Candide, "Le nègre de Surinam", Commentaire Rédigé
Recherche de Documents : Candide, "Le nègre de Surinam", Commentaire Rédigé. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoirese leur condition : l'un est libre de ses mouvements, l'autre pas. On peut constater que la première phrase est surprenante car elle énonce sur un même plan le fait que l'esclave n'ait qu'une moitié d'habit et qu'il soit amputé d'une jambe et d'un bras « ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite », (l.1-2). La priorité qui mise sur l'absence d'une moitié de vêtement est aberrante. Il y a là une distorsion ironique. Le narrateur donne l'impression de ne pas faire de différence entre un vêtement déchiré et une amputation. Il énonce sur le ton de la banalité une chose horrible. Le décalage entre l'objectivité du constat et l'horreur de la situation décrite permet de surprendre le lecteur, de l'interpeller. Les sévices semblent d'autant plus atroces qu'ils sont énoncés avec distance. Tout ceci vise bien à provoquer l’émotion chez le lecteur, à le toucher.
b- Un témoignage pathétique
Ensuite, nous pouvons remarquer que Voltaire utilise le registre pathétique en décidant de laisser la parole à l'esclave car il donne ainsi l'impression d'offrir au lecteur un véritable témoignage. Laisser parler directement la victime permet de susciter l'intérêt du lecteur, de le faire réagir, de l'émouvoir (le pathétique est présent ici), et d'être également plus critique. L'accusation a plus d'impact du fait du discours direct, qui provoque un effet de réel. A travers son discours, l'esclave apparaît ici résigné. Ses paroles sont marquées par un respect du blanc instinctif (il répond un « oui monsieur » à Candide plein de politesse, l.18) et par une grande fatalité. Il affirme une attitude de soumission, de passivité ("J'attends mon maître", l.12) et semble accepter son sort ("c'est l'usage" l.19). Il explique ensuite calmement l'usage, qui renvoie au Code noir. Il construit des phrases faisant apparaître la même structure (l.22 à 25, parallélisme de construction : "quand nous" … "on nous"): le résultat semble être obtenu sans aucune émotion. Voltaire met en relief un formalisme administratif par le ton faussement détaché, ce qui renforce l’horreur de la situation : "je me suis trouvé dans les deux cas" l.25. On comprend alors qu'il se dise "mille fois" plus malheureux que les "chiens, les singes et les perroquets" (l.31-32) Voltaire veut faire s'entrechoquer l'image attendrissante des animaux de compagnie, bien traités, et celle des esclaves exploités et brutalisés, pour mieux nous interpeler.
c- La misère morale de l’esclave
De plus, nous pouvons constater la misère intellectuelle de l’esclave. En outre, il ne possède qu’un nom commun avec une majuscule, ce qui renforce l’idée qu’il est considéré comme une marchandise, dépourvu d’identité. Le « Nègre » (l.2) ne parle donc pas en son nom propre, le "nous" représente ici tous les esclaves. Le constat n'est pas seulement celui de sa situation personnelle mais il établit l'histoire de tous les esclaves. L'esclave intègre aussi à son propre discours un souvenir personnel : les paroles de sa mère. Cette parole vivante est un rappel émouvant du passé mais qui nous rappelle aussi qu’il a été trahi par ses parents, qui dans leur inconscience coupable l’ont vendu aux colons " Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " (l.27-30) Le récit enchâssé renforce là encore le registre pathétique.
Ainsi, le pathétique, présent à travers la description de l’esclave, à terre, nu, mutilé, à travers le souvenir des paroles de sa mère, et à travers enfin l’attitude compatissante de Candide, sensibilise le lecteur sur le traitement horrible qui était réservé aux esclaves. L’émotion est une force de persuasion utilisée par Voltaire pour dénoncer l’esclavage mais il utilise un autre procédé, lui aussi très efficace : l’ironie.
II) L’ironie au service de la dénonciation : un réquisitoire contre l'esclavage
En effet, l’ironie est une arme virulente au service des causes des Lumières, et qui permet à Voltaire de dénoncer de manière implicite et détournée les vrais responsables de ces pratiques inhumaines.
a- Voltaire dénonce l'exploitation de l'homme par l'homme : les colons coupables.
D’une part, l’anonymat odieux du "on" permet d’attaquer de façon anodine tous les organisateurs de cet abominable trafic, parmi lesquels les colons sont au premier rang. Martelé trois fois, il insiste sur l’horreur de leurs actes « On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année » (l.20), « on nous coupe la main » (l.23), « on nous coupe la jambe » (l.24). D’autre part, Voltaire joue aussi sur l’onomastique du maître impitoyable appelé M. Vanderdendur, que l'on pourrait prononcer "vendeur à la dent dure". A travers l’allitération en [r] agressive, sont évoquées ses deux qualités : le négoce, et la maltraitance. D’ailleurs, le négociant est ironiquement qualifié de "fameux" : il n'est pas employé ici dans un sens positif, mais négatif. Ce qui signifie qu’il est bien célèbre pour sa cruauté. De ce fait, l’ironie sert à suggérer la culpabilité des esclavagistes.
b- La faute des Européens
D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls puisque Voltaire oppose au « on » des colons le pronom "vous" qui désigne bel et bien les européens, et ici plus particulièrement les français. Leur insouciance coupable est responsable du malheur de l’esclave. Ce sont les Européens qui justifient que les maîtres traitent ainsi leurs esclaves. La phrase "C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe" le dit explicitement (l.25). La force critique de cette phrase repose essentiellement sur l'ironie mordante avec laquelle Voltaire utilise le mot "prix". Pour que les Européens achètent du sucre toujours moins cher, il faut que les esclaves vendent leur vie. Il y a ici un jeu entre le sens concret de "prix", c'est-à-dire le coût, et le sens abstrait, négatif, qui est celui du châtiment, de la peine. C’est un raccourci efficace entre l'esclave et le sucre, l'esclave et l'économie, qui met en avant le contraste entre le plaisir superflu des Européens et les conditions de vie inhumaines des esclaves. Voltaire blâme ici avec ironie les coupables européens de ce trafic.
c- L'hypocrisie religieuse
Cependant, ils ne sont encore pas les seuls car l’Eglise est elle aussi pointée de doigt. En effet, les prêtres cautionnent l’esclavage tout en tenant des propos contraires. Voltaire dénonce leur hypocrisie et met en avant la contradiction entre le
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