La parole des concerné.es : entre enjeux démocratiques et émancipation des luttes sociales
Guide pratique : La parole des concerné.es : entre enjeux démocratiques et émancipation des luttes sociales. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Charl_ieee • 25 Novembre 2023 • Guide pratique • 2 604 Mots (11 Pages) • 301 Vues
La parole des concerné.es : entre enjeux démocratiques et émancipation des luttes sociales.
A l’heure où les luttes sociales prennent de plus en plus de place dans le débat public, un concept militant reste cependant peu appliqué : la parole des concerné.es. Ce concept, appliqué comme une règle dans les milieux militants est un droit revendiqué ; tout comme comme les espaces de parole en non-mixité, qui peuvent provoquer un certain rejet de la part des non-concerné.es due a une mauvaise compréhension. En effet ce concept met en avant l’écoute de la parole des personnes concerné.es par une oppression systémique autrement dit si l’on n’est pas concerné.es, on se tait et on écoute. Malgré certains défauts de ce concept, comme l’intégration des oppressions, le risque d’essentialisation, les coming out forcés… que nous ne développerons pas ici, pourquoi la parole des concerné.es est, et doit malgré tout rester la règle d’or des luttes de justice sociale, et pourquoi un plus grand respect de cette règle permettrait une meilleure démocratie ?
Premièrement, nous devons définir la différence entre une personne concerné.e et une personne non-concerné.e. Nous parlons dans cet article de personnes concerné.es par une ou plusieurs oppressions systémiques comme le sexisme, le racisme, l’homophobie, le validisme… Alors, il y a forcément d’un côté les dominé.es (les concerné.es) et les dominant.es (les non-concerné.es, les privilégié.es) de l’autre. Une femme est une personne concernée par le sexisme, une personne racisé.e est une personne concerné.e par le racisme etc… Au contraire un homme n’est pas concerné par le sexisme, ou une personne blanche n’est pas concerné.e par le racisme car iel ne l’expérimentera jamais, c’est donc être privilégié. Une personne concerné.e expérimente et subit chaque jour la domination liée à l’oppression systémique la concernant, car elle influence et conditionne chaque aspect de sa vie et de son identité minoritaire, iel a ce que l’on peut appeler l’expérience du terrain. Il faut se rappeler que si en tant que non-concerné.e on peut avoir un avis pertinent, un avis qui va dans le sens des mouvements militants, cela reste abstrait pour nous à cause de ce manque d’expérience du terrain : on n’est pas confronté.es à la domination des majorités, on n’a pas expérimenté dans notre intimité ce que cela fait, on ne peut qu’imaginer ou sous-estimer la fréquence des micro-agressions, des obstacles liés à une condition qu’on ne vit pas. Alors, cela paraît-il si invraisemblable qu’une personne qui connait une situation, parce qu’iel l’expérimente chaque jour, soit plus légitime durant un débat, durant un vote, etc, qu’une personne qui ne vit pas cette situation et par conséquent qui n’a pas la moindre idée de ce que ça peut faire ?
Le concept de concerné.e/non-concerné.e maintenant défini, nous pouvons à présent regarder de plus près son utilisation dans l’espace public. Une oppression systémique implique un manque de représentation notamment dans l’espace médiatique et c’est bien là que le problème de la parole des concerné.es se pose. Dans le rapport de force et de domination, les personnes dominé.es ou opprimé.es sont mises de côté et leurs voix sont étouffées alors même que l’on parle de sujets qui les concernent directement.
