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De Gaulle

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cteur qui sur joue.

LE RANG

La deuxième section du Salut, le troisième tome des Mémoires du Général de Gaulle publié en 1959, inclut en son sein un long tableau des négociations entre de Gaulle et « l'homme d'acier ». Ce passage est fait de références au lexique théâtral mettant en lumière les intimidations et enjeux politiques. Aussi, en quoi les négociations franco-russes sont-elles « tragi-comiques » ? Ces négociations sont peignées d'une mise en scène avec ses décors et ses acteurs. Surtout, à travers elles sont visibles les enjeux cruciaux de ce rapport de force. Justement, le dénouement est inattendu, à la fois grave et étonnant.

I] Une mise en scène brillante

a) Un décor festif

Cette rencontre entre deux grands dirigeants n'a évidemment rien d'insignifiant. Elle a pour but de replacer la France dans le concert des nations qui reconstruiront le monde de demain, de prémunir la France et la Russie de toute nouvelle attaque allemande dans le cadre d'une alliance. Alors ce séjour est fait, chaque jour, de ses festivités, de ses réjouissances. D'abord, la délégation française assiste à « un beau ballet dansé au Grand-Théâtre » (p. 81). S'ensuit, toujours à la Maison de l'Armée rouge, « une imposante séance de chants et de danses folkloriques ». Quant à de Gaulle, il est convié à recevoir « à l'ambassade tout le Moscou officiel » (p. 82). Staline, recevant son hôte, l'invite à un « repas stupéfiant » : en effet, « La table étincelait d'un luxe inimaginable » (p. 93) au cœur même du Kremlin.

b) Le jeu des politiques

Staline et de Gaulle ne dérogent pas à la règle : l'homme politique est aussi bien une élite intellectuelle qu'un acteur doué d'habileté. Parce qu'ils négocient, ils troquent leur habit de dirigeant pour lecostume du comédien. Staline, de son « air rustique », dissimule derrière son « apparence débonnaire » un zèle sans commune mesure (p. 93). Il tient à rassurer son interlocuteur : « Communiste habillé en maréchal, dictateur tapi dans sa ruse, conquérant à l'air bonhomme, il s'appliquait à donner le change » (p. 78). Face à « l'homme d'acier » masquant sa rudesse et son jeu de rôle, le chef du GPRF endosse à son tour son rôle en feignant l'indifférence : « J'affectais ostensiblement de ne pas prendre intérêt aux débats » (p. 95).

c) Le « tragi-comique » d'une scène insolite

De Gaulle traite ce passage avec un lexique théâtral. Lorsque Staline porte un toast en l'honneur de ses collaborateurs, le Général y voit une « scène extraordinaire » (p. 94). En effet, Staline « Trente fois, [...] se leva pour boire à la santé des Russes présents » et leur adressa un mot personnel, rappelant leur fonction et leurs savoir-faire. De Gaulle conclut ainsi : « Cette scène de tragi-comédie ne pouvait avoir pour but que d'impressionner les Français » (p. 95).

II] Un enjeu politique sous tension

a) L'enjeu

A l'instar de toute tragédie, les négociations franco-russes sont marquées du sceau d'un enjeu clé:l'avenir de la Pologne. Alors que Staline quémande la reconnaissance du Comité de Lublin, sous domination communiste, de Gaulle reconnait le gouvernement polonais réfugié à Londres (p. 83). C'est l'indépendance de la Pologne, de fait, qui est discutée : c'est « le véritable enjeu du débat » (p. 83). Seulement, derrière les masques, les acteurs ne font pas un seul impair à leur texte.

b) Les péripéties

L'intrigue théâtrale est faite de péripéties : ces négociations de même. D'abord, les Russes, par la voix de Molotov, clament : « Etant donné que votre gouvernement est provisoire, qui donc a, chez vous, qualité pour ratifier ? » (p. 82). La menace d'une impossibilité de négociations plane sitôt les Français parvenus à Moscou. Ensuite, les Russes usent du chantage : si signature d'une alliance il y a, le Comité de Lublin doit être reconnu par la France (p. 84-85). Enfin, la dernière tentative russe fut pleine de malice : « un communiqué [...] proclamerait l'établissement de relations officielles entre le gouvernement français et le Comité de Lublin et [...] serait publié en même temps que l'annonce du traité franco-russe » (p. 92).

c) L'intérêt dramatique

Alors que les Russes intimident la délégation française en parlant des « gens de Londres » avec noirceur (p. 84), Staline feint d'apaiser les tensions en manifestant ses volontés de négociation (p. 88), puis il semble faire croire à l'abandon de toutes conditions quant à la signature du traité franco-russe : « Bah ! nous nous entendrons tout de même » (p. 85). De Gaulle, en parallèle, voyant en Staline le comédien né, brandit la menace d'une rupture des négociations (p. 96). Seulement, de ces intimidations réciproques – qui révèlent la pugnacité de ces grands acteurs – débouche un accord, dont Staline reconnait l'intensité : « J'aime avoir affaire à quelqu'un qui sache ce qu'il veut, même s'il n'entre pas dans mes vues » (p. 98).

