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Le langage.

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Par   •  11 Mai 2016  •  Cours  •  6 335 Mots (26 Pages)  •  1 045 Vues

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PLAN DU COURS SUR

LE LANGAGE 

 

 

 

 

 

 

 

Notions secondaires : la Conscience - l’Inconscient - la Perception - la Culture - la Raison et le Réel - la Politique - la Société  

 

I - LANGAGE ET HUMANITÉ

 

1) Du langage animal au langage humain 

 

         A - Le langage animal 

 

- Le « langage » animal est constitué par un code de signaux innés ou acquis : ces signaux sont des messages ou stimuli qui déclenchent certaines « réponses » ou comportements. - Les signaux sont de simples évocateurs : ils agissent comme des causes physiques qui produisent quasi mécaniquement certaines réactions. L’animal peut y obéir aveuglément, sans se préoccuper du décalage qui pourrait exister entre le signal et sa signification ; on peut ainsi tromper un animal par la connaissance des évocateurs ou signaux qui déterminent ces comportements : ainsi un papillon mâle tente de s’accoupler avec un papier imprégné de l’odeur de la femelle et reste insensible à la femelle privée d’odeur. - Les signaux provoquent souvent une réaction automatique sans apporter d’information réelle. - Certains signaux semblent cependant apporter de véritables informations et sont presque un équivalent du langage humain : tel est le langage des abeilles décrit par l’entomologiste Karl von Frisch (1948).

 

         B - Le langage humain 

 

 - Celui-ci se distingue nettement du langage animal. - Il peut se manifester indépendamment de toute excitation directe, échapper aux influences du milieu, et n’est pas automatique. - Il n’est pas inné, mais appris et proposé à l’imitation des enfants. - Les mots ont une vie indépendante des choses (possibles et non pas simplement réelles, présentes, données, senties ou perçues) : ils ont une réalité propre. Le mot ou le signe se détache de l’objet qu’il a pour fonction de nommer. Par lui, nous pouvons donc nommer des choses que nous n’avons pas sous les yeux, rappeler à notre conscience des choses absentes. Le signe n’a pas besoin de la chose pour apparaître. Le mot comme signe ou symbole est un représentant autonome de son référent. Il correspond à la définition scolastique du symbole : aliquid stat pro aliquo (une chose mise à la place d’une autre). - Le rapport existant entre le symbole linguistique et son référent n’est ni naturel ni explicable (contrairement à celui qui existe entre l’indice ou le symptôme et la réalité à laquelle ils renvoient) : il n’y a aucune raison pour que tel mot renvoie à telle réalité (comme en témoigne la pluralité des langues). - Ce caractère du symbole linguistique confère au langage humain une grande liberté par rapport au réel. Le langage humain ne se borne pas à mimer ou à imiter la réalité qu’il désigne (Les mots ne sont pas des émanations ou des images des choses.). - Le langage humain se caractérise aussi par sa structure (syntaxe) et par le nombre indéterminé et illimité des choses qu’il peut désigner. Seul le langage humain peut tout désigner. Cependant, tous les mots possibles se décomposent en un nombre limité d’éléments phoniques minimum. A partir de ces phonèmes (une trentaine en français), on peut, par combinaison, former une quantité illimitée d’énoncés différents. C’est ainsi que, dans aucune langue, il n’est pas possible de concevoir la phrase la plus longue : les règles permettent toujours d’ajouter un nouvel élément à une séquence déterminée. - Cet aspect du langage humain permet à chaque homme qui parle d’inventer lui-même son énoncé, sans répéter des formules apprises et toutes faites, des stéréotypes. Le langage humain est un moyen d’expression et de communication adaptable à chaque individu et peut se renouveler sans cesse. Tandis que les animaux ont un langage commun à toute l’espèce, un langage qui ne se modifie pas. Cf. Noam Chomsky, Le Langage et la Pensée : « Comme Descartes lui-même l’a correctement remarqué, le langage est une propriété spécifiquement humaine ; et même à des degrés inférieurs d’intelligence, à des niveaux pathologiques, nous trouvons une maîtrise du langage qui est totalement hors de portée d’un singe, qui peut, sous d’autres rapports, surpasser un homme idiot en ce qui concerne la capacité de résoudre des problèmes ou tout autre comportement d’adaptation. (...) // L’utilisation normale du langage est novatrice, en ce sens qu’une grande part de ce que nous disons en utilisant normalement le langage est entièrement nouveau, que ce n’est pas la répétition de ce que nous avons entendu auparavant (...). // (...) L’utilisation normale du langage (...) est aussi libre de tout contrôle par des stimuli décelables (...). C’est grâce à cette liberté face au contrôle du stimulus que le langage peut servir d’instrument de pensée et d’expression individuelle, comme il sert non seulement chez les gens exceptionnellement doués et talentueux, mais aussi, en fait, chez tout être humain normal. »

