Chronotope du Seuil dans La Fortune des Rougon d’Émile Zola

Chronotope du Seuil dans La Fortune des Rougon d’Émile Zola

Introduction :

Avec le développement des méthodes littéraires et critiques - notamment au XXème siècle - qui ont été influencées par les changements rapides et fondamentaux des autres sciences et des événements universels en général, il serait urgent d'intensifier les efforts pour atteindre des méthodes critiques plus flexibles, cohérentes avec des genres et des courants littéraires changeables.

Mikhaïl BAKHTINE (1895-1975), philosophe, linguiste, philologue et sémioticien russe, a présenté de nombreux travaux qui ont enrichi la littérature et les méthodes critiques, et qui ont été le point de départ de nombreuses autres théories. En 1925, BAKHTINE a assisté à un exposé du physiologiste A.A. OUKHTOMSKI sur le chronotope en biologie, en 1937 il a également écrit son article Formes du temps et du chronotope dans le roman dans lequel il a parlé des chronotopes dans la littérature et dans l’œuvre artistique, qui a été publié en 1975. Le mot chronotope vient du grec « chronos » signifie le temps et « topos » signifie le lieu, ce concept fait référence à l’intégration et à la fusion des relations temporelles et spatiales dans l'œuvre artistique ou plutôt dans le roman. Et n'oublions pas de mentionner qu’il s’est basé sur la théorie de la relativité d'Einstein, qui parle également de la fusion du temps et de l'espace.

BAKHTINE a introduit sa théorie après avoir été influencé par plusieurs écoles critiques de formalistes russes, de structuralisme, de marxisme, et de philosophie du langage, on doit alors prendre en compte ses tentatives d'approcher ces méthodes^[1]. Il a fondé sa théorie en partant de la structure du texte pour examiner les plans corrélationnels entre le temps et l’espace et les autres éléments narratifs.

Le concept de chronotope :

On ne peut imaginer aucune histoire ou événement intégré dans le néant, sans un lieu et un temps qui localisent les événements de l'histoire. Il est difficile pour un écrivain de raconter un événement ou une scène sans mentionner le moindre détail spatial ou temporel. S'il y parvient, cela pourrait être une étape créative, mais il perdra beaucoup de ses caractéristiques artistiques et réalistes, ou deviendra tout simplement une histoire de science-fiction ; On est donc en train d'aborder les relations entre ces deux composantes narratives centrales dans le récit.

Mikhail BAKHTINE a invité à ne pas séparer le temps et l'espace, à travers son article dans lequel il a commencé à traiter des relations spatio-temporelles dans les romans antiques (L'Ane d'or d'Apulée, Dante), il a précisé non seulement les relations d'emmêlage entre ces deux termes, mais aussi comment chacun confère ses caractéristiques à l'autre.

 « Dans le chronotope de l'art littéraire a lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. Ici, le temps se condense, devient compact, visible pour l'art, tandis que l'espace s'intensifie, s'engouffre dans le mouvement du temps, du sujet, de l'Histoire. Les indices du temps se découvrent dans l'espace, celui-ci est perçu et mesuré d'après le temps. » (BAKHTINE, 1978, p.237), et sur cette confirmation se base le concept du chronotope.

BAKHTINE déclare que le temps représente la quatrième dimension du lieu dans la littérature en plus de la longueur, de la largeur et de la hauteur, de sorte que les relations spatio-temporelles sont un système de signes qui contiennent des symboles significatifs (historiques, culturels, religieux, géographiques, mythiques...). A travers laquelle se produisent diverses conditions spatio-temporelles, BAKHTINE classe à travers lesquelles plusieurs chronotopes (le chronotope d’idylle, le chronotope de la rencontre, le chronotope de la route, le chronotope du salon, le chronotope du seuil…), où ces conditions sont directement liées à la présentation de l'événement et aux comportements des personnages.

Ces chronotopes peuvent nous décrire les formes de communication entre le sujet et l’objet, comme l'intégration de ces relations entre eux peuvent nous expliquer le concept du chronotope. Les chronotopes diffèrent selon le genre littéraire et l'œuvre, cela est dû à l'écrivain qui caractérise le temps et le lieu de son œuvre avec ses propres caractéristiques idéologiques et créatives. Certes, le choix des personnages, du temps, du lieu et de leurs détails n'est pas arbitraire. On peut donc finalement considérer le chronotope comme l'un des indicateurs de la conscience de l'auteur, qui atteint ainsi à sa rôle la conscience du destinataire.

