La Ballade Des Pendus
Dissertations Gratuits : La Ballade Des Pendus. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoireson n'y est pas toujours celui d'un quémandeur contrit, regrettant sincèrement ses péchés. Il serait donc intéressant de voir comment la rigueur formelle de la ballade favorise un retournement ingénieux de situation qui, d'un poète humble qui espère en l'humanité des hommes, fait un homme supérieur aux hommes.
II Mouvement du texte
- 1ère strophe : Adresse aux hommes et motivation de l'indulgence.
- 2ème strophe : Une prière mitigée.
- 3ème strophe : Spectacle burlesque du purgatoire.
- 4ème strophe : Adresse à Jésus et motivation du pardon.
III Analyse rédigée :
Le poème s'ouvre sur l'apostrophe « Frères humains » qui favorise la communication à double titre. Elle a une fonction phatique puisqu'elle sert d'abord à établir le contact avec l'allocutaire et une fonction conative puisque, par sa charge morale et sentimentale, elle le prédispose à bien recevoir le message. Le lecteur est d'emblée fixé sur la situation de communication. Les deux premiers vers
Frères humains qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis.
précisent qu'il s'agit de l'adresse d'un « nous » à un « vous » dont les humains sont le référent. La relative déterminative, en déterminant le destinataire visé renseigne sur la distance où se fait la communication. C'est l'écart entre la vie et la mort. L'appel se réalise dans un « après nous » où le « nous » peut désormais prétendre à la fraternité des hommes et à leur compassion. Le discours de Villon acquiert ainsi une double qualité de prosopopée et de testament qui le rend particulièrement efficace.
L'efficacité semble être, en effet, le souci principal du poète qui veut s'assurer la pitié des hommes. Il développe pour ce faire un argumentaire que soutiennent les mots grammaticaux à valeur logique « si », « car » « quand » et qui est explicitement empreint de religiosité, grâce notamment au développement du champ lexical du pardon « frères », « pauvres », « Dieu », « mercis », « priez »-Les arguments relèvent, cependant, de deux ordres ou, pour ainsi dire, de deux stratégies de persuasion. Dans les vers 3 et 4
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
l'expression de la condition, renforcée par la mise en incise de la proposition hypothétique et la dislocation emphatique de ses constituants, joue sur l'intéressement du destinataire à « l'affaire » du pardon. L'argument s'inspire de la logique de récompense multipliée, bien que différée, fondant la pratique religieuse. Au mot « pitié » , au singulier, répond, en effet, dans une forme chiasmique connotant l'échange, le mot pluriel « mercis » et au présent humain « avez » répond le futur divin « en aura ». Autant dire que nul ne peut refuser son pardon au poète sans perdre au change.
Le deuxième argument, développé du vers 5 au vers8, est construit sur une représentation mentale du spectacle des pendus offert au regard des badauds :
Vous nous voyez ci attachés cinq, six :
Le poète nous implique dans un spectacle dont la tristesse et le macabre grinçant se traduisent notamment par l'allitération sifflante en [s] et l'assonance lugubre en [u]. Cependant la rime interne (ci /six) résiste à cette interprétation. Elle paraît assez légère, assez joyeuse et assez chantante pour susciter le doute.
Le vers 5 s'ouvre, grâce à la ponctuation, sur le devenir des pendus.
Quand de la chair que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
L'argument est d'une grande subtilité. La chair, élément du corps évoquant le mal et le péché, est désigné à la troisième personne et est déterminé par l'article défini « la » marquant ainsi une certaine distance entre le locuteur et l'objet désigné. L'excès condamnable du « trop » est évacué grâce au passé composé. Le présent est celui où cette « maudite » chair est punie, « dévorée et pourrie .» Ainsi, quand « pourrie » vient rimer avec « nourrie », il porte, ou transporte, l'anathème sur un objet autre, étranger au « nous. » D'ailleurs, ce « nous » s'identifie tout de suite, grâce à la juxtaposition, aux «os », éléments décharnés du corps et, pour ainsi dire, blanchis. L'argument est simple : ce qui reste des pendus décharnés et tellement pitoyable que nul ne peut s'acharner sur eux sans paraître impitoyable.