Une personne concerné.es qui s’exprime sur son oppression dérange les dominant.es, iels ne seront jamais considéré.es comme expert.es de la question à leurs yeux. Iels seront infantilisé.es, moqué.es, décrédibilisé.es, jugé.es trop "extrêmes" en plus du risque d’être exposé.es aux violences physiques et sociales répressives, à de la stigmatisation… Iels sont donc contraint.es au silence. Tandis qu’une personne non-concerné.e sera invité.e sur les plateaux télé, pris.e au sérieux, jugé.e plus compétent.e (pourtant nous l’avons vu, à connaissances égales, il manque l’expérience du terrain !). Voyez-vous beaucoup de femmes musulmanes voilées sur les plateaux télé lors des débats sur le port du voile en France ? Aucune. Sur toute les questions de justice sociale, dans les médias mainstream notamment, le même profil "d’expert" revient sans cesse : des hommes blancs, hétéros, cisgenres, autrement dit des hommes privilégiés car non-concernés par les oppressions systémiques dont il est question durant ces débats… Quand une personne s’exprime sur un sujet qui ne læ concerne pas, iel peut en tirer profit (respect et gloire, ou même argent s’iels sont auteurices, chercheureuses, maître.sses de conférence etc…) mais surtout confisque la parole des concerné.es, se l’approprie. C’est particulièrement grave quand on sait que les débats médiatiques ont une influence sur la politique : le manque de diversité dans les médias est un reflet du manque de diversité dans la classe politique. Quand les féministes réclament la parité dans une assemblée, ce n’est pas pour rien, c’est bien pour faire une représentation fidèle de la société où il y a autant de femmes que d’hommes, toujours dans le but de mettre en avant la parole des concernées et d’éviter que par exemple, comme en 2015, les protections périodiques soient considérées (et donc taxées) comme des produits de luxe, par les hommes politiques cisgenres qui ne devront jamais en acheter chaque mois. Si l’on peut dire qu’aujourd’hui la parité homme/femme en politique est bien plus mise en avant (bien que souvent non-respectée), ne serait-il pas normal de respecter la parole des concerné.es des autres communautés minoritaires ? Qu’en est-il des personnes racisé.es, des personnes queers, des personnes handicapé.es ? Notre classe politique démocratique est censée représenter le peuple, mais pourtant son manque de diversité traduit une invisiblisation de la pluralité des identités de la société française. Cela implique le fait qu’iels ne peuvent pas prendre de bonnes décisions pour nous tout simplement parce qu’iels n’ont jamais été à notre place et ne pourront jamais comprendre ce que cela fait, encore une fois ce manque d’expérience du terrain… Leur ignorance de nos ressentis et de nos conditions de vie notamment, les empêchent de prendre les bons choix nous concernant. Un exemple : malgré les alertes des associations, depuis 2011 l’AAH (l’Allocation Adulte Handicapé.e.s) est réduite ou même supprimée quand une personne bénéficiaire est en couple, car le revenu des deux personnes est additionné. Cette loi, non-adaptée à la réalité des personnes handicapées et extrêmement validiste car supprimant l’autonomie et l’indépendance financière des bénéficiaires et reflète le manque de considération par les personnes non-concerné.es. Il faudra attendre la pétition d’une sénatrice non-handicapée pour que le sénat examine cette proposition de loi en mars 2021 contre l’avis de la majorité présidentielle. Le gouvernement créé des lois bien souvent pour l’égalité entre tous (et c’est dans la devise nationale française après tout) mais comment faire des lois qui appréhendent réellement tout les aspect de la vie des minorités quand iels n’y sont pas confronté.es dans l’entourage même de leur propre classe politique ? Comment, quand les seules personnes qui décident des formalités de nos vies, sont des personnes qui, majoritairement, ne vivent aucune oppression systémique, peut-on faire avancer efficacement nos conditions de vie ? Pour créer des lois concernant une certaine population, une minorité, il faut l’entendre pour être le plus efficace, utile et réaliste, pour être le plus adapté à une certaine situation, et éviter d’appliquer ces oppressions à l’intérieur même des lois censées les combattre. L’ouverture de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) pour les personnes trans par exemple, a été débattue par l’Assemblée Nationale durant l’été 2020. Cette proposition de loi a été refusée et c’est notamment à cause du manque d’écoute, de considération et de représentation des personnes concerné.es. En effet, aucune personne trans n’était présente dans l’assemblée, aucune association n’a été contactée, aucun.e des sénateurices cisgenres ne savait même de quoi iels parlaient : confusion, informations fausses, stéréotypes, mégenrages et même moqueries, la transphobie ambiante et systémique se fait ressentir et ce sont ces personnes qui ne savent même pas ce qu’est une personne transgenre qui décide de nos droits et de nos vies. Si des personnes concerné.es avaient été entendu.es, avaient témoigné.es ou même si une association avait fait une sensibilisation, peut être que le résultat du débat aurait été différent, et que l’égalité sur cette question aurait enfin été atteinte. Malheureusement, et c’est bien la le poids des oppressions systémiques, les élites politiques héritent d’une longue tradition de non-considération des concerné.es car les identités majoritaires et privilégiées, (être blanc, hétéro, cisgenre, valide…) sont dans nos sociétés considérées comme des identités neutres car étant la norme. En 1880 où se tient un congrès à Milan pour « l’amélioration du sort des sourds », où sur plus de 255 participants, seuls trois sourds sont présents et où aucun interprète n'a été prévu pour eux. Les concernés sont comme toujours silenciés, il en résultera l’interdiction de la langue des signes en Europe pendant plus d’un siècle car jugée incompréhensible pour les personnes non-sourdes. Véritable
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