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La Question Prioritaire De Constitutionnalité

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à la suite des élections législatives et du changement de majorité, le projet fut profondément modifié par le Sénat, et la disposition relative à l’exception d’inconstitutionnalité a disparu. La troisième tentative fut la bonne. Le «Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République" (Comité Balladur) mis en place le 17 juillet 2007 a suggéré à son tour une telle réforme. Elle été retenue par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a introduit notamment un article 61-1 prévoyant la saisine du Conseil constitutionnel par un justiciable à l’occasion d’un procès. Une loi organique devait préciser les conditions de cette saisine.

La loi organique du 10 décembre 2009 est entrée en vigueur le 1er mars 2010, permettant ainsi, dans l’intervalle, de prendre les mesures réglementaires nécessaires : un décret relatif à la procédure applicable tant devant les juridictions de l’ordre judiciaire que devant les juridictions de l’ordre administratif, ainsi qu’un décret relatif à la continuité de l’aide juridictionnelle. Dans le même temps, le Conseil constitutionnel a, par une décision du 4 février 2010, adopté un règlement intérieur sur la procédure à suivre devant lui. En outre, deux circulaires du ministère de la Justice, l’une du 24 février 2010 relative à la présentation de la question prioritaire de constitutionnalité, l’autre du 1er mars 2010 relative à la présentation du principe de la continuité de l’aide juridictionnelle, sont venues apporter les éclaircissements souhaitables sur ces procédures entièrement nouvelles.

Considérée comme un « véritable serpent de mer »[4], la question prioritaire de constitutionnalité a soulevée d’innombrables doutes quant à son bon fonctionnement. Entre la crainte d’une « guerre des juges » et celle d’une « guerre des blocs », il est parfois difficile de démêler l’écheveau juridique. Parmi les voix peu satisfaites par la novation issue de l’article 61-1 C., c’est sans conteste celles de Pierre Mazeaud [5]et d’Yves Gaudemet[6] qui tranchent le plus. Ils soulignent les mérites oubliés selon eux, du contrôle préventif et prévoient que le nouveau mécanisme engendrera des effets dévastateurs. Pour Yves Gaudemet citant Anatole France, ce serait « une aventure institutionnelle, une entreprise hasardeuse ». L’argument, classique, de la sécurité juridique et de la stabilité du droit est invoqué ; des pans entiers de la législation française risquent d’être déstabilisés. De plus, la cohérence du champ contentieux peut souffrir en raison de la dilution du contrôle de constitutionnalité entre plusieurs organes susceptible d’entraîner des divergences interprétatives. Il est vrai que l’instauration d’une pyramide juridictionnelle à trois niveaux, et deux « filtres » (les juridictions ordinaires, les cours suprêmes) inquiète également. L’existence d’un second filtre, celui des cours suprêmes, ne semble guère trouver de puissantes justifications juridiques : elle emporte une « infantilisation » des juridictions non suprêmes et complexifie de manière disproportionnée le fonctionnement du procès constitutionnel. De plus, la QPC viendrait trop tard[7], notamment en raison de l’existence d’un efficient contrôle de conventionalité des lois a posteriori assuré par le juge ordinaire ; celui-ci pouvait parfaitement, selon certains auteurs, assumer aussi une mission de contrôle de constitutionnalité des lois.

Par la volonté du législateur organique, l’expression question prioritaire, a le mérite de souligner que la question de constitutionnalité doit être traitée à la fois rapidement et avant tout autre question notamment la question de conventionalité même s’il s’est tout d’abord posé une distinction classique entre « exception d’inconstitutionnalité et question préjudicielle ». C’est « l’exception d’inconstitutionnalité » qui avait été retenue pour désigner la nouvelle compétence qu’il était envisagé de confier au conseil constitutionnel. Pourtant comme l’avait fait remarquer la doctrine, une telle appellation n’était pas particulièrement heureuse dans la mesure où, lorsque l’on a affaire à une exception, elle peut être connue par le juge de l’action principale selon l’adage « le juge de l’action est le juge de l’exception » ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque l’on se trouve dans un système de contrôle concentré de la constitutionnalité des lois qui implique que le conseil constitutionnel dispose d’un monopole en la matière. Il s’agit en réalité d’une question préjudicielle de constitutionnalité qui est posée à une autre institution que celle qui a connaissance du litige. C’est d’ailleurs l’expression qui avait été retenue dans le projet de loi gouvernementale. L’Assemblée nationale, tout en gardant l’appellation « question », a préféré la qualifier de question « prioritaire » de constitutionnalité.