Le poète semble se refuser à tout aveu humble et contrit de la faute : il compte sur les ressources de la rhétorique plus qu'il n'espère en une quelconque pitié humaine.
Ainsi quand arrive le refrain
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
présentant sur le mode de la jussion une alternative à la moquerie, le poète est quasiment sûr d'avoir eu gain de cause. C'est d'autant plus vrai que le « nous » du refrain, modalisé par le pronom « tous » ne renvoie plus désormais aux seuls pendus, mais à tous les autres humains, donnés au début comme détenteurs du pouvoir de pardonner.
La deuxième strophe confirme la tendance du poète à ne pas demeurer dans la position du pécheur pénitent et confus qui accepte avec résignation le jugement et le châtiment des autres. De manière explicite, il rejette le mépris que, par ressentiment ou par lâcheté, la société des hommes pourrait concevoir à l'endroit des pendus, maintenant qu'ils sont, pour ainsi dire, à genoux :
Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain-
Fin connaisseur de l'âme humaine (j'allais dire fin psychologue), Villon prévient la tentation, naturelle aux personnes sollicitées, de tirer avantage de la situation en humiliant le suppliant.
Cependant, ce qui est particulièrement saisissant dans les quatre premiers vers de la strophe, c'est leur charge ironique. Ainsi, dans la première proposition concessive « -quoique fûmes occis/ Par justice », la concession s'avère critique au regard de la grammaire, du lexique et de la versification. Sur le plan grammatical, le GP « par justice » peut être analysé comme CC de manière, signifiant ainsi, dans la logique de l'aveu, « équitablement » ou « justement. » Mais, la proposition étant passive, il peut être complément d'agent de l'action d'occire avec omission de l'article « la ». La justice serait alors non l'idée, mais l'appareil judiciaire. D'ailleurs, l'emploi du verbe occire ne laisse subsister aucun doute quant à l'attitude chicaneuse de Villon. Ce verbe, qui signifie, « tuer », n'est justifié et, partant, pardonné, que par la rime. Il dénonce LA justice comme un appareil de meurtre. Ce qui favorise une telle critique, c'est la multiplication des enjambements dans les quatre vers
Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon ses rassis.
Le rythme accéléré par les enjambements favorise le caractère confidentiel et furtif du trait, chose que tend à confirmer la proposition incise « vous savez », qui semble rechercher la complicité intelligente d'un lecteur critique.
A la première concession, succède une deuxième, introduite par « Toutefois » , qui achève de discréditer la justice et remet en question la culpabilité même des pendus en remettant en cause le « bon sens » des hommes. Le vers 15, arrive alors, reprenant le discours de la supplique
Excusez-nous puisque sommes transis.
L'auteur semble y faire l'unique vraie concession du poème. D'ailleurs le verbe est faible et l'excuse un truisme. Le « nous » devient martyr et c'est peut-être là qu'il faut trouver le vrai sens du vers16
Envers le fils de la vierge Marie.
Que le pardon soit accordé au nom du Christ, pompeusement et religieusement périphrasé, ne peut être fortuit et ne peut s'expliquer par la seule facture religieuse du poème. Nous sommes en effet tenté de penser que le poète cherche, fort subtilement, à identifier le supplice injuste des pendus à la passion du Christ. Nous pensons notamment au fameux « Pardonnez-leur ; ils ne savent pas ce qu'ils font .»
Les quatre vers qui finissent la strophe paraissent jurer avec le ton persifleur des quatre premier. Là, les mots sont ceux d'une prière sincère et solennelle. Outre le lexique, la tonalité oratoire, l'hyperbole « infernale foudre » ainsi que la richesse des rimes confèrent à ces vers force et profondeur. Le simple constat « Nous sommes morts » est à même d'effacer les incartades rhétoriques du
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