Grâce à notre recours au traitement des chronotopes, le genre littéraire avec toutes ses caractéristiques peut devenir plus clair, renforçant ainsi le rôle de ce concept au niveau de l'œuvre littéraire en tant que structure et en tant que genre. Il est aussi directement lié à l'intrigue ou à la conclusion de l'œuvre, en plus de décrire et d'organiser l'espace dans lequel les personnages vivent ou évoluent, topographiquement et psychologiquement, pour rendre cet espace compréhensible et plus intéressant. Ce qui demande de l'auteur une description spatiale vaste et détaillée. Les chronotopes ont permis de découvrir de nouveaux aspects de l’œuvre littéraire et artistique; d'autre part, de nouvelles formes et types de chronotopes se sont développés dans le monde contemporain au fur et à mesure de l'évolution des genres et des œuvres littéraires.

La Fortune des Rougon:

Le Seuil de la série des Rougon-Macquart, La Fortune des Rougon est le premier roman de la série écrite par Emile Zola dans son projet naturaliste et expérimental, paru dans 1871. Le point de départ de 19 autres romans racontant l'histoire d'une famille au fil de plusieurs générations, dans lesquels Zola a examiné l'effet du milieu et des gènes sur les comportements et les attitudes des individus. Le roman raconte l'histoire d’Adélaïde Fouque (Tante Tide), qui épousa le jardinier Rougon et engendra Pierre Rougon. Puis, prit un amant - après la mort de son marie- le contrebandier Macquart et engendra Antoine et Ursule.

Quelques années plus tard, l'unique souci de son fils légitime Pierre devient de recouvrer son droit à la propriété de sa mère et d'exclure ses deux frères illégitimes. Pierre a réussi son projet et s'est efforcé de passer à une vie meilleure grâce à son mariage avec Félicité, la fille d'un marchand d'huile, et il a déplacé de Saint-Mittre en marge au cœur de Plassans, où se déroulent les événements.

Après que Pierre fut républicain, il répondit aux conseils de son fils aîné Eugène, qui était à Paris et il commença à préparer sa participation pour le coup d'État de 1851 pour revenir au pouvoir royal avec Napoléon III, où l'affrontement eut lieu entre son équipe du « Salon jaune », et les insurgés opposés au coup d'État, dirigés par Silvère Mouret, le troisième fils de sa sœur Ursule, avec son amante Miette (Marie Chantegreil). Ainsi, cette confrontation et sa terre (Saint-Mittre) seront la matière de travail dans cet article comme un seuil de transformation et de transition ou même tel qu'exprimé par Bakhtine avec un tournant d’une vie.

 Espace seuil, espace de l’entre-deux:

         Bakhtine l'a exprimé en plusieurs expressions, le chronotope du seuil peut être le moment de la transformation, le temps de la crise, et le tournant d’une vie. Ces trois termes représentent le seuil et son espace dans notre roman.

Il s'agit de montrer en quoi le seuil est finalement un signe, en tant qu’il est un espace symbolique. Dans La Fortune des Rougon, l’aire Saint-Mittre est l'espace du seuil. Il est un seuil topographique (la frontière de Plassans qui le sépare de Paris et de l’extérieur généralement) et un seuil métaphorique (un moment de transformation et de déterminer le destin pour les deux parties du conflit).

Plassans est une ville fermée isolée de l'extérieur, cette fermeture apparaît de manière hiérarchique d'un champ plus large à un champ étroit, car elle est d’abord une ville fermée « L’aire Saint-Mittre est un carré long, […] elle est close par deux pans de muraille rongés de mousse, au-dessus desquels on aperçoit les branches hautes des mûriers du Jas-Meiffren, grande propriété qui a son entrée plus bas dans le faubourg. Ainsi fermée de trois côtés » (Zola, 1871, p 3), « Le logis de l’impasse Saint-Mittre resta hermétiquement clos et garda ses secrets » (Zola, 1871, p 53), « À Plassans, dans cette ville close » (Zola, 1871, p 86).