Mais comment savoir si telle loi porte atteinte à un droit garantit par la constitution ? A quelles conditions est soumise la possibilité de poser une QPC ? Quelles sont les règles régissant son examen par le juge ? La QPC n’est telle pas sujette à des difficultés ? En d’autres termes, quelque positive qu’elle soit la QPC n’est pas moins susceptible de soulever un certain nombre de difficultés.

Pour satisfaire à la fois les sceptiques, les adversaires et les partisans de la QPC, il serait évidemment tentant de reprendre la formule que le doyen Vedel avait habillement ciselée : « ni gadget, ni révolution ». Sans doute, mais si l’introduction en France du contrôle à posteriori n’est ni un gadget, parce qu’elle renforce la protection des droits fondamentaux, ni une révolution parce que la loi est soumise depuis au respect de la constitution, elle porte un changement possible du paysage juridictionnel français[8].

Incontestablement une nouvelle ère s’ouvre pour la QPC traduisant son intérêt. D’abord, alors qu’avec le contrôle a priori le contentieux de constitutionnalité est encastré dans la procédure d’élaboration de la loi, avec le contrôle a posteriori il s’enchâsse dans le contentieux général. Ensuite l’office des juges judiciaire et administratif va créer un lien organique entre les cours suprêmes des deux ordres de juridiction et le Conseil constitutionnel. Enfin la constitution devient un « moyen » pour le justiciable de défendre ses droits contre la loi.

Il est donc urgent que les juristes se forgent autant que possible des idées claires sur ce qui nous paraît un des phénomènes juridiques majeurs de notre époque. Sur ce, nos développements s’articuleront en deux grandes parties à savoir, une question prioritaire de constitutionnalité affirmée (première partie) puis secouée dans sa mise en œuvre (deuxième partie).

I- Une question prioritaire de constitutionnalité affirmée

Inscrite désormais dans la Constitution à l’article 61-1, la question prioritaire de constitutionnalité se traduit par sa particularité dans la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis (A), à travers un contrôle de constitutionnalité a postériori (B).

A- une protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

L’article 61-1 de la Constitution prévoit désormais que le Conseil Constitutionnel pourra être saisi par un justiciable lorsqu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. C’est donc à l’occasion d’un procès uniquement que l’inconstitutionnalité d’une disposition législative pourra être soulevée à travers une question prioritaire de constitutionnalité dès lors que cette disposition porte atteinte à un droit ou à une liberté garantit par la Constitution.

Par disposition législative il faut entendre toutes les normes législatives sauf les lois référendaires: loi, loi organique ou ordonnance ratifiée par le Parlement, loi du pays de Nouvelle-Calédonie, quelque soit leur date d’entrée en vigueur, avant ou après 1958, avant ou après la mise en place de la QPC. Toutefois, il faut que la disposition en question n’ait pas déjà été déclarée contraire à la constitution par le Conseil, sauf en cas de changement de circonstances comme par exemple une révision constitutionnelle ou encore une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Ces dispositions législatives doivent porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Cela veut dire que ces droits sont énoncés dans : la Constitution du 4 octobre 1958 telle que modifiée à plusieurs reprises ; les textes auxquels renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, à savoir : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (auxquels renvoie le Préambule de la Constitution de 1946), la Charte de l'environnement de 2004.

Mais toutes les dispositions de ces textes ne sont pas prises en compte. Seules celles qui garantissent des droits et des libertés sont retenues, ce qui exclut toutes autres dispositions constitutionnelles et notamment celles de nature procédurales, relatives aux pouvoirs publics et à leurs rapports, ainsi que les dispositions relatives au partage des compétences entre la

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