 

         2) L’homme comme animal parlant 

 

 - La parole est le signe de l’humanité. Elle est le révélateur de la pensée, ce qui la met en évidence. Il est possible de concevoir qu’on puisse un jour, par la technique, construire des machines indiscernables des animaux par leur aspect extérieur et leur « comportement ». Pour l’homme, un tel résultat ne semble pas envisageable : des machines pourraient être la parfaite réplique de corps humains, en imiter parfaitement bon nombre de comportements, et suggérer même occasionnellement l’existence d’une intériorité. - Cf. Descartes, Discours de la Méthode : « S’il y avait de telles machines, qui eussent les organes et la figure extérieure d’un singe, ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux ; au lieu que, s’il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu’elles ne seraient point pour cela de vrais hommes. Dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles, ni d’autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées. Car on peut bien concevoir qu’une machine soit tellement faite qu’elle profère des paroles, et même qu’elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes (...) ; mais non pas qu’elle les arrange diversement, pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. Et le second est que, bien qu’elle fisse plusieurs choses aussi bien, ou peut-être mieux qu’aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu’elles n’agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes. Car, au lieu que la raison est un instrument universel, qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière ; d’où vient qu’il est moralement impossible qu’il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie, de même façon que notre raison nous fait agir. » - Une machine ne peut être capable de se servir de la parole comme les hommes le font : de s’en servir à propos, de façon cohérente, en adéquation avec la situation. Cf. Descartes, Lettre à Morus, 5 février 1649 : « La principale raison (...) qui peut nous persuader que les bêtes sont privées de raison, est que (...) on n’a point (...) encore observé qu’aucun animal fut parvenu à ce degré de perfection d’user d’un véritable langage, c’est-à-dire qui nous marquât par la voix ou par d’autres signes, quelque chose qui pût se rapporter plutôt à la seule pensée qu’à un mouvement naturel. Car la parole est l’unique signe et la seule marque assurée de la pensée cachée et renfermée dans le corps ; or tous les hommes les plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l’on peut prendre pour la véritable différence entre l’homme et la bête. » - Cf. également Lettre au Marquis de Newcastle, 23 novembre 1646 : « Il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. (...) Car, bien que Montaigne et Charron aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions ; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elle n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient. // Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas ; car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne. » - Le langage est aussi naturel et essentiel à l’homme que la pensée elle-même. Cf. Buffon, De l’Homme : « L’homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au-dedans de lui ; il communique sa pensée par la parole : ce signe est commun à toute l’espèce humaine ; (...) aucun des animaux n’a ce signe de la   pensée ; ce n’est pas (...) faute d’organe ; la langue du singe a paru aux anatomistes aussi parfaite que celle de l’homme ; le singe parlerait donc s’il pensait ; si l’ordre de ses pensées avait quelque chose de commun avec les nôtres, il parlerait notre langue, et, en supposant qu’il n’eût que des pensées de singe, il parlerait aux autres singes ; mais on ne les a jamais vus s’entretenir ou discourir ensemble (...) ; il ne se passe à leur intérieur rien de; suivi, rien d’ordonné, puisqu’ils n’expriment rien par des signes combinés et   arrangés ; ils n’ont donc pas la pensée, même au plus petit degré. » - Cf. aussi Rousseau, Essai sur l’Origine des Langues : « L’invention de l’art de communiquer nos idées dépend moins des organes qui nous servent à cette communication, que d’une faculté propre à l’homme, qui lui fait employer ses organes à cet usage, et qui, si ceux-là lui manquaient, lui en ferait employer d’autres à la même fin. (...) // Les animaux ont pour cette communication une organisation plus que suffisante, et jamais aucun d’eux n’en a fait usage. (...) Ces langues (des animaux) sont naturelles, elles ne sont pas acquises ; les animaux qui les parlent les ont en naissant : ils les ont tous, et partout la même ; ils n’en changent point, ils n’y font pas le moindre progrès. La langue de convention n’appartient qu’à l’homme. » - Dire de l’homme qu’il est animal pensant, c’est dire qu’il est un animal qui parle. Et définir l’homme par sa capacité à parler, c’est implicitement reconnaître qu’il est animal politique et raisonnable (En grec, raison se dit logos, qui signifie aussi parole, discours) : la parole renvoie à la raison comme à sa cause, et à la vie sociale comme à sa condition (La raison permet la pensée et penser c’est comme se parler à soi-même, faire société avec soi ; la parole suppose à son tour la pensée et la raison, ainsi que la présence des autres, la société ; la société, la communauté, suppose la communication, c’est-à-dire la parole et la pensée dont cette parole est l’expression. Car les hommes ne peuvent communiquer et vivre en communauté sans manifester ce qu’ils ont en commun, c’est-à-dire ce qui fait qu’ils sont des hommes, des semblables, par-delà leurs différences : la raison). - On peut donc considérer, avec Georges Gusdorf, que la parole est « le seuil de l’univers humain » ; cf. La Parole : « Un savant d’une espèce étrangère à notre planète et qui se bornerait à examiner les dépouilles de l’homme et des singes supérieurs ne discernerait probablement pas cette différence capitale entre un homme et un chimpanzé, dont l’organisme présente tant de ressemblances. S’il ne le savait par ailleurs, il ne découvrirait pas que la fonction du langage existe chez l’homme et fait défaut chez le grand singe. // La parole apparaît comme une fonction sans organe propre et exclusif, qui permettrait de la localiser ici ou là. Un certain nombre de dispositions anatomiques y contribuent, mais dispersées à travers l’organisme, et liées ensemble pour le seul exercice d’une activité qui se superpose à elles sans les confondre. (...). // Le mystère est ici celui d’une reprise des possibilités naturelles, de leur coordination dans un ordre supérieur et proprement surnaturel. (...) La fonction de la parole, dans son essence, n’est pas une fonction organique, mais une fonction intellectuelle et spirituelle. » - Langage et humanité sont donc intimement liés. Tout fait signe pour l’homme. Il se meut dans une « forêt de symboles » (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Correspondances). Son monde est comme configuré par le langage. Il y a une omniprésence de la parole à l’humanité. L’humanité ne se laisse pas penser sans la parole. En perdant la parole, elle se perdrait elle-même. Cf. Heidegger, Acheminement vers la Parole : « L’être humain parle. Nous parlons éveillés ; nous parlons en rêve. Nous parlons sans cesse, même quand nous ne proférons aucune parole, et que nous ne faisons qu’écouter ou lire ; nous parlons même si, n’écoutant plus vraiment, ni ne lisant, nous nous adonnons à un travail, ou bien nous abandonnons à ne rien faire. Constamment nous parlons, d’une manière ou d’une autre. Nous parlons parce que parler nous est naturel. Cela ne provient pas d’une volonté de parler qui serait antérieure à la parole. On dit que l’homme possède la parole par nature. L’enseignement traditionnel veut que l’homme soit, à la différence de la plante et de la bête, le vivant capable de parole. Cette affirmation ne signifie pas seulement qu’à côté d’autres facultés, l’homme possède aussi celle de parler. Elle veut dire que c’est bien la parole qui rend l’homme capable d’être le vivant qu’il est en tant qu’homme. L’homme est homme en tant qu’il est celui qui parle. »

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