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Voyage et initiation dansla Mare au Diable

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e compagnons adultes et masculins. Elle féminise donc le schéma traditionnel en jouant sur les notions d'âge et de sexe.

1. Dans la tradition berrichonne, le terme «fin» s'applique à quelqu'un qui est averti des choses de la sorcellerie, bref, qui connaît le «secret». Sur les traditions berrichonnes, voir Laisnel de la Salle, le Berry. Croyances et légendes, Paris, Maisonneuve et Larose, 1968 ; Hugues Lapaire, les Légendes berrichonnes, Paris, Librairie universitaire J. Gamber, 1927 ; Claude Seignolle, le Berry traditionnel, Paris, Maisonneuve et Larose, 1969, et Louise Vincent, George Sand et le Berry, Paris, E. Champion, 1919.

Études françaises, 24,1, 1988

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Le récit de voyage de Germain et de Marie, qui conduira à leur mariage, couvre les chapitres III à XII du roman. Du point de vue de la tradition du conte, il forme un tout narratif puisque la quête des deux voyageurs (Germain pour une femme, Marie pour un emploi et de l'argent) est satisfaite à la fin de roman — bien que ce soit de manière différente de ce qu'ils avaient imaginé au départ. La narration de la double quête de Germain et de Marie est pourtant soumise à un cadre textuel, de nature essentiellement iconique et idéologique. Mais comme elle n'en dépend qu'au niveau symbolique avec l'établissement d'une image référentielle d'inspiration chrétienne (Petit-Pierre renvoyant au petit saint Jean-Baptiste) et la formulation critique d'une certaine idée urbaine simpliste et stéréotypée du paysan comme «condamné à une éternelle enfance», on peut dire que le récit existe, sur le plan structurel et schématique, de manière totalement indépendante, au centre du roman. Ses éléments fondamentaux vont être analysés ci-dessous, en fonction des conventions de la tradition narrative du récit de voyage héroïque et des dimensions rituelles et initiatiques correspondantes. L'expédition entreprise par Germain revêt, dès le départ, une certaine ambiguïté. Il s'agit de toute évidence, d'une quête puisque, veuf et père de trois jeunes enfants, il part à la recherche d'une nouvelle femme : la riche veuve Guérin, fille du père Léonard. Toutefois, le jeune laboureur fait preuve de bien peu d'initiative dans l'organisation de ce projet dont l'idée vient moins de lui que de son beau-père, le père Maurice. Ce dernier va, en fait, jusqu'à déterminer dans le détail, l'horaire et l'itinéraire du voyage pour Germain : «C'est demain samedi ; tu partiras vers les deux heures après dîner ; tu seras à Fourche à la nuit ; la lune est grande dans ce moment-ci, les chemins sont bons, et il n'y a pas plus de trois lieues de pays. C'est près de Magnier. D'ailleurs tu prendras la jument. [...] Tu reviendras avec un oui ou un non lundi matin», lui dit-il2. C'est de même le père Maurice, figure jupitérienne, qui impose à Germain pour ce voyage, qui s'annonce relativement simple, la compagnie de la Petite Marie. Il s'agit d'une bonne action puisque cette jeune voisine de seize ans est contrainte par la pauvreté à quitter sa mère pour aller se louer comme bergère aux Ormeaux, lieu marqué négativement, dès le départ, par l'imaginaire berrichon : «Un vilain pays de landes et de marécages, ou tu attraperas les fièvres d'automne, [et] où les bêtes à laine ne profitent pas», dira plus tard Germain à Marie, en bon paysan3.

2. George Sand, la Mare au Diable, préface et notes de Léon Cellier, Paris, Gallimard, «Folio», 1973, p. 57. 3. Ibid., p. 98.

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Quant à Petit-Pierre, il oblige les deux autres voyageurs à l'accepter comme compagnon de voyage, sans leur laisser une trop grande alternative, grâce à sa désobéissance obstinée, à l'intervention de Marie en sa faveur et à sa gentillesse désarmante. C'est à lui que les voyageurs devront un retard de plusieurs heures au départ, retard qui les contraindra à voyager de nuit. Mais l'enfant exercera auprès d'eux, tout au long du voyage, lorsqu'il ne dormira pas, une fonction de mascotte et d'intercesseur quasi divin, constamment animé par une sorte de fatalité généreuse 4 . Tout comme dans le conte, le héros-voyageur central de la Mare au Diable se trouve donc nanti, dans la première partie de son voyage, de compagnons-voyageurs dont il n'avait pas prévu la présence à l'origine5.

