Livret Manifeste

Active. Mais tu as volé l'Imagination. Il ne reste aujourd'hui plus grand monde pour croire en des jours meilleurs. À quoi bon le profit illimité dans un monde fini ? Le pirate Progrès. Je vous aime, bande d'artistes. Mais, croyez-le ou non, si je sombre, je vous entraînerai dans ma chute. Nous brûlerons du même feu. Insert filmé, gros plan. Les nattes prennent feu et le pirate disparaît avec un "Aaaahhhhh" dans un rideau de fumée suivi de la nuit noire.

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Résistance Active. Ce n'est pas Progrès. Le sieur Morgan Mammon a usurpé ce nom, et le pirate œuvre pour lui. Le visage provocant de Progrès le pirate apparaît et disparaît comme le chat du Cheshire. La lumière revient. Le progrès du xxe siècle était une mauvaise idée. Balancez le passé, et l'avenir se débrouillera tout seul. Suivez la tendance, restez dans l'air du temps. Les artistes et les intellectuels ont pris le train en marche. On associait automatiquement le progrès et l'avenir. En avant ! N'arrêtez pas de penser. Vous n'avez rien à perdre que vos chaînes. Pinocchio. Maintenant que je suis un garçon, je veux me battre pour la liberté. Sieur Morgan Mammon. Voilà qui sonne agréablement à mes oreilles ! Plus de liberté, plus de consommation. Pinocchio. Non ! Liberté de penser par soi-même, ne croyez pas tout ce qu'on vous dit ! La consommation, c'est de la propagande - je veux me battre contre la propagande. Résistance Active. La culture est l'antidote à la propagande. Alice. Pinocchio, si tu essayes de te débarrasser complètement du passé, tu vas laisser tomber les bonnes idées comme les mauvaises. Tu jettes le bébé avec l'eau du bain. Ce qu'il y a, c'est qu'on a gardé un peu de l'eau sale du bain et que, depuis, on fait pipi dedans. Le Vrai Poète. Le présent n'est jamais que le moment présent du passé. Nous sommes le passé. L'art

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relie le passé, le présent et le futur. Eliminez le passé, il ne reste que l'habitude. L'Amoureux de l'art. Nous avons perdu le contact avec nous-mêmes. Seul l'amoureux de l'art reste en contact avec les idées. Je vais écrire un livre : « L'amoureux de l'art et les générations perdues ». Belle esclave. Pour progresser, ou pour avancer de quelque façon que ce soit, il faut savoir où l'on va, quel est l'objectif. Par exemple : l'argent n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour atteindre une fin. Et voilà pourquoi je serai libérée. Je suis si heureuse ! Je suis la célèbre Rhodopis (La Dame au teint de rose). Mon maître a fait fortune en vendant mon corps, mais maintenant, mon amant va verser une rançon considérable - plus importante encore que n'auraient pu l'être mes gains à venir. Ah, la Liberté ! Je croyais que c'était mon but, mais désormais, je vois bien que ce n'est qu' un début. Puis-je être heureuse alors que les autres esclaves n'en sont même pas là ? Le seul but possible, ce doit être le Bonheur, mais pas pour une seule et unique personne. Je vois bien, à présent, que le progrès peut être un objectif sans limite, car il y a toujours matière à améliorer sa vie. Et bien que nous puissions progresser vers un plus grand bonheur, en tant que fin, il nous échappera toujours, et c'est bien ainsi, car si jamais nous arrivions au Paradis, nous serions tous morts. Résistance Active. Aristote s'était rangé à ce point de vue concret que l'essence de tout objet se situait dans sa fin ou son but. Si l'on pouvait découvrir et réaliser la chose, cela constituerait alors le véritable sens, ou « bonheur » de cet objet - ou de cette personne. Il me semble que notre but est de vivre en harmonie avec Gaia. Ce qui

