple est intéressant : il renvoie à la fois à l’imprimerie (le pain est imprimé grâce au poème), à l’art (impressionnisme) et à la dimension psychologique : la sensation. « quasi panoramique » : ici, « quasi » semble nous avertir que le deuxième terme « panoramique » est un peu excessif. Les modalisateurs fonctionnent comme des avertisseurs. Quant à « panoramique », il nous rappelle combien le poète est friand des jeux de mots : on peut entendre pan – oramique (panem = le pain en latin). Avec cette première phrase, le pain prend déjà une dimension cosmique : le petit, le minuscule (la miche de pain) permet de voir l’immense (panoramique = tout voir). La suite du paragraphe confirme cet aspect : « comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes ». Noter la redondance (à sa disposition = sous la main), intéressante parce que la deuxième expression peut se prendre dans deux sens différents : à disposition, mais aussi littéralement parlant sous la main, lorsqu’on pose la main sur le pain. Enfin, les lieux mentionnés permettent une transition avec le second paragraphe : ces chaînes de montagne, choisies soit par leur importance, soit par intertextualité (Virgile, Sénèque et les auteurs latins faisaient souvent référence au Taurus), annonce ce que le pain a de si merveilleux : il recrée le monde.

On note au début du deuxième paragraphe l’emploi systématique des connecteurs logiques : « d’abord », « ainsi donc », etc. Le poème prend alors l’aspect d’une dissertation, d’une réflexion ordonnée. « masse amorphe » est encore une fois une expression un peu pléonastique : a-morphe = sans forme, étymologiquement. On assiste alors à la fabrication du pain : « en train d’éructer » = le gonflement sous l’effet du levain, « four stellaire » = le four à pain, « durcissant » = cuisson, « vallée (…) crevasses » = description de la croûte en train de se former. Mais toute la phrase peut également être comprise comme représentant la création du monde. En effet, les termes employés sont tous des termes géographiques : « vallée », « crevasse », etc. Et c’est principalement l’adjectif « stellaire » qui nous amène à cette lecture : le four stellaire, c’est « le four étoilé »… on passe donc des braises du four à pain aux étoiles de la voûte céleste. La dernière phrase de ce paragraphe n’a d’ailleurs que peu de rapports directs avec le pain : aucun des termes employés n’y fait référence. Elle est, encore une fois, nettement articulée avec ce qui précède : « Et », « dès lors ». Finalement, le seul terme qui fasse référence à la croûte du pain : « dalle » n’est employé que pour décrire ce qui couvre le sol. On peut s’interroger sur le tiret qui sépare la mention de la croûte et la première description de ce qu’il y a dessous. Ponge a en effet l’habitude de jouer sur les signes, et ici, le tiret « ressemble » à la « dalle » mentionnée plus haut, et sépare nettement dans la phrase le dessus et le dessous, comme la croûte pour le pain. Cette première approche de la mie – puisque a priori c’est de cela qu’il s’agit – est assez curieuse. L’expression « sous-jacente » est à considérer : comme on l’a déjà vu, Ponge joue sur les doubles sens : c’est étymologiquement ce qui gît dessous (la mie), mais c’est aussi le terme employé pour parler d’une intention, d’une pensée dissimulées. C’est à relier aux termes « mollesse » et « ignoble » qui sont péjoratifs, et s’appliquent davantage à un être humain (c’était déjà le cas, plus haut, du verbe « éructer » et de l’adjectif « amorphe »). C’est d’ailleurs ce champs lexical qui va créer la transition avec le troisième paragraphe.

Dans un mouvement logique, Ponge passe de l’extérieur à l’intérieur, en continuant à mêler panification et création du monde. Le « sous-sol » est à rapprocher ainsi de la « dalle » qui précède, et fonctionne sur le même registre. Quant aux adjectifs « lâche » et « froids », ils sont encore péjoratif : une signification morale commence alors à se dégager du poème, et va en s’amplifiant. Le terme « tissu » est lui davantage scientifique, comme si le texte se voulait une démonstration scientifique. « pareil à celui des éponges » : la comparaison, ici, renvoie à une multitude d’interprétations : l’éponge végétale est un des premiers organismes vivants : on est toujours dans la création du monde. La suite reprend alors ce thème du végétal, et la métaphore mêle la flore et l’humain. C’est enfin, pour terminer le paragraphe, la finalité des choses qui est alors évoquée. Après la création, on arrive logiquement à l’achèvement, qui ici ressemble à une mort : « rassit », « fanent », « rétrécissent », « se détachent », « friable ». Ce dernier terme rappelle assez directement la décomposition. L’aposiopèse finale tend à suggérer combien la disparition est terrible. Comme pour le tiret du paragraphe précédent, on peut se demander s’il faut voir dans les points de suspension (dans leur représentation graphique) le dessin même de l’effritement…

Dans ces trois paragraphes, on voit donc la création du pain et la création du monde. Cependant, certains indices laissent à penser qu’une troisième lecture est possible. Ponge ne nous parlerait-il pas également de la création poétique ? Tous ces jeux sur les signifiants, le terme « tissu » qui est l’étymologie du mot « texte », l’impression panoramique dont il parle, la construction d’un monde nouveau que l’on a « sous la main », l’emploi de terme moraux… On peut alors comprendre les choses différemment. Ainsi, les « fleurs » sont aussi ce que l’on appelait autrefois « fleurs de rhétorique » pour désigner les figures de style, les « sœurs siamoises soudées » peuvent représenter les lettres, tout comme les « plans nettement articulés » peuvent décrire les phrases. Enfin, il est curieux de retrouver, dans le terme « éponge », le nom du poète…

Ce texte est-il alors une fable, fable du pain, du monde, de l’écriture ? C’est ce que peut nous faire penser la fin de ce troisième paragraphe, qui annonce une morale ou plutôt une leçon. Il reste en effet à s’interroger sur l’objet – pain. Le choix de cet objet n’est pas anodin. C’est une des bases de la vie humaine, nourriture première de toute civilisation sous une forme ou une autre. Mais c’est aussi, à cause de cela entre autre, quelque chose de très religieux et de très symbolique. C’est le « corps du Christ » des religions chrétiennes,

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