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Un Acte De Justice Ne Risque-t-Il Pas d'Être Un Acte De Vengeance ?

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ce est toujours hors- la-loi. Elle est stigmatisée comme une

forme archaïque et primitive de la justice, à laquelle le passage à une justice

étatique permet de mettre fin. L’instauration de la justice pénale apparaît

alors comme le dépassement de la vengeance en même temps que son

abolition.

Le troisième présupposé du sujet vient cependant poser un soupçon sur un tel

schéma : ne s’agirait-il pas d’un évolutionnisme naïf ? Le dépassement de la

vengeance par la justice s’est-il effectué sans restes, sans vestiges ? A-t-il

permis d’éliminer toute trace de l’esprit de vengeance dans le processus

juridique ? Il ne le semble pas. Là est l’enjeu majeur du sujet : dans le constat

du « paradoxe lié à la résurgence irrésistible de l’esprit de vengeance aux

dépens du sens de la justice dont le but est précisément de surmonter la

vengeance » (Ricoeur). Cette récurrence de l’idée de vengeance à l’intérieur de

la justice pénale constituerait alors l’échec collectif d’une société.

Le problème est celui de la valeur de la justice, de sa prétention à la

légitimité. Nous sommes invités, soit à la défense de la justice, soit à sa

condamnation. Nous opterons pour sa défense : comment préserver l’acte de

justice de sa contamination toujours possible par la vengeance ?

I L’avènement de la justice pénale, comme tentative de dépassement et

d’abolition de la vengeance

1) L’instauration de la justice restreint la vengeance et contient la chaîne

infinie de ses effets

2) La loi du talion et sa signification profonde

3) L’inévitable évolution du droit pénal : d’une justice vengeresse et cruelle

à son humanisation

II Un acte de justice ne saurait se confondre avec un acte de vengeance

1) La justice, oeuvre positive de la force, s’oppose à la vengeance, ruse des

faibles et produit du ressentiment

2) Arbitraire et caractère privé de l’acte de vengeance. Exigence de

proportionnalité et d’universalité de la peine judiciaire

3) La procédure judiciaire et ses contraintes

III Le paradoxe de la justice et la réponse à ses dérives possibles

1) La justice vengeresse

2) La finalité véritable de la peine judiciaire : le projet de réhabilitation

3)La possibilité du pardon, comme sortie définitive de la vengeance

L’avènement de la justice pénale comme tentative de dépassement

et d’abolition de la vengeance

Historiquement, la justice s’instaure d’abord pour tenter de contenir la

vengeance et d’en limiter les effets. René Girard rappelle dans La violence et

l e sacré comment la vengeance engendre la vengeance, dans une chaîne

infinie et un enchaînement inéluctable de violence. « La vengeance constitue

un processus infini, interminable. Chaque fois qu’elle surgit en un point

quelconque d’une communauté elle tend à s’étendre et à gagner l’ensemble du

corps social ». De crimes en représailles, la vengeance contamine tout le corps

social et le menace d’éclatement. La justice vient alors court-circuiter cette

chaîne infinie en disqualifiant la vengeance et en la décrétant hors-la-loi.

« C’est le système judiciaire qui écarte la menace de la vengeance ».

La tragédie d’Eschyle L ’Orestie , troisième volet du cycle des Euménides,

illustre parfaitement la thèse de René Girard. Au début de la pièce Oreste, qui a

tué sa mère Clytemnestre et l’amant de celle-ci pour venger le meurtre de son

père Agamemnon, est poursuivi par les Erinyes. Les Erinyes représentent la

logique d’une vengeance enfermée dans le cycle infernal des représailles, où

le sang appelle le sang. Oreste, ne pouvant trouver le repos, supplie Athéna de

lui venir en aide. Cette dernière va alors fonder le premier tribunal de justice

qui mettra fin à cet enchaînement. La justice nouvelle triomphera d’une

vengeance primordiale et sauvage. Les Erinyes de maléfiques vont devenir

bénéfiques et s’appelleront désormais les Euménides : les bienveillantes.

Telle est bien la finalité de ce « plus ancien canon de la justice » - selon

l’expression de Nietzsche dans L a généalogie de la morale – qu’est la loi du

talion. Certes, une lecture littérale de ses toutes premières formulations – à

travers plusieurs passages de l ’ A ncien Testament – Deutéronome et Lévitique –

semble l’assimiler à une forme de vengeance primaire, cruelle et sanguinaire.

En replaçant ce principe dans son contexte, cependant, on constate qu’il exprime

l’apparition d’un souci de justice venant rompre avec l’esprit de vengeance.

Levinas, dans son ouvrage Difficile liberté, interprète avec finesse les exigences

de la loi du talion comme une avancée majeure de la sphère de la

justice. « Dent pour dent, oeil pour oeil – ce n’est pas le principe d’une méthode

de terreur (…) ce n’est pas une façon de se complaire dans la vengeance et la

cruauté où baignerait une existence virile ». Car la loi du talion vient limiter la

démesure de la vengeance et son risque d’extension illimitée. Il est effrayant,

dira-t-on, que pour un oeil crevé on doive répondre de la même manière. Mais la

formule signifie aussi qu’on ne fera rien de plus –par exemple crever les deux

yeux ou radicalement tuer. « La violence appelle la violence. Mais il faut arrêter

cette réaction en chaîne. La justice est ainsi ».

Aux paragraphes 8 à 10 de la Deuxième dissertation de La généalogie de la

morale, Nietzsche, retraçant la généalogie de la justice, montre comment son

évolution progressive l’a amenée à se dissocier peu à peu de la simple

vengeance. Dans les sociétés primitives, à l’époque de la moralité des moeurs,

le châtiment, dans son inexorable cruauté, est encore très proche de la

violence sanguinaire. Il s’agit en effet de dompter l’animal humain, ce qui ne

peut se faire qu’au prix d’un apprentissage brutal et sanglant. Le criminel,

conçu comme une sorte de débiteur – au nom de cette logique de la dette dans

laquelle Nietzsche voit la forme la plus ancienne de la justice - est voué à la

colère vengeresse de la société/créancier. A ce niveau, la justice porte encore

le masque de la vengeance. « Le « châtiment », à ce degré des moeurs, est

simplement l’image, la mimique de la conduite normale à l’égard de l’ennemi

détesté, désarmé, abattu, qui a perdu tout droit non seulement à la protection,

mais encore à la pitié ». La justice cependant va peu à peu connaître un

processus d’humanisation et d’adoucissement qui l’éloigne toujours plus de la

vengeance. Elle se fera moins rigoureuse dans l’application du châtiment et se

désolidarisera

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