Un Acte De Justice Ne Risque-t-Il Pas d'Être Un Acte De Vengeance ?
Note de Recherches : Un Acte De Justice Ne Risque-t-Il Pas d'Être Un Acte De Vengeance ?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresce est toujours hors- la-loi. Elle est stigmatisée comme une
forme archaïque et primitive de la justice, à laquelle le passage à une justice
étatique permet de mettre fin. L’instauration de la justice pénale apparaît
alors comme le dépassement de la vengeance en même temps que son
abolition.
Le troisième présupposé du sujet vient cependant poser un soupçon sur un tel
schéma : ne s’agirait-il pas d’un évolutionnisme naïf ? Le dépassement de la
vengeance par la justice s’est-il effectué sans restes, sans vestiges ? A-t-il
permis d’éliminer toute trace de l’esprit de vengeance dans le processus
juridique ? Il ne le semble pas. Là est l’enjeu majeur du sujet : dans le constat
du « paradoxe lié à la résurgence irrésistible de l’esprit de vengeance aux
dépens du sens de la justice dont le but est précisément de surmonter la
vengeance » (Ricoeur). Cette récurrence de l’idée de vengeance à l’intérieur de
la justice pénale constituerait alors l’échec collectif d’une société.
Le problème est celui de la valeur de la justice, de sa prétention à la
légitimité. Nous sommes invités, soit à la défense de la justice, soit à sa
condamnation. Nous opterons pour sa défense : comment préserver l’acte de
justice de sa contamination toujours possible par la vengeance ?
I L’avènement de la justice pénale, comme tentative de dépassement et
d’abolition de la vengeance
1) L’instauration de la justice restreint la vengeance et contient la chaîne
infinie de ses effets
2) La loi du talion et sa signification profonde
3) L’inévitable évolution du droit pénal : d’une justice vengeresse et cruelle
à son humanisation
II Un acte de justice ne saurait se confondre avec un acte de vengeance
1) La justice, oeuvre positive de la force, s’oppose à la vengeance, ruse des
faibles et produit du ressentiment
2) Arbitraire et caractère privé de l’acte de vengeance. Exigence de
proportionnalité et d’universalité de la peine judiciaire
3) La procédure judiciaire et ses contraintes
III Le paradoxe de la justice et la réponse à ses dérives possibles
1) La justice vengeresse
2) La finalité véritable de la peine judiciaire : le projet de réhabilitation
3)La possibilité du pardon, comme sortie définitive de la vengeance
L’avènement de la justice pénale comme tentative de dépassement
et d’abolition de la vengeance
Historiquement, la justice s’instaure d’abord pour tenter de contenir la
vengeance et d’en limiter les effets. René Girard rappelle dans La violence et
l e sacré comment la vengeance engendre la vengeance, dans une chaîne
infinie et un enchaînement inéluctable de violence. « La vengeance constitue
un processus infini, interminable. Chaque fois qu’elle surgit en un point
quelconque d’une communauté elle tend à s’étendre et à gagner l’ensemble du
corps social ». De crimes en représailles, la vengeance contamine tout le corps
social et le menace d’éclatement. La justice vient alors court-circuiter cette
chaîne infinie en disqualifiant la vengeance et en la décrétant hors-la-loi.
« C’est le système judiciaire qui écarte la menace de la vengeance ».
La tragédie d’Eschyle L ’Orestie , troisième volet du cycle des Euménides,
illustre parfaitement la thèse de René Girard. Au début de la pièce Oreste, qui a
tué sa mère Clytemnestre et l’amant de celle-ci pour venger le meurtre de son
père Agamemnon, est poursuivi par les Erinyes. Les Erinyes représentent la
logique d’une vengeance enfermée dans le cycle infernal des représailles, où
le sang appelle le sang. Oreste, ne pouvant trouver le repos, supplie Athéna de
lui venir en aide. Cette dernière va alors fonder le premier tribunal de justice
qui mettra fin à cet enchaînement. La justice nouvelle triomphera d’une
vengeance primordiale et sauvage. Les Erinyes de maléfiques vont devenir
bénéfiques et s’appelleront désormais les Euménides : les bienveillantes.
Telle est bien la finalité de ce « plus ancien canon de la justice » - selon
l’expression de Nietzsche dans L a généalogie de la morale – qu’est la loi du
talion. Certes, une lecture littérale de ses toutes premières formulations – à
travers plusieurs passages de l ’ A ncien Testament – Deutéronome et Lévitique –
semble l’assimiler à une forme de vengeance primaire, cruelle et sanguinaire.
En replaçant ce principe dans son contexte, cependant, on constate qu’il exprime
l’apparition d’un souci de justice venant rompre avec l’esprit de vengeance.
Levinas, dans son ouvrage Difficile liberté, interprète avec finesse les exigences
de la loi du talion comme une avancée majeure de la sphère de la
justice. « Dent pour dent, oeil pour oeil – ce n’est pas le principe d’une méthode
de terreur (…) ce n’est pas une façon de se complaire dans la vengeance et la
cruauté où baignerait une existence virile ». Car la loi du talion vient limiter la
démesure de la vengeance et son risque d’extension illimitée. Il est effrayant,
dira-t-on, que pour un oeil crevé on doive répondre de la même manière. Mais la
formule signifie aussi qu’on ne fera rien de plus –par exemple crever les deux
yeux ou radicalement tuer. « La violence appelle la violence. Mais il faut arrêter
cette réaction en chaîne. La justice est ainsi ».
Aux paragraphes 8 à 10 de la Deuxième dissertation de La généalogie de la
morale, Nietzsche, retraçant la généalogie de la justice, montre comment son
évolution progressive l’a amenée à se dissocier peu à peu de la simple
vengeance. Dans les sociétés primitives, à l’époque de la moralité des moeurs,
le châtiment, dans son inexorable cruauté, est encore très proche de la
violence sanguinaire. Il s’agit en effet de dompter l’animal humain, ce qui ne
peut se faire qu’au prix d’un apprentissage brutal et sanglant. Le criminel,
conçu comme une sorte de débiteur – au nom de cette logique de la dette dans
laquelle Nietzsche voit la forme la plus ancienne de la justice - est voué à la
colère vengeresse de la société/créancier. A ce niveau, la justice porte encore
le masque de la vengeance. « Le « châtiment », à ce degré des moeurs, est
simplement l’image, la mimique de la conduite normale à l’égard de l’ennemi
détesté, désarmé, abattu, qui a perdu tout droit non seulement à la protection,
mais encore à la pitié ». La justice cependant va peu à peu connaître un
processus d’humanisation et d’adoucissement qui l’éloigne toujours plus de la
vengeance. Elle se fera moins rigoureuse dans l’application du châtiment et se
désolidarisera
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