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sera chose faite quand nous aurons tous découvert ce qui est le plus profondément dans notre intérêt. Dryade de la forêt tropicale. Comment les humains peuvent-ils être heureux ? Chaque fois qu'ils abattent un arbre, c'est un enfant à venir qui meurt, et il y a plus d'arbres que d'enfants. D'aucuns le savent bien, mais on n'en détruira pas moins la forêt en l'espace d'une génération. (Personne ne l'écoute…) Pinocchio. Eh, Aristote ! C'est le patron qui a dit que la plupart des esclaves étaient satisfaits qu'on leur dise ce qu'ils avaient à faire. Mais il faut donner leur chance aux gens. Petit Esclave. Un esclave n'est pas une personne, c'est une chose. Une chose, ça peut être par exemple une voiture, ou un marteau, aussi bien qu'un esclave. En un mot : c'est démoralisant. Mais ma mère m'a dit comment faire pour survivre. Il faut que j'essaye de comprendre le monde. Comme ça, je ne perdrai pas mon âme, je saurai qui je suis. Quand elle s'en est allée, elle m'a dit : « Aime la liberté, mais oublie la clef, car la clef ne tourne qu'une seule fois. Je t'aime. » Alice. Elle était ton miroir. Son amour t'a montré à toi-même. Elle croyait en toi. La clef, c'est celle de ton caractère. Aristote a dit que le caractère d'une personne, c'est son habitude de faire des choix conformes aux vertus morales. Le Vrai Poète. Cet enfant courageux, capable d'expérience, se retrouvera tous les dix ans dans un monde différent, qu'il verra avec d'autres yeux, et son point de vue sur la vie en sera continuellement renouvelé.

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Nous sommes privilégiés. Notre expérience est d'autant plus étendue et intense que nous sommes amoureux de l'art. Par les yeux des artistes, nous captons à travers le temps tous ces points de vue très différents sur le monde et nous les polarisons dans notre propre existence : c'est la connaissance de la vie à travers ce qu'en connaît l'artiste. Alice. Aucun miroir n'est assez grand pour nous montrer le monde. Mais l'art le peut, lui. L'Amoureux de l'art (s'adresse à Pinocchio). L'art ne peut pas imiter directement la vie. Il le fait par le biais d'une représentation, comme dans un microcosme. Le microcosme - un modèle réduit du monde - vient d'un rituel primitif. Un homme avait été fait roi pour un an, puis il a été tué afin de symboliser la destruction de l'ancien monde. À partir de son corps dépecé, les hommes ont créé un nouveau monde, le tout dans un périmètre délimité, une sorte de cercle magique. Par exemple, ils ont pris ses yeux et ont dit : « Ceci est le soleil, cela est la lune ». L'idée, c'est que le petit monde constituait le patron du grand, et qu'en contrôlant le petit monde, on acquérait un pouvoir magique sur le monde extérieur, le macrocosme. Pinocchio. Pigé ! Les artistes créent de petits mondes. L'Amoureux de l'art. Et ce petit monde imite le monde véritable. C'est quelque chose que font les humains. Nous transformons le monde en quelque chose de petit, afin qu'il puisse entrer dans notre capacité de compréhension. Tous nos concepts sont construits à partir d'abstractions - c'est-à-dire de symboles pour nous aider à résoudre les problèmes - des mots et des nombres,

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par exemple. Nous pouvons comprendre une maquette parce que comme ça, nous avons une vue d'ensemble. Et à partir de là, on peut re-projeter tout cela sur le monde réel. L'art nous donne la sensation que le monde peut avoir un sens - et la satisfaction d'avoir compris quelque chose. Et cette œuvre d'art, cette tranche de vie, c'est quelque chose en soi qui, séparé du monde, se révèle dans son entièreté. (Comme dans le cas du microcosme, nous délimitons : dans un livre, dans un cadre, sur une scène.) Nous dominons cette œuvre parce qu'elle est entière. Il n'y a que dans cette situation que nous avons le contrôle total ; sinon, le monde défile devant nous. C'est pourquoi nous avons besoin de l'art. De génération en génération, nous en avons un besoin vital. Alice (à Pinocchio). J'aime bien cette idée de rapetisser pour entrer dans un petit monde complet, puis de grandir à nouveau. L'art me donne le pouvoir d'affronter le monde réel. Pinocchio. L'art nous permet d'arrêter le monde ! Et de lui donner un sens. Je deviendrai peintre et défenseur de la liberté. Tout cela est symbolique : le peintre ne peint pas toutes les feuilles de l'arbre. Résistance Active. Action ! Poursuivons notre quête en questionnant Aristote sur l'art de la tragédie grecque. À l’école péripatéticienne ! Pinocchio s'arrête en chemin et se retourne vers Alice. Pinocchio. Y'a un mec, là, qui habite dans un tonneau. Diogène. Je chie et je me branle devant tout le monde, en pleine rue, comme un chien. Je suis le Cynique.

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Alexandre le Grand tenait à venir me voir et m'a demandé ce qu'il pouvait faire pour moi. Nul ne vaut mieux que moi.