La ‘Deixis Surréaliste'. Breton, Le Genre Textuel Et l'Énonciation De La Subjectivité
Mémoire : La ‘Deixis Surréaliste'. Breton, Le Genre Textuel Et l'Énonciation De La Subjectivité. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoirese qu’en tenant compte du « procès d’énonciation », c’est-à-dire de l’énonciation en acte, en train de se faire. A ce sujet, on peut se poser plusieurs questions. Est-il possible, par exemple, que le procès d’énonciation soit suffisant en soi ? Sinon, où trouve-t-il son origine ? Mais ce qui est surtout à discuter concerne la notion de ‘référent’. Kerbrat-Orecchioni semble faire écho à la définition proposée par Peirce où le référent de la deixis « varie avec la situation » parce qu’il est lié d’une relation ‘existentielle’ avec l’objet qu’il désigne. Cette définition de Kerbrat-Orecchioni est liée à une situation de communication extérieure à l’énoncé et vise à garder une distinction forte entre l’énoncé et l’énonciation. Toutefois, de mon point de vue la question à se poser est de savoir si l’énoncé et l’énonciation sont deux entités distinctes, c’est-à-dire saisissables en tant qu’entités découpées par une nette frontière qui les sépare l’une de l’autre, ou bien si elles sont indissociablement liées entre elles. Il faut souligner en effet que, d’une part, l’énonciation véritable (en tant qu’acte de parole, au sens saussurien du terme) ne représente qu’un phénomène volatile et insaisissable en dehors de l’énoncé qui l’actualise ; de l’autre, l’énoncé pur et simple (si ‘objectif ’ qu’il puisse être) ne peut pas être reçu comme le résultat totalement séparé de l’instance d’énonciation qui l’a produit. Par conséquent, plutôt que deux entités séparées, énoncé et énonciation devraient être entendus comme des renvois incessants et inextricables de l’un à l’autre. La bipolarité entre ces deux entités (énoncé et énonciation) devrait être estompée en de degrés différents de ‘mise en contexte’ et d’‘effets de situation’. De mon point de vue, il est préférable de parler d’énonciation énoncée et d’énoncé énoncé, c’est-à-dire deux
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termes complexes qui agissent en tant que médiateurs graduels entre l’instance d’énonciation (insaisissable en tant que telle) et celle de l’énoncé (jamais concevable en tant qu’objectivation pure). On part du présupposé que
[2] le sujet de l’énonciation, responsable de la production de l’énoncé […] n’est jamais manifesté à l’intérieur du discours énoncé (Greimas et Courtés 1979 : 79-82, « débrayage »).
Et que, par conséquent, n’importe quel ‘je’ rencontré dans le texte n’est qu’un
[3] simulacre de l’énonciation, c’est-à-dire une énonciation énoncée (ibid.).
L’énonciation énoncée est une énonciation inscrite dans le texte (énoncée, précisément) et ‘dénoncée’ par la présence grammaticale de marques énonciatives qu’on peut reconduire principalement à la trichotomie classique ‘ego, hic et nunc’. Parallèlement, l’énoncé énoncé est un énoncé qui, bien que se manifestant sous l’apparence d’un discours ‘objectif ’ et privé d’éléments énonciatifs facilement repérables (comme c’est le cas pour le discours réaliste en littérature), ne peut que renvoyer à l’instance d’énonciation qui l’a produit. En définitive donc, l’énonciation énoncée est une énonciation qui prend la forme d’un énoncé à l’intérieur duquel elle affiche ses traces, alors que l’énoncé énoncé cache la véritable énonciation derrière le masque d’un discours en apparence objectif (qui demeure tout de même ‘énoncé’, proféré par quelqu’un). Cette conception sémiotique de la deixis permet de saisir les éléments de la subjectivité (auteur implicite, narrateur, personnage, actant de la communication, actant observateur, lecteur implicite, etc.) disséminés dans le texte et, en même temps, assure une ‘confrontation’ avec les formes de réalité véhiculées par le texte lui-même dans ses différentes manifestations référentielles (description de lieux et paysages, figuration d’acteurs, iconisations temporelles, thématisations conceptuelles, etc.). De cette manière, les degrés d’investissement de la subjectivité et les modes de pro-