III] La chute

a) Une rupture soudaine

« [...] au point où en étaient les choses, on risquait fort que de Gaulle rentrât en France sans avoir conclu le pacte » (p. 96-97). Malgré un imparfait du subjonctif laissant planer le doute sur l'issue, il n'en demeure pas moins que le lecteur croit, à ce moment, les négociations achevées. D'autant plus que, lors du banquet offert par Staline en l'honneur de ses hôtes, les négociations étaient « toujours au point mort » (p. 92). L'échec est palpable avant même que le Général se décide à rentrer en terres françaises. Cette brutale rupture, vise, néanmoins, à choquer, interpeller, afin de préserver la conclusion d'un accord. Cependant que l'homme de fer trinque avec ses collaborateurs, il suit toujours les pourparlers de près. Mieux, il les dirige.

b) Un accord sur le fil

La perspective d'un échec est tout aussi effrayante pour Staline que ses proches : « Sans nul doute, le ministre soviétique (Molotov) était profondément marri de voir s'évanouir un projet poursuivi avec ténacité » (p. 96). Alors, la négociation reprend soudainement « vers deux heures du matin » (p. 97). Seulement, le texte proposé est repoussé dans la mesure où cette « déclaration [était] profondément édulcoré[e] ». Un nouveau texte est établit. Il est signé « à quatre heures du matin » en présence de nombreux photographes (p. 98).

A nouveau les toasts sont portés. Staline « leva son verre en l'honneur de la France » (p. 99). Les mots, pourtant, sonnent faux lorsque le Maréchal déclame : « Vive la Pologne, forte, indépendant, démocratique ! ». Ces paroles enthousiastes, marquantes l'entente trouvée avec les Français, n'est en réalité qu'apparence. En effet, que le Comité de Lublin soit reconnu par les Français ou non, de Gaulle assure : « Nous n'avions évidemment pas les moyens d'empêcher les Soviets de mettre leur plan en exécution » (p. 93). Les conclusions de cette entrevue théâtrale sont chaleureuses et faites de belles paroles.

Ainsi, cette scène « tragi-comique », sous tension, dynamique, pleine de rebondissements, se conclut positivement. Elle est « tragi-comique » en ce que les apparences festives et cordiales cachent les trames d'une négociation ardue, tendue, délicate, entre deux conceptions opposées du pouvoir.

PORTRAIT DE STALINE

Dans Le Salut, publié en 1959, de Gaulle dresse un portrait de Staline lorsqu'il retrace sa visite à Moscou du 2 au 10 décembre 1944. Justement, quel portrait le mémorialiste compose-t-il de « l'homme d'acier » ? Staline, négociateur zélé (II), cache derrière ce masque les dessous d'un tyran éclatant (I).

I] Staline, un tyran éclatant

Lorsque le Général de Gaulle évoque Staline, il rappelle sa « volonté de puissance » (p. 78). Ce zèle qu'il consacre à ses tâches est la clé de voûte de son caractère. Il ne connait ni la « pitié », ni même l'indulgence. La sensibilité lui est inconnue, il est intrinsèquement cruel. Il se méfie de chaque personne qu'il considère comme « un obstacle ou un danger » et qu'il n'hésiterait pas à faire éliminer. Le lexique de la dissimulation, du faux-semblant, lui est alloué. Il est décrit de façon très imagée : « communiste habillé en maréchal, dictateur tapi dans sa ruse ». En réalité, derrière tant de malice se dégage le profil du « despote » qui n'hésite pas à imposer à son pays « une dépense inouïe de souffrances et de pertes humaines » (p. 78) pour remplir ses desseins.

Le Général de Gaulle voit en Staline ce « charme ténébreux » (p. 79) qui rend cet homme si fascinant nonobstant l'âpreté de son engagement. L'homme d'acier aspire à la grandeur de la Russie, tellement qu'il l'incarne. Sa « volonté de puissance » est au service des « rêves

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