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L'exploration De L'afrique Au Xixe Siècle : Une Histoire Pré Coloniale Au Regard Des Postcolonial Studies

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inés, imagerie des mers du sud, Paris, Musée des Arts d’Afrique et d’O(...)

4 . Images d’outre-mers, 1865-1914, archives photographiques de la Société de géographie de Rochefort(...)

1Au moment où le champ de l’histoire de la colonisation se trouve revivifié par une demande sociale à forte composante mémorielle et connaît une recomposition liée à une réception ambivalente en France des postcolonial studies anglo-saxonnes 1, l’histoire des explorations ne semble pas constituer un objet d’étude privilégié. Elle continue cependant à alimenter une importante production éditoriale, souvent destinée à un large public, en partie héritière d’une tradition apologétique qui voit dans le voyage d’exploration la réalisation d’un exploit, en partie mue par le ressort d’un désir d’exotisme bien partagé, qui se cristallise en un intérêt spécifique pour les premières rencontres entre des individus européens et des peuples d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie 2. Elle est également mise en scène par des expositions à visée plus réflexive, qui présentent les matériaux produits par l’exploration en établissant une distance historique entre le regard du visiteur et celui du voyageur, recourant parfois à l’ironie du second degré 3. Cependant, quel que soit le mode de présentation adopté, ces productions éditoriales ou scénographiques n’échappent pas au registre d’une fascination redondante pour les espaces et les peuples découverts — celle que l’on attribue au voyageur, souvent décrite en des termes qui renvoient à la passion, et celle du lecteur ou du spectateur d’aujourd’hui, qui se double d’une nostalgie pour le monde disparu dont le voyageur fit l’expérience. La réception faite aux productions de l’exploration se révèle alors assez proche de celle que leur réservèrent les contemporains, la distance chronologique d’un ou deux siècles étant en quelque sorte écrasée par une commune fascination. Seules s’y soustraient quelques présentations qui adoptent plus ou moins explicitement le mode de la dénonciation 4.

2L’ensemble traduit une ambivalence de la représentation de l’explorateur, auquel sont associées tantôt la gloire et l’aventure individuelle, tantôt la rencontre pacifique avec des peuples et une nature exotique, tantôt les relations de domination qui président à une prise de pouvoir. Les productions destinées au grand public mettent ainsi en évidence une difficulté à situer l’explorateur, à lui assigner une posture unifiée. Or les travaux historiques consacrés à l’exploration connaissent des hésitations similaires, le principal problème rencontré étant la difficulté à déterminer la nature du lien associant exploration et colonisation. Tandis que nombre d’études menées dans le cadre de l’histoire de la géographie le réduisent à une relation de causalité univoque et que les auteurs qui se réclament des postcolonial studies subsument les deux termes sous la catégorie unifiante d’impérialisme, une analyse historique attentive aux multiples contextes et aux pratiques différenciées que suppose l’exploration conduit à contester l’évidence d’un tel lien.

5 . Cette analyse s’appuie sur les résultats d’une thèse de doctorat : Isabelle SURUN, Géographies de(...)

3Après un examen des propositions élaborées dans le cadre des postcolonial studies et des problèmes théoriques et épistémologiques qu’elles soulèvent, je présenterai le cas particulier des voyages d’exploration menés en Afrique occidentale dans un contexte essentiellement pré-colonial, dont l’analyse révèle les limites de telles approches 5.

Postcolonial studies et critique historique

Exploration et colonisation

4Les publications qui traitent de l’impérialisme et de la domination coloniale établie au XIXe siècle par des pays européens sur des territoires situés sur d’autres continents ne mentionnent l’exploration, lorsqu’elle le font, que comme un corollaire de la conquête coloniale, établissant dès lors l’existence d’un lien de causalité univoque entre exploration et colonisation. Ce postulat, qui apparaît le plus souvent, dans les études publiées en France, comme une évidence non questionnée, se décline sous différentes formes.

6 . Elikia M’Bokolo, sans en faire un pilier de la genèse du mouvement d’exploration, du moins dans s(...)

7 . Anne HUGON, L’Afrique des Explorateurs. Vers les Sources du Nil. Paris, Éditions Gallimard, 1991,(...)

8 . Dominique LEJEUNE, Les sociétés de géographie en France et l’expansion coloniale au XIXe siècle,(...)

5Chez les historiens de l’Afrique ou de la colonisation, la théorie dite des « trois C » constitue un modèle d’explication devenu classique. Elle consiste à associer les termes de civilisation, de commerce et de christianisme pour en faire les fondements de l’idéologie coloniale. En attribuant aux explorateurs l’expression de ces motivations 6, on établit une identité de nature, fondée sur l’idéologie, entre explorateur et colonisateur. Ainsi, chez certains auteurs, les trois C deviennent cinq : « Curiosité, Civilisation, Christianisation, Commerce, Colonisation » 7. L’ajout de deux termes en début et en fin de liste contribue à suggérer, par l’intermédiaire d’une chaîne causale implicite, des liens entre la curiosité scientifique pour l’Afrique, telle qu’elle se présente à la fin du XVIIIe siècle, et la colonisation qui n’intervient qu’un siècle plus tard, sans que le recours explicatif à ces cinq motifs fasse l’objet d’une mise en perspective chronologique. En s’appuyant sur les travaux de Dominique Lejeune pour identifier dans les sociétés de géographie le siège de l’entreprise d’exploration comme du mouvement colonial, les récits qui reconstituent la genèse de la colonisation française présentent cette conjonction comme déterminante 8. La recherche de causes conduit ainsi à un regard en arrière qui isole un phénomène antérieur à celui que l’on veut expliquer et qui, pour peu qu’il soit possible d’établir une parenté entre les deux, érige le premier en cause du second. Ce raisonnement historique n’est pas sans poser un problème d’ordre épistémologique : en transformant la proximité chronologique en opérateur de causalité, il met implicitement en œuvre une forme déterministe de causalité et une lecture téléologique de l’histoire.

9 . Yves LACOSTE, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, Paris, Éditions Maspéro, 1982,(...)

10 . Michel BRUNEAU et Daniel DORY [dir.], Géographie et colonisation, Paris, Éditions L’Harmattan, 19(...)

11 . Roland POURTIER, « Les géographes et le partage de l’Afrique » dans Hérodote, n° 41, 2e trimestre(...)

12 . L’ouvrage dirigé par Anne GODLEWSKA et Neil SMITH, Geography and Empire, ouv. cité, s’y rattache(...)

6Chez les géographes, l’articulation entre exploration et colonisation repose sur le postulat d’un lien de fonctionnalité inspiré du titre d’un ouvrage d’Yves Lacoste, selon lequel « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » 9. L’exploration, en tant que contribution à la connaissance géographique, est tenue pour directement utile à la conquête coloniale et à l’administration des territoires colonisés, et donc considérée comme orientée d’emblée vers ces usages. Cette assertion constitue l’arrière-plan de plusieurs ouvrages collectifs publiés dans les années 1990 10. Certains auteurs en proposent cependant une expression beaucoup plus élaborée en insistant sur les formes d’appropriation symbolique de l’espace auxquelles l’exploration donne lieu, en particulier à travers l’acte de nommer les espaces en les naturalisant 11. Mais la production consacrée à l’histoire de la géographie aborde généralement la question dans une perspective qui vise à démasquer les liens entre savoir et pouvoir, tenus pour consubstantiels à la discipline géographique. Elle se révèle en cela très proche des travaux menés aux États-Unis au sein du courant intitulé postcolonial studies 12 qui envisage plus largement les relations qui s’établissent entre culture et impérialisme.

Culture et impérialisme

7Ce courant, dont l’ouvrage d’Edward Said, L’orientalisme, constitue une référence fondatrice 13, est né dans les départements d’universités nord-américaines consacrés aux Cultural Studies. Empruntant le cultural turn, il propose à la fois une relecture des grands textes de la littérature occidentale, envisagée dans une perspective transversale et thématique, et un élargissement du corpus à des textes non spécifiquement littéraires, comme les discours d’hommes politiques, les articles de journaux ou les ouvrages savants. Malgré leur diversité, les travaux qui se réclament de ce courant reposent sur quelques principes communs.

13 . Edward W. SAID, Orientalism : Western Conceptions of the Orient, Londres, Penguin Books, 2003 (1r(...)

14 . Edward W. SAID, L’orientalisme, ouv. cité, p. 24.

15 . Idem, p. 36. Il ajoute

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