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duction du discours sont inévitablement liés entre eux et plus facilement analysables. Pour cette raison même, on peut affirmer que l’énonciation et ses coordonnées spatio-temporelles ne sont pas isolables dans une phrase ou dans un énoncé simple de quelques lignes, mais elles sont disséminées dans le texte tout entier (et le texte lui-même garde un lien étroit avec les autres textes de ‘la même nature’ et avec le contexte dans lequel il trouve sa réalisation). Pour pouvoir mieux saisir les relations déictiques il serait alors utile, à mon avis, d’introduire la notion de genre (reliant les textes de la même nature) et faire référence aux courants littéraires auquel un texte appartient. Plus concrètement, par exemple, on peut affirmer que le Naturalisme, le Romantisme, le Surréalisme, le Nouveau Roman, etc., sont des courants littéraires qui, tout en codifiant des genres, modèlent en même temps des phénomènes déictiques particuliers. Dans cette courte contribution, et pour mieux expliquer les prémisses théoriques précédemment formulées, je vais limiter le domaine d’application aux seuls textes littéraires, en négligeant les autres ‘séries parallèles’ d’une culture. Il faut toutefois préciser qu’à mon avis, la notion de genre est indispensable aussi bien dans les analyses de textes littéraires que dans l’analyse des autres productions textuelles d’une culture. En outre, pour saisir la notion de deixis sans ambiguïtés, il est nécessaire de faire appel à la dimension plus élargie du texte (par rapport à celle de la phrase ou d’un court énoncé), ainsi qu’à la notion de genre à l’intérieur d’une culture perçue à travers ses typologies culturelles1. C’est à partir de ces présupposés théoriques que je voudrais m’interroger sur le rôle joué par un type spécifique de deixis littéraire : celle que j’appelle la deixis surréaliste. En effet, le programme poétique du Surréalisme est, à mon avis, l’un des plus pertinents pour saisir la complexité des phénomènes déictiques et leur déploiement dans l’intégrité du texte (ou, mieux, des textes), et ce, principalement, grâce à la tentative surréaliste de redéfinition de la subjectivité et de la relation que celle-ci entretient avec
On se réfère ici aux analyses de la culture de Lotman et à son idée d’une typologie possible. En français, on peut cf. Lotman 1999.
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le monde environnant. Les Surréalistes partent du présupposé que le cours de l’idéation poétique est ‘rendu faux’ par les impressions parasitaires liées à l’une des plus graves constrictions mentales de l’activité rationnelle : l’assujettissement aux perceptions sensorielles extérieures (liées à la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher) qui soumettent l’esprit à la merci du monde environnant2. Afin d’éviter cet assujettissement, les Surréalistes considèrent comme nécessaire de ‘revenir’ à eux-mêmes en explorant les méandres les plus profonds de leur inconscient : cette stratégie leur permet d’atteindre un type de perception moins extérieure qui sache écouter cette ‘voix intérieure’ (en apparence irrationnelle) capable de donner libre cours à une nouvelle réalité, à une nouvelle vision du monde – moins logique et plus ‘analogique’ – réputée mille fois plus véritable (et poétique) que la réalité elle-même. Dans son premier Manifeste du surréalisme, Breton définissait en effet le Surréalisme en termes de :
[4] automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée […] en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale (Breton 1924 ; maintenant, 1999 : 36) ;
et il ajoutait que, du point de vue philosophique :
[5] le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée (ibid.).
La deixis surréaliste est ainsi programmée (et énoncée) : le renvoi au sujet de l’énonciation et aux circonstances de la communication (« soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière ») se fait par le biais du ‘détachement’ du monde extérieur (« en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale »), de ‘l’abandon’ de
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Cf. Breton 1952.
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tout acquis précédent (« en l’absence de tout contrôle exercé par la raison ») et du ‘retour’ à des ‘circonstances’ spatio-temporelles
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