Le schéma narratif complet du voyage héroïque correspond traditionnellement à une graphie close (circulaire ou parabolique, selon le cas), incluant «voyage aller» et «voyage retour» du héros. Chacun de ces trajets est divisé en un certain nombre de «zones», qui correspondent à des étapes dans la progression du voyager — qu'il s'agisse de progression physique, intellectuelle ou spirituelle. La traversée de telles «zones» constitue le passage d'un «monde» à un autre, ce qui — en début et en fin de récit — signifie logiquement le passage du monde réel à un monde mythique, et vice versa. De la même manière, la topographie symbolique du voyage, dans la Mare au Diable, concilie géographie réelle et géographie mythique. Léon Cellier note, en introduction au roman, que «Les commentateurs observent qu'à partir du moment où les héros quittent la route pour s'engager dans la brande, l'itinéraire devient moins précis, et même quand Germain et Marie se séparent, que la topographie ne correspond plus à la réalité6.» C'est dire que seule la zone de départ (qui est aussi point d'arrivée au

4. L'équivalence Petit-Pierre/saint Jean-Baptiste a été établie dans le chap. II qui fait partie du cadre textuel, p. 40. Cette équation justifie le rôle inexistant des deux autres enfants de Germain qui n'ont aucune dimension symbolique. 5. Cette caractéristique semble marquer la plupart des récits de voyage traditionnels français, tel le conte de «Jean de l'Ours». Sur la manipulation par George Sand des schémas du récit traditionnel, voir Béatrice Didier, «George Sand et les structures du conte populaire», dans George Sand, Simone Vierne (édit.), Sedes-CDU, 1983, pp. 101-114. Nicole Belmont a par ailleurs fort bien montré l'aspect spécifiquement masculin de la quête dynamique dans le conte populaire français dans son article, «Les contes merveilleux français», Dictionnaire des mythologies, I, Yves Bonnefoy (édit.), Paris, Flammarion, 1980, pp. 209-213. Dans le conte bien connu d'«Amour et Psyché», et ses nombreuses variantes, la quête féminine est pour un époux disparu. C'est une forme de punition plus que de réalisation. 6. George Sand, op. cit., pp. 16-17.

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retour) appartient à la géographie réelle, et que le reste de la double quête de Germain et de Marie se passe dans les lieux tous décrits comme lieux mythiques — y compris Fourche et les Ormeaux, aux noms symboliques, évocateurs du Diable. Sur le plan pratique, le voyage de Germain peut être réduit à un schéma assez simple où, entre l'aller et le retour effectués en commun, s'inscrit le parcours lui-même, de digression et de séparation. Ce schéma est néanmoins insuffisant, du point de vue sémantique, pour permettre de représenter la réalité beaucoup plus complexe de la double quête. Il est nécessaire d'intégrer ici la théorie des «quatre zones» définie par David Bynum dans The Daemon in the Wood (1978), théorie par laquelle il divise la progression physique et intellectuelle du héros-voyageur, dans le conte traditionnel, en quatre zones qui forment, de manière sousjacente, une dialectique des apparences et de la réalité. Les «quatre zones» considérées sont les suivantes : la «zone de résidence» : point de départ du héros ; la «zone de limbes», qui apparaît pleine de périls, mais dont aucun ne se matérialise ; la «zone de danger», en apparence favorable, mais en réalité semée d'embûches ; enfin, la «zone domestique» où l'on s'attendait à trouver quelque chose de bon, de bien ou de bénéfique, mais où, en réalité, seule la fuite se révèle avantageuse7. À cette théorie, il semble utile d'ajouter le schéma conceptuel formant la base de la théorie rituelle définie par le folkloriste français, Arnold van Gennep, dans son ouvrage les Rites de passage (1909). Le voyage initiatique du novice (métaphore pour sa progression spirituelle) y parcourt un minimum de trois zones : la «zone préliminaire» ou zone de départ, située dans le monde réel ; la «zone liminaire» ou seuil, lieu de transition entre monde réel et monde surnaturel ; la «zone postliminaire» ou zone d'incorporation dans un monde inconnu et surnaturel, un «autre monde». Là, dans la perspective initiatique, le «voyageur» subira certaines modifications intérieures qui lui permettront d'accéder à un état spirituel supérieur à celui qui lui était familier avant cette expérience initiatique8. Le regroupement de la «théorie des quatre zones» (Bynum) et de ce qu'on pourrait appeler «la théorie des trois zones» (van Gennep) permet de voir que le «paysage rituel» (décor initiatique) et l'action du récit de ce voyage initiatique sont étroitement